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Caractéristiques anatomiques et fonctionnelles de la modalité tactile

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B. Olfaction et toucher : des modalités sensorielles majeures chez le rat

2. Caractéristiques anatomiques et fonctionnelles de la modalité tactile

Afin d’identifier les objets de son environnement le rat utilise non seulement ses pattes, mais aussi et surtout ses vibrisses. En effet, cet animal est pourvu d’une trentaine d’appendices semi-rigides composés de kératine et régulièrement répartis de part et d’autre du museau. Le mouvement des vibrisses permet au rongeur de discriminer les objets qui l’entourent de manière très précise. En effet, la finesse du sens tactile déployé par les

49 Tronc cérébral Barrel cortex Organisation en tonneaux E1 E3 E5 D6 C7 Thalamus

rongeurs a été expérimentalement testée à l’aide d’une tâche de discrimination de textures (lisse versus rugueuse) et il s’avère que les rats sont capables de faire la différence entre des papiers de verre de rugosité très proche (Guic-Robles et al., 1989 ; Carvell et Simons, 1990). Ceci montre qu’ils sont capables de discriminer leur environnement tactile avec une grande précision, avoisinant celles des primates avec leurs doigts (Carvell et Simons, 1990). Ces capacités dépendent toutefois de facteurs tels que l’environnement, l’âge et le sexe de l’animal (pour revue, Roohbakhsh et al., 2016).

a. Organisation anatomique

Les vibrisses sont ancrées à la peau via une structure folliculaire animée par un muscle contrôlé par le nerf facial. Sous contrôle du cortex moteur, l’activation du muscle induit un mouvement de balayage des vibrisses d'avant en arrière permettant à l’animal d’échantillonner les objets qui sont situés à proximité de sa tête à une fréquence comprise entre 5 et 12 Hz (Sreenivasan et al., 2015). Lors du contact avec une surface, la déflexion du mouvement appliquée par le muscle (whisking) est convertie en trains de potentiels d'action par un mécanorécepteur également situé dans le follicule. Le sens du toucher sous-tendu par le système des vibrisses repose donc sur une intégration sensorimotrice active (pour revue, Diamond et al., 2004 ; pour revue, Diamond et al., 2008). Les mécanorécepteurs sont situés à l’extrémité d’une fibre du nerf trijumeau dont le corps cellulaire est localisé dans le ganglion trigéminal. L’ensemble de ces afférences converge sur le noyau trigéminal, situé au niveau du tronc cérébral, qui est étroitement connecté avec le noyau ventro-postéro-médian (VPM) du thalamus. Les informations sont ensuite relayées vers la couche IV du cortex somesthésique primaire (S1 ; Pereira et al., 2007). Au niveau d’une partie de ce cortex dédiée spécifiquement au traitement des informations tactiles issues des vibrisses, les neurones du S1 sont organisés en petites unités anatomiques bien caractérisées, portant le nom de tonneaux ou « barrel », justifiant l’appellation de cortex à tonneaux ou « barrel cortex » fréquemment utilisée pour désigner cette région du cortex S1. Au niveau de cette carte somatotopique, chaque vibrisse est individuellement représentée par une unité anatomique définie, ce qui autorise une délimitation précise de l'organisation fonctionnelle de ce cortex (pour revue, Petersen, 2008 ; Figure 12), et cet agencement est critique pour la discrimination des textures (Guic-Robles et al., 1992).

Figure 12 : Organisation somatotopique du système des vibrisses. La disposition des vibrisses est similaire à celle du barrel cortex : chaque vibrisse active une colonne précise du barrel cortex. Adapté de Diamond et al., 2008.

50 Cette organisation est non seulement identifiée au niveau du barrel cortex, mais également dans les structures situées en amont telles que le noyau thalamique VPM (Pierret et al., 2000). Les neurones du barrel cortex se projettent ensuite principalement sur le cortex somesthésique secondaire (S2), lui-même connecté au système limbique, notamment à l’hippocampe (Pereira et al., 2007). Toutefois, les voies anatomiques conduisant cette information vers les structures parahippocampiques ne sont pas strictement identifiées. Des connexions directes entre le cortex S1 et le CEL ont toutefois été caractérisées en faible proportion (Swanson et Köhler, 1986 ; Insausti et al., 1997), ainsi qu’entre le cortex S1 et le cortex périrhinal en plus forte proportion (Burwell, 2000), structure avec laquelle le CEL est connecté (Kerr et al., 2007). Ainsi, le CEL reçoit des informations tactiles, mais vraisemblablement en majorité par l’intermédiaire du cortex périrhinal. L’ensemble des structures impliquées dans le traitement de l’information tactile est résumé sur la figure 13.

Figure 13 : Schéma des voies tactiles chez le rongeur. Les informations tactiles traitées par les vibrisses sont transmises par le nerf trijumeau (V) jusqu’au tronc cérébral, puis successivement au noyau ventro-postéro- médian (VPM) du thalamus, au barrel cortex, puis par des connexions majoritairement indirectes, jusqu’au cortex entorhinal latéral, et à l’hippocampe.

b. Capacités perceptives bien connues, mais capacités mnésiques méconnues

De nombreuses études se sont attachées à caractériser les mécanismes liés à la perception d’un stimulus tactile depuis les vibrisses jusqu’au codage neuronal au niveau du barrel cortex (pour revue, Roohbakhsh et al., 2016). En effet, les possibilités d’études sont multiples, sur animal anesthésié ou contraint, grâce au contrôle précis du stimulus utilisé (fréquence de stimulation et sélection de la vibrisse d’intérêt notamment) et à l’organisation très précise du barrel cortex. Ceci autorise des approches fines permettant de corréler la stimulation d’une vibrisse donnée à l’activation d’une portion identifiée du barrel cortex. Cette voie de traitement fournit donc un système bien connu pour explorer le lien entre les circuits synaptiques et le comportement du rongeur (pour revue, Petersen, 2008).

Plusieurs études se sont interrogées sur la fonctionnalité de la répartition des vibrisses. Présentant une orientation dorso-ventrale spécifique, deux types de vibrisses aux fonctions complémentaires sont distinguées : les macrovibrisses (> 10 millimètres et situées à l’arrière du museau) et les microvibrisses (< 7 millimètres et situées à l’avant du museau ; Figure 14). Les macrovibrisses fonctionnent comme des décodeurs à distance et sont spécialisées dans le repérage spatial de l’environnement, la discrimination d’objets situés à une distance supérieure à quelques millimètres et l’estimation du diamètre d’une ouverture

Barrel cortex Hippocampe

Cortex entorhinal latéral VPM Tronc cérébral Vibrisses

51 (Krupa et al., 2004). En revanche, les microvibrisses sont surtout sollicitées pour la discrimination d’objets proches, situés à une distance inférieure à quelques millimètres (Brecht et al., 1997 ; Morita et al., 2011). L’exploration des objets met donc en jeu les deux types de vibrisses, mais leur rôle respectif exact demande encore à être précisé.

Figure 14 : Distinction morphologique et fonctionnelle entre les macrovibrisses et les microvibrisses. (a) L’animal échantillonne l’espace en utilisant majoritairement ses macrovibrisses. (b) L’animal utilise préférentiellement ses microvibrisses pour échantillonner un objet proche. Photos issues de Deschênes et al., 2012.

Par ailleurs, une étude a montré qu’il existe une corrélation entre la dynamique du whisking et les performances d’échantillonnage pour la reconnaissance d’un type de texture : les animaux les plus performants sont ceux qui échantillonnent le plus longuement les textures (McDonald et al., 2014). De plus, l’enregistrement unitaire des neurones du barrel cortex montre que les 75 dernières millisecondes de la période d’échantillonnage sont les plus informatives pour la prise de décision (von Heimendahl et al., 2007). D’autre part, les discriminations actives et passives d’un stimulus tactile se traduisent par une activation spécifique de la couche IV du barrel cortex, mais cette activation est plus importante lors d’une discrimination active. Toutefois, les capacités fines de discrimination des animaux, comme par exemple distinguer deux papiers de verre de rugosité proche, ne sont pas identifiées par des activités de décharge différentes au niveau du barrel cortex lors de l’échantillonnage de l’une ou l’autre des textures (Prigg et al., 2002). De plus, si les discriminations simples sont codées d’un point de vue temporel (fréquence de décharge), les discriminations plus complexes reposent également sur un codage spatial dynamique (recrutement de plusieurs tonneaux ; Carvell et Simons, 1995). Enfin, le traitement de l’information dans le barrel cortex résulte également de modulations top-down par le cortex associatif S2 et/ou par le barrel cortex controlatéral (Krupa et al., 2004).

La section partielle des vibrisses induit une augmentation de l’activité excitatrice au niveau des cellules pyramidales du barrel cortex, couplée à une réduction de l’activité inhibitrice des interneurones de cette structure (Zhang et al., 2013). Cette augmentation permet d’éviter la perte totale des fonctions de discrimination des stimuli tactiles. En effet, ceci favorise un niveau d’excitabilité restant suffisant pour transmettre un signal pertinent. Ce mécanisme facilite également la formation de nouvelles connexions avec d’autres structures de traitement sensoriel, suggérant la mise en place de mécanismes de plasticité cross- modale.

Macrovibrisses

Microvibrisses

(a)

52 Ces données montrent donc que les propriétés fonctionnelles du barrel cortex sont modulées par l’expérience et l’apprentissage (pour revue, Feldman et Brecht, 2005). Toutefois, si de nombreuses études se sont attachées à caractériser les mécanismes qui sous-tendent la perception d’un stimulus tactile, peu de données font état des bases neuronales de la mémoire tactile.

c. Activité oscillatoire

L’étude de la dynamique oscillatoire associée à la discrimination des stimuli tactiles a fait l’objet de plusieurs travaux. Contrairement au système olfactif pour lequel le rythme bêta est la signature du traitement de l’information, il semblerait que ce soit davantage le rythme thêta qui soit un marqueur de discrimination concernant la modalité tactile.

Ainsi, le rythme de whisking des rongeurs oscille entre 5 et 12 Hz, c’est-à-dire à des fréquences similaires à celles caractérisant le rythme thêta hippocampique (Kleinfeld et al., 2016). Cependant, le rythme thêta associé au whisking et le rythme thêta hippocampique, notamment associé à l’activité motrice de l’animal et aux processus mnésiques, ne sont pas synchronisés lors d’un échantillonnage passif au cours duquel l’animal active ses vibrisses « dans le vide » (Berg et al., 2006). En revanche, quand l’animal échantillonne activement une texture, une synchronisation des oscillations thêta est détectée entre le barrel cortex et le DH, en corrélation avec l’amélioration des performances des animaux (Grion et al., 2016).

Concernant les oscillations dont la fréquence est comprise entre 25 et 45 Hz (qualifiées d’ondes bêta ou gamma selon les études), il a été établi qu’elles émergent spécifiquement quelques centaines de ms en amont et persistent jusqu’au début de l’échantillonnage tactile. Cette activité met en évidence des processus d’anticipation pour les stimuli à venir et pourrait favoriser le traitement rapide de l’information (Hamada et al., 1999).

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