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3. Systèmes de défense des bactéries contre l’ADN exogène

3.2 Systèmes CRISPR/Cas

3.2.1 Caractérisation du système CRISPR/Cas

Les systèmes CRISPR/Cas sont des systèmes de défenses bactériens adaptatifs, protégeant contre l’ADN étranger de phages lors d’infections, en reconnaissant et en clivant cet

Figure 8. Organisation des différents types de locus CRISPR, en fonction des données de

séquençage, adapté d’Ishino et al. (2018). Les protéines Cas sont groupées en deux classes

41 ADN (Horvath and Barrangou, 2010). Ces systèmes peuvent aussi cibler l’ARN (Hale et al., 2009). Ces systèmes CRISPR ont été retrouvés chez 90 % des archées et 40 % des bactéries (Mojica et al., 2000; Jansen et al., 2002; Grissa et al., 2007; Horvath and Barrangou, 2010).

L’abréviation CRISPR désigne une famille de séquences répétées dans l’ADN, se caractérisant par des séries de répétitions directes et courtes de 20 à 37 nucléotides et régulièrement espacées par des séquences appelées « spacer », souvent uniques, d’une vingtaine de nucléotides. Les Cas (CRISPR-associated) sont des protéines associées à ce locus CRISPR.

Ces répétitions ont été découvertes par hasard en 1987 chez E. coli (Ishino et al., 1987). Lors du séquençage du gène iap, codant une enzyme protéolytique, il a été observé une séquence répétée dans la région en aval du gène. La fonction de ces répétitions été élucidée seulement en 2007, lorsqu’il a été montré que Streptococcus thermophilus pouvait acquérir une résistance contre les bactériophages en intégrant un morceau de génome du virus infectieux dans le locus CRISPR, permettant ainsi à la bactérie d’être protégée lors d’une ré-infection (Barrangou et al., 2007). Il a alors été considéré que les bactéries possédaient un système semblable à l’immunité adaptative. La première étape consiste en l’acquisition de l’ADN étranger au niveau du locus CRISPR, puis la genèse d’un CRISPR-RNA (crRNA). La dernière étape correspond à l’assemblage du complexe et à son action entrainant une interférence ciblée (Horvath et al., 2008). À l’heure actuelle, six différents types de locus CRISPR (I à VI) ont été mis en évidence, répartis en deux groupes (classes 1 et 2) (Makarova et al., 2015; Savitskaya et al., 2016; Ishino et al., 2018) (Figure 8, Tableau 7).

Le système CRISPR de type II est le plus étudié et le plus utilisé. Dans ce cas, l’ADN étranger envahissant la cellule est coupé en petits fragments de 20 pb correspondant au « spacer », incorporés dans le locus CRISPR entre les courtes séquences répétées. Les loci sont transcrits et génèrent des petits ARN (crRNA), qui vont servir de guide aux endonucléases, qui ciblent l’ADN étranger en se basant sur la complémentarité de séquences (Jinek et al., 2012).

Les différents systèmes présentent des points communs, au niveau de la première étape, l’acquisition de l’ADN étranger est essentielle afin de produire de nouveaux spacers qui sont intégrés à une des extrémités du locus CRISPR. Ce locus est transcrit en précurseur du crRNA (pre-crRNA) qui est ensuite maturé en crRNA et fixé au complexe CRISPR-interférence (complexe spécifique de chaque classe de systèmes CRISPR) (Makarova et al., 2015).

La plupart des protéines Cas ont des fonctions encore inconnues. Pour les systèmes appartenant à la classe 1, c’est tout un complexe de protéines qui s’assemblent pour s’attacher au crRNA, alors que les systèmes de classe 2 ne sont composés que d’une seule protéine, la

Systèmes CRISPR Type Protéine type Maturation pré-crRNA Cible Discrimination

du soi et non-soi Effecteurs

Classe 1

Type I Cas3 Cas6 ADN PAM

Cascade crRNA

Cas3

Type III Cas10

Cas6 + facteurs inconnus ADN ARN Répétition CRISPR Cmr, Csm crRNA Cas10 Type IV Csf1 ? ? ? ? Classe 2

Type II Cas9 RNase III ADN PAM

Cas9 crRNA tracrRNA

Type V Cpf1 Cpf1 ADN PAM

Cpf1 crRNA tracrRNA

Type VI C2c2 ? ARN

+ ADN ? ? ?

42 protéine Cas9, suscitant un intérêt pour l’édition de génome. Cette protéine, anciennement appelé Csn1, a été caractérisée comme un acteur important du mécanisme CRISPR de type II. Ce système a un mécanisme unique puisqu’il ne lui suffit que de la seule protéine Cas9 pour inactiver un gène. Comparé aux autres systèmes, cette protéine est aussi impliquée dans la destruction de l’ADN cible (Deltcheva et al., 2011; Sapranauskas et al., 2011).

Pour assurer le clivage à un site spécifique, la Cas9 doit former un complexe avec le crRNA et le trans-activating crRNA (tracrRNA). Ce tracrRNA est requis pour la maturation du crRNA et fonctionne en présence de la RNase III. Le duo tracrRNA et crRNA forme ce que l’on appelle l’ARN guide (ou sgRNA). Le complexe CRISPR de type II est composé de l’endonucléase Cas9 et de ce sgRNA, qui va amener l’enzyme à la séquence cible spécifique. Pour que ce complexe soit fonctionnel, la Cas9 requiert une séquence PAM (« protospacer adjacent motif ») conservée de 2 à 5 nt après le crRNA (Sternberg et al., 2014). Le clivage se fait spécifiquement 3 nt en amont de la séquence PAM, sur les deux brins d’ADN, et est effectuée par les domaines endonucléasiques RuvC et HNH de la Cas9 (Figure 9 (Sorek et al., 2013; Jakociunas et al., 2016)). Ce mécanisme a été très bien caractérisé chez

Streptococcus pyogenes (Jinek et al., 2012).

Dans le système de type I, le clivage est médié par l’enzyme Cas3, suite à une cascade d’actions protéiques (Barrangou, 2015). Le type III quant à lui, cible l’ADN de manière PAM-indépendante, avec un clivage effectué par l’enzyme Cas10 complexée à d’autres nucléases comme Cmr4. Ce système cible l’ADN ou l’ARN en fonction de la nucléase associée à Cas10 (Barrangou, 2015). Les systèmes IV, V et VI sont encore relativement incompris et peu caractérisés (Figure 8, Tableau 7), (Savitskaya et al., 2016; Ishino et al., 2018).

Ces systèmes ont ouvert la voie à l’édition de génome à grande échelle. En 2012, Les scientifiques Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier ont développé un outil de modifications génétiques en combinant le tracrRNA et le crRNA in vitro en un simple ARN guide chimérique (sgRNA), ayant la même efficacité que les deux ARN agissant de façon séparée (Jinek et al., 2012). L’intérêt de cette approche est de ne changer que la séquence du crRNA spécifique de la séquence cible. D’autres chercheurs ont contribué en parallèle à la compréhension et la mise au point de ces techniques, dont Feng Zhang (Cong et al., 2013), et encore aujourd’hui, le brevet n’est pas clairement attribué. En septembre 2018, Feng Zhang (Broad Institute) a cependant remporté la propriété intellectuelle sur l’application des systèmes CRISPR/CAS sur les cellules eucaryotes (https://www.genengnews.com/gen-news-highlights/cafc-upholds-broad-institute-crispr-patents/81256219). Ces systèmes ayant un très fort potentiel, il existe une évolution rapide des méthodes et une diversité d’organismes sur

Figure 9. Mécanisme d’action du complexe CRISPR de type II, d’après Jakociunas et al.

(2016). Après injection de l’ADN phagique dans la cellule, les protéines Cas découpent la molécule sous forme de séquences de 20 nucléotides (« spacer ») qui sont ensuite intégrées au locus CRISPR. La transcription de ce locus entraine la formation d’un pré-crRNA, qui est maturé par la RNase III et couplé à la protéine Cas9, qui cible spécifiquement l’ADN phagique double-brin à cliver et à dégrader en fonction du « spacer ».

43 lesquels cette technique est utilisée. Cette évolution se traduit par exemple par un nombre de publications de travaux en relation en forte augmentation, moins de 5 articles par an entre 2000 et 2006, entre 10 et 100 par an entre 2007 et 2012, et plus d’un millier par an depuis, jusqu’à 3 000 en 2017 (source : PubMed).

Ces systèmes sont donc présents naturellement chez beaucoup de bactéries, pour lutter contre l’infection par les phages. Certains phages ont cependant développé des systèmes dits « anti-CRISPR », afin de contourner ces mécanismes de défense. De récents travaux ont montré que certains phages produisaient des protéines anti-CRISPR, capables de se fixer à chaque partenaire du complexe CRISPR de façon distincte. Cela a été démontré pour les phages de

Pseudomonas aeruginosa, qui inhibent le système CRISPR de type I de leurs hôtes permettant une infection efficace (Shabbir et al., 2016). Ces protéines existeraient pour contrer un maximum de systèmes CRISPR (Hynes et al., 2018; Zhu et al., 2018). D’un point de vue biotechnologique, les systèmes anti-CRISPR permettraient de moduler l’activité et l’expression du complexe CRISPR pour mieux contrôler ses différentes fonctions (Pawluk et al., 2018).

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