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Différenciation géographique des stratégies d’action internationale : une coopération plus ou

territoires partenaires ?

Le terme de réciprocité est systématiquement invoqué dans les principes fondateurs de l’AICT des collectivités territoriales françaises, contexte où comme le rappelle Philippe de Leener, elle est de règle, « sinon dans la pratique, certainement dans les discours440 ». On constate d’ailleurs un usage éminemment polysémique de ce concept dont nous proposerons certaines facettes ici. Par définition, est considéré comme étant « réciproque » ce qui s’exerce entre deux groupes de personnes, dans la mesure où l’action exercée et l’action reçue est équivalente441. Cette idée d’équivalence au sens d’un échange d’ « égal à égal » est sujette à de nombreuses interprétations. Elle est souvent utilisée pour exprimer les apports de l’ordre des relations humaines et personnelles des acteurs et de leur enrichissement mutuel. La démarche d’altérité et la notion d’échange sont alors identifiées comme constituant l’apport des actions internationales aux acteurs français. Au-delà de la dimension personnelle, cette réciprocité est également invoquée dans les actions à dimension culturelle où « […]

une relative égalité parait possible. Il y a de la créativité au Sud qui peut être mise en relation de travail et de collaboration avec des créateurs africains, mais également il y a tout le travail autour des imaginaires qui est important442 ». On entend par exemple fréquemment l’idée selon laquelle la culture l’un des seuls domaines dans lequel les acteurs peuvent dialoguer à égalité avec les européens443. Ainsi, l’ouvrage intitulé « La coopération décentralisée, trois partenariats entre le Nord et le Sud » soulève « l’apport décisif d’un échange véritable sur le plan humain et culturel pour lesquels l’égalité de l’échange et les apports mutuels sont mis en avant444».

La conception de la réciprocité dans l’Action Internationale des Collectivités Territoriales se rapproche de la théorie du don et du contredon, ou théorie de l’obligation, développée par le sociologue et ethnologue Marcel Mauss. En étudiant les organisations sociales de plusieurs sociétés dites archaïques, telles que certaines tribus du Nord-ouest américain, de Polynésie, de Mélanaisie et de Papouasie ainsi que le droit dans les sociétés indo-européennes, germaniques et chinoises, il dégage plusieurs conclusions liées aux notions de transactions, d’échanges et de contrats entre les individus.

Parmi celles-ci, figure l’idée majeure selon laquelle le don est considéré comme un gage. Il établit un lien « bilatéral et irrévocable » de dépendance du bénéficiaire envers le donateur. Par le don émis, le premier a prise sur le second. Non rendu, il rend inférieur celui qui l’a accepté, surtout quand il est reçu sans esprit de retour. « Donner, c’est manifester sa supériorité, être plus, plus haut […] » alors qu’ « accepter sans rendre, ou sans rendre plus, c’est se subordonner, devenir client et serviteur, devenir petit, choir plus bas445». L’acceptation d’un don oblige, à terme. Elle représente donc une charge et force à s’engager à le rendre afin de « prouver que l’on n’est pas inégal ». Le « don-retour », ou « contre-don » vise alors à pallier le danger que représente toute chose donnée ou transmise. Le don qui « entraîne nécessairement la notion de crédit », circule donc avec la certitude qu’il sera rendu. Appliqué à l’AICT, la réciprocité s’inscrit dans cette équation du don et contre-don sur le mode « je t’apporte, que m’apportes-tu en retour? ».

440 De Leener, P., 2013, op cit.

441 Définition du Trésor de la Langue Française Informatisé

442 L’action Internationale des collectivités locales. Engagement citoyen et mondialisation, Actes des troisièmes assises de la coopération décentralisée, La Documentation Française, 493p délégué général de culture et développement. Actes des troisièmes assises de la coopération décentralisée, p284

443 Propos de Dioss, B., 2008, Président de l’association Dynamique des Artistes Plasticiens de Thiès (ADAPT).

444 Guillaud,G., (sous la direction de), 2005, La coopération décentralisée : trois partenariats entre le Nord et le Sud, Association PROCOOP. Développement, tiers-monde, politique, France Mali Maroc Vietnam, 266p, p.74

445 Mauss, M., Sociologie et anthropologie, 2010, 12ème édition "Quadrige", Presses Universitaires de France, 482 p 269-270

198 Lorsque les attentes des acteurs impliqués dans l’action internationale en termes de réciprocité reposent sur les domaines humains ou culturels, les débats sur l’intérêt local de l’AICT peuvent paraître choquants. Les territoires ne sont-ils pas « unis par la civilisation, les contacts, l’amitié ? »

« Est-on à ce point obligés de se justifier quand on fait de la coopération ? […] « Ce n’est pas ça le but du sud, cette réciprocité. Il est minable de vouloir quantifier, mesurer […]446». Cette réaction d’un partenaire libanais du Conseil général des Yvelines révèle les différents prismes à travers desquels peut-être vue la réciprocité et l’étonnement des partenaires étrangers face à ces questions.

Cette vision de la réciprocité ne peut être suffisante au regard du nombre restreint de personnes concernées par les échanges physiques entraînant cet enrichissement intellectuel, qui reste donc « toujours l’affaire de quelques personnes447 ». D’autre part, si l’on considère comme possible l’existence d’une symétrie dans les relations humaines et dans le mouvement de découverte réciproque, l’appréciation de la réciprocité devient plus incertaine lorsque l’on aborde la dimension institutionnelle de l’Action Internationale des Collectivités Territoriales448. Pour être réciproque, l’échange doit en effet être « équivalent », pour reprendre sa définition première, un objectif difficile à atteindre dans un contexte d’inégalités multiples et structurelles (administratives, économiques, sociales, etc.). Enfin, l’essor des actions à vocation économique ou de rayonnement marque une différenciation de l’Action Internationale des collectivités territoriales selon trois tendances, trois

« idéaux types chronologiquement apparus les uns après les autres » en fonction de la localisation des territoires partenaires et de l’appréciation qui en est faite de leurs niveaux de « développement ».

Ces trois tendances, résumées dans le tableau 17, sont formulées de la sorte par l’État français dans ses Orientations pour l’Action Internationale des Collectivités Territoriales449. Elles distinguent la coopération issue d’un mouvement de solidarité internationale en direction des pays dits les « moins avancés », la coopération issue des jumelages qui s’adresse aux territoires européens développés et, pour finir, une coopération plus actuelle en direction des pays émergents qui représentent un potentiel économique important pour les collectivités territoriales450.

446 Atelier « Quelle réciprocité dans les projets de coopération internationale ? » : dans le cadre des Assises Yvelinoises de la coopération décentralisée, à Rambouillet, le 13 septembre 2012

447 Guillaud,G., (sous la direction de), 2005, op cit.

448 RESACOOP, 1997, "Comptes-rendus des Assises Régionales de la coopération et de la solidarité internationale en Rhône-Alpes", 1997, Atelier n°3 : La coopération aujourd’hui : réciprocité à sens unique ?

449 Orientations françaises pour l’AICT, 2010, DGMDP

450 Maré, C., 2012, op cit.

199

Tableau 17: Trois approches de l'Action Internationale des collectivités territoriales distinctes selon les zones d'intervention

Source : Tableau réalisé par l’auteur à partir des Orientations françaises pour l'Action Internationale des Collectivités Territoriales, DGMDP, 11p

Cette distinction est très fréquente. « Naturellement, ces coopérations se différencient selon qu’elles concernent des partenaires de pays pauvres, émergents ou des PECO451» explique le Président de la Région Île-de-France en évoquant les douze partenariats portés par sa collectivité. Une coopération décentralisée qui est tour à tour solidaire (en Afrique), plus technique (dans les pays émergents) ou élargie (avec les Régions de l’Union Européenne). Cette catégorisation des modes d’actions internationales se traduit au sein de l’organisation administrative des collectivités territoriales. Ainsi, les actions en direction des pays émergents sont souvent portées par une direction du rayonnement international, des relations internationales, voire de l’international et de la prospective. En revanche, les actions menées en direction des pays dits du « Sud » sont quant à elles mise en place par une direction de la solidarité internationale ou de la coopération décentralisée. De plus, à chaque type d’action correspond souvent un élu différent. Une telle organisation interne est révélatrice des représentations existantes au sein de collectivités sur les différences de degrés stratégiques de l’action internationale liés au niveau de développement de chaque partenaire. Plus celui-ci est élevé, plus il est considéré comme présentant un intérêt concret pour la Collectivité Territoriale. A l’inverse, la coopération avec les pays qui, n’ayant pas encore atteint ce niveau supposé de développement, sont considérés comme étant « en retard », relève de la générosité et de l’aide, et sont l’objet d’une attention moins spécifique.

Cette analyse s’organisera suivant ce découpage géographique et ses différences stratégiques. Il s’agira ainsi de comprendre pourquoi la recherche de réciprocité semble être, sinon vaine du moins incertaine, dans la coopération en direction des pays dits du « Sud » et plus palpable à travers les actions menées en Europe ou avec les Pays émergents.

451 PECO signifie Pays d’Europe Centrale et Orientale. Huchon, JP., 2002, "La coopération décentralisée de la Région Île-de-France : une expérience réussie", Revue internationale et stratégique, n° 46, p. 81-86. DOI : 10.3917/ris.046.0081

Espace géographiques Approche Axes d'intervention

Pays en développement Coopération solidaire / Aide au Développement

Renforcement des capacités, transfert de savoir-faire administratifs et techniques

Appui aux services publics de base (assainissement, accès à l'eau, gestion des ordures etc.)