I.6 Outils de caractérisation
I.6.2 Caractérisation physique et physico-chimique du substrat
Comme discuté dans la première partie, la nature et les propriétés du substrat jouent
un rôle capital lors de l’hydrolyse enzymatique, raison pour laquelle une caractérisation
fine et multi-échelle est nécessaire. Une panoplie de techniques expérimentales issues de
différents domaines scientifiques sont adaptées et utilisées.
I.6.2.1 Composition du substrat
Pour remonter à la composition d’un substrat (fractions lignine, hémicellulose et
cellulose), une hydrolyse acide complète (à l’acide sulfurique) est généralement réalisée
(suivant le protocole décrit dans (Sluiter et al., 2007) par exemple). L’hydrolysat est
analysé par HPLC pour la détermination des concentrations en sucres simples et donc la
teneur en cellulose et hémicellulose. La fraction insoluble est constitué majoritairement
de lignine (en plus des cendres et des protéines insolubles). La partie de lignine solubilisée
est déterminée par spectroscopie UV-visible (Chauve, 2011). Cette méthode destructive
donne une information exclusivement quantitative sur la composition du substrat et
I.6. Outils de caractérisation
nécessite des temps longs (au minimum un jour).
La spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier (FTIR) est une alternative
pro-metteuse qui attire de plus en plus de recherches. Cette technique d’analyse non
des-tructive est basée sur l’interaction rayonnement-matière dans le domaine infrarouge (IR :
longueur d’onde entre 0.7 et 50 µm) puisque la majorité des molécules organiques et
inorganiques vibrent à des fréquences identiques à celles de l’IR (généralement dans le
moyen IR : longueur d’onde entre 2.5 et 25 µm). La substance étudiée est irradiée avec
un faisceau ayant des longueurs d’onde connues et le faisceau réfléchi ou transmis est
analysé. Les éléments chimiques de la substance (composition et nature des liaisons
inter-et intra-moléculaires) absorbent à des longueurs d’onde spécifiques inter-et laissent ainsi leur
empreinte sur le faisceau en sortie (Essendoubi, 2007). Dans le cas de la lignocellulose
(substrat solide), l’analyse par réflexion (généralement en mode ATR : Attenuated Total
Reflectance) est utilisée.
Adapa et al. proposent une étude bibliographique sur les fréquences d’absorption des
constituants de lignocelluloses d’origines différentes (pailles de blé et d’orge, sons de maïs
et d’avoine, . . .) (Adapa et al., 2009). Les composés aromatiques de la lignine absorbent
autour d’une fréquence de 1510 cm
−1(Stewart et al., 1995a; Yu, 2005) alors qu’une
mul-titude de fréquences sont caractéristiques de la cellulose (selon la liaison considérée et
le type de vibration) (Chen et al., 1997; Yu, 2005; Schulz & Baranska, 2007). Très peu
d’études sont dédiées par contre à l’hémicellulose (Chen et al., 1997;Schulz & Baranska,
2007). Si la majorité des études sont qualitatives, une poignée tente d’exploiter
l’inten-sité des pics d’absorption caractéristiques avec différentes méthodes pour remonter aux
fractions des trois constituants notamment le taux de lignine (Faix, 1988; Emandi et al.,
2011).
Les atouts de cette méthode sont sa rapidité, les quantités négligeables de substrat
qu’elle nécessite et la simplicité du protocole expérimental. En contre partie, l’exploitation
des spectres est une tâche complexe. L’information produite concerne la composition en
surface en un point, ce qui peut poser problème dans le cas d’un substrat hétérogène.
I.6.2.2 Degré de polymérisation et distribution de taille
Le degré de polymérisation moyen d’un substrat cellulosique peut être déterminé en
mesurant sa viscosité intrinsèque une fois dissout dans un solvant organo-métallique tel
que la cupri-éthylène-diamine (CED). Evans et al. donnent le DP moyen en fonction de
la viscosité intrinsèque selon la corrélation suivante (Evans & Wallis, 1989) :
DP
0.9= 1.65·[η] (I.2)
Avec η la viscosité intrinsèque en mL.g
−1.
Dans le cas d’un substrat soluble, la distribution de la masse molaire des chaines
cellulosiques (MMD : Molar Mass Distribution) donne une information complète sur les
tailles des polymères présents en solution et peut être atteinte en utilisant la
chromato-graphie d’exclusion stérique (SEC : Size-Exclusion Chromatography). Cette technique de
séparation des macromolécules en solution est généralement couplée à différents types de
détecteurs (réfractomètre différentiel, spectromètre UV, détecteur à diffusion de lumière
multi-angles MALLS, . . .) (Saakeet al., 2001; Schultet al., 2002; Eremeeva, 2003). Cette
technique peut être utilisée pour le suivi de l’évolution de la MMD durant la réaction
d’hydrolyse enzymatique (Kleman-Leyer et al., 1994; Chen et al., 2007b; Zhang et al.,
2011). A partir de la MMD, la masse molaire moyenne en nombre (équation I.3) et/ou
en volume (équationI.4) peuvent être estimées, ce qui permet de remonter au DP moyen
via la masse molaire du motif élémentaire.
M
n=
P
n
iM
iP
n
i(I.3)
M
w=
P
n
iM
i2P
n
iM
i(I.4)
Avec M
ila masse molaire du polymère i etn
isa fraction en nombre.
Dans le cas d’un substrat particulaire, la distribution de taille est accessible
expéri-mentalement avec les différentes techniques d’analyses granulométriques.
En voie sèche et avec une plage de tailles de quelques centaines de micromètres à
quelques millimètres, le tamisage peut être utilisé pour caractériser la granulométrie
I.6. Outils de caractérisation
du substrat initial (Del Rio et al., 2012). Néanmoins cette technique nécessite de
grandes quantités de substrat et n’est donc pas adéquate pour un suivi continu dans
le cas de l’hydrolyse. De plus, elle est limitée à des tailles relativement grandes (>100µm).
Une technique de plus en plus répandue est la granulométrie laser dont le principe est
basé sur la diffraction de la lumière incidente à l’encontre d’une particule en suspension
(Figure I.7). L’intensité et l’angle de diffraction sont fonction de la taille des particules,
de leur indice de réfraction et de la concentration du milieu. Le fondement théorique est
donné par la théorie de Fraunhofer complétée par la théorie de Mie. L’intervalle de
dé-tection varie entre quelques dizaines de nanomètres à quelques centaines de micromètres
avec l’hypothèse de la sphéricité des particules et le résultat brut est donné en fractions
volumiques de diamètres équivalents. Cette technique est largement utilisée pour sa
sim-plicité et sa rapidité mais ne donne aucune information sur la forme des particules ni leur
concentration (Silva et al., 2012; Khullar et al., 2013).
FigureI.7 –Schéma illustratif de la diffraction laser (lumières bleue et rouge) à l’encontre
de particules en suspension
1Pour avoir une idée sur la forme des particules et suivre l’évolution de leurs propriétés
morphologiques durant l’hydrolyse, des techniques de visualisation couplées avec un
trai-tement d’images approprié sont de plus en plus utilisées. Ces techniques sont développées
à la fois en voie sèche et en voie liquide suivant différents dispositifs expérimentaux selon
le besoin (Chinga-Carrasco et al., 2010; Nguyen et al., 2013; Kinnarinen & Häkkinen,
2014).
I.6.2.3 Cristallinité
Pour caractériser la microstructure d’un substrat solide, la technique de diffraction
des rayons X (WAXS : Wide-Angle X-ray Scattering) est la plus utilisée. L’exploitation
du spectre de diffraction pour remonter à l’indice de cristallinité du substrat analysé peut
se faire moyennant différentes méthodes analytiques (Bansal et al., 2010). Segal et al.
proposent la corrélation (équation I.5) pour estimer la fraction cristalline (CrI) à partir
de la hauteur de deux pics (relatifs aux fractions cristalline et amorphe) par rapport à
une ligne de base (Segal et al., 1959).
CrI(%) = I
002−I
amI
002·100 (I.5)
I
002est le maximum d’intensité du pic pour 2θ = 22˚(fraction cristalline) et I
amle
minimum d’intensité du pic pour2θ= 18˚(fraction amorphe) comme illustré sur la Figure
I.3 (Park et al., 2010).
Figure I.8 –Spectre de diffraction aux rayons X d’une cellulose microcristalline (Avicel
PH-101) illustrant la méthode d’évaluation du taux de cristallinité par la hauteur des pics
(Park et al., 2010)
La spectroscopie de résonance magnétique nucléaire (
13C-RMN) en phase solide
en utilisant les techniques de l’angle magique (MAS : Magic Angle Spinning) et de la
polarisation croisée (CP : Cross-Polarization) est aussi largement utilisée (Hult et al.,
2000; Park et al., 2009). Cette technique permet l’étude de la nature des liaisons
I.6. Outils de caractérisation
(Berlioz, 2007). Elle donne des résultats précis mais nécessite des temps d’acquisition
longs pour avoir une bonne résolution et perd sa précision pour des substrats à faible
taux de cristallinité (Bansalet al., 2010).
Figure I.9 – Spectres FTIR d’une cellulose microcristalline (Avicel PH-101) avant et
après prétraitement (Ciolacu et al., 2011)
La spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier (FTIR) est aussi utilisée pour
quantifier le taux de cristallinité d’un substrat. Différents pics sont utilisés du fait du
poly-morphisme de la cellulose qui dépend de sa nature et des prétraitements appliqués (
O’Sul-livan, 1997). O’Connor et al. proposent d’utiliser le ratio des pics 1429 cm
−1/894 cm
−1(O’Connor et al., 1958). Nelson et O’Connor utilisent le ratio surfacique 1372cm
−1/2900
cm
−1qu’ils valident par comparaison avec la méthode de diffraction des rayons X (Nelson
& O’Connor, 1964). Ciolacu et al. ont utilisé ces deux ratios sur différents types de
sub-strats avec et sans prétraitement puis comparé les résultats avec la méthode de diffraction
des rayons X (Ciolacu et al., 2011). Nous donnons à titre d’exemple les spectres FTIR
d’une cellulose microcristalline avant et après prétraitement visant à la rendre amorphe
(Figure I.4).
est aussi de plus en plus utilisée et peut compléter la FTIR dans certain cas (Schenzel
et al., 2005; Adapaet al., 2009).
Nous avons donné ici une analyse très rapide de quelques techniques expérimentales
utilisées pour la caractérisation des substrats à différentes échelles. Ces techniques sont
dans la plupart des cas complémentaires et permettent le suivi de l’évolution des propriétés
du substrat et de sa conversion durant la réaction d’hydrolyse.
Dans le document
Modélisation de l’hydrolyse enzymatique de substrats lignocellulosiques par bilan de population
(Page 57-63)