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Caractérisation des réseaux d’acquisition

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I.2. Les matières colorantes au Néolithique – état de l’art

I.2.2. Caractérisation des réseaux d’acquisition

L’étude des réseaux d’acquisition de matières premières permet de renseigner les propriétés recherchées et exploitées, les questions de territorialité, les systèmes de mobilité ou encore les interactions entre différentes sphères culturelles (figure 14). Les informations qui en découlent sont cruciales pour aborder les questions relatives au système techno-fonctionnel, social et culturel dans lequel s’insèrent les réseaux d’échange.

I.2.2.1. Problématiques

Au Néolithique, le « phénomène minier » et le développement de réseaux d’échange structurés sont des composantes importantes du système économique. Certaines géomatières sélectionnées pour leurs propriétés physiques et/ou leur rareté (obsidienne, roches tenaces, silex, variscite) font l’objet d’une valorisation importante et d’une distribution à grandes distances, au point de contribuer parfois à la majeure partie des assemblages, au détriment des produits locaux.

La sédentarisation plus ou moins forte qui accompagne le Néolithique restreint les territoires exploitables et, par effet mécanique, les possibilités techniques offertes par les ressources auxquelles un groupe a directement accès (Perlès, 2012a). Pour autant, il existe de nombreux exemples où les

Figure 14. Segments initiaux de la chaîne opératoire des matières colorantes.

matières locales non sollicitées auraient pleinement subvenu aux besoins du groupe (par exemple, Binder, 2004). Une motivation sociale importante, pour ne pas dire prépondérante, vient se greffer sur l’intérêt technique : la distribution de biens (matières premières brutes ou préparées, objets finis) sur de longues distances participe à l’entretien des interactions sociales intra- et inter-ensembles culturels (Guilaine, 2012  ; Perlès, 2012a). Elle constitue aussi un moteur pour la spécialisation techno-économique, chaque groupe étant tenté d’orienter sa production vers un bien (matériel ou alimentaire, brut ou transformé) à échanger (Perlès, 2012a).

L’approvisionnement abondant et régulier en matières exotiques nécessite un repérage des sources potentielles et une exploitation raisonnée (ramassage systématique dans les gisements secondaires, extraction minière des formations primaires)  ; il implique aussi une organisation renouvelée des contacts entre différents groupes culturels et une compétition sociale accrue pour le contrôle et l’exploitation d’une part, des gîtes de matières premières et de l’autre, des réseaux de distribution.

L’exemple emblématique est l’obsidienne, pour laquelle des réseaux se mettent en place dès le plus ancien Néolithique à partir des quatre grandes régions où ce bien est disponible et circule : la Cappadoce et l’Arménie (qui alimentent l’Anatolie et le Proche-Orient), les Carpates (Balkans), la Mer Égée (sud des Balkans, Péloponnèse, bassin égéen, est de l’Anatolie) et les îles de Méditerranée occidentale (sud de la France, Italie, nord de l’Afrique) (par exemple : Renfrew et al., 1965, 1966 ; Williams-Thorpe et Warren, 1984 ; Williams-Thorpe, 1995 ; Tykot, 1996 ; Poidevin, 1998 ; Vaquer, 2006  ; Luglié, 2009  ; Binder et  al., 2012). Si les traces d’exploitation sont peu développées au Néolithique ancien dans la région qui nous concerne, la suprématie de certaines sources sur les autres au Néolithique moyen et l’installation de grands ateliers de taille (Pau, Sardaigne) au plus près des gîtes de matières premières témoignent d’une « première véritable exploitation massive […] dans la perspective d’un échange systématisé58 » (Luglié, 2009).

Les silex de bonne qualité font aussi l’objet d’exploitations intensives dès le Néolithique ancien en Italie (la  Defensola, 6000-5500  BCE  : Tarantini, 2006  ; Tarantini et Galiberti, 2011) et en Espagne (Casa Montero, 5400-5100 BCE : Díaz-Del-Río et al., 2006 ; Capote et al., 2008), puis au Néolithique moyen dans le Sud-Est de la France (Binder, 1991 ; Léa, 2004a ; Vaquer, 2012) et en Lombardie (Pessina, 1988). L’extraction de la variscite59 au Néolithique ancien en Espagne (Gavà : Camprubi et al., 2003 ; Bosch et Borrell, 2009) et du cuivre à la fin du Néolithique moyen en Italie (Monte Loreto : De Pascale, 2004 ; Maggi et Pearce, 2005) font aussi appel à une forte spécialisation des techniques. Ces différentes excavations sont bien documentées par les outils spécifiques employés (De Pascale, 2004), les galeries creusées pour atteindre les matières recherchées (Tarantini et Galiberti, 2011) ou encore les installations d’atelier au plus près des gisements, où ont lieu les premières étapes des chaînes opératoires de préparation (Léa, 2004a).

La comparaison des différents types de matières premières révèle des disparités fortes en termes de modalités de distribution et de valeur ajoutée (Perlès, 2012a). Ce constat plaide pour l’intégration

58. La mainmise d’un groupe sur une ressource n’est pas systématique. L’obsidienne de l’île de Milos (Mer Égée) est exploitée par plusieurs groupes spécialisés et diffusée par des réseaux distincts aux régions limitrophes : Thessalie, Grèce continentale, côte anatolienne, Crète (Perlès, 2012b).

59. La variscite AlPO4·2H2O est un phosphate d’aluminium de couleur verte, souvent confondu avec la turquoise. Comme cette dernière, la variscite est aisément polissable (dureté 4,5 sur l’échelle de Mohs) et a servi à produire des éléments de parure : perles et bracelets.

des données de tous les types de matériels archéologiques, y compris les matières colorantes, pour préciser la grille de lecture des systèmes économiques.

I.2.2.2. État de l’art

En regard des matières lithiques taillables (silex, obsidienne, quartz), des roches tenaces ou même des matériaux céramiques (Basso et al., 2006), les connaissances sur les chaînes d’acquisition des matières colorantes restent très lacunaires en contexte néolithique.

L’indigence des données sur les blocs de matière première n’est pas imputable à un manque d’intérêt pour les matières colorantes, mais à une difficulté à extraire des données de ce type de matériel. Deux raisons peuvent être invoquées. La première est qu’à l’inverse des géomatières métamorphiques, volcaniques ou sédimentaires siliceuses, les roches riches en oxydes de fer sont généralement des altérites*, produits plus ou moins hétérogènes dont la répartition géologique est parfois mal cernée60. Cette contrainte en entraîne une autre : les caractères discriminants qui permettent de distinguer la nature et l’origine des matières colorantes exploitées sont difficiles à appréhender.

Par ailleurs, tous contextes confondus, les études de matières colorantes se sont d’abord focalisées sur les peintures pariétales. La préparation de peinture implique de profondes transformations (cf. infra titre 2.3. de ce chapitre) qui induisent la perte de la macrostructure (réduction en poudre) et l’altération de la composition minéralogique (adjonction de charges).

Dès lors, les options pour caractériser les matières premières et les replacer dans leur contexte géologique et géographique sont limitées. Par ailleurs, le module importé (dimensions et morphologie) est inconnu.

La principale méthodologie développée s’inspire de la géochimie de la recherche minière. Elle consiste à identifier les éléments traces associés à un élément précis, le fer ou le manganèse, pour obtenir une

« empreinte chimique » du matériau. Celle-ci est ensuite comparée à un référentiel chimique.

Cette approche implique : (i) de repérer, d’échantillonner et d’analyser toutes les sources potentielles d’une région donnée  ; (ii)  d’appréhender l’hétérogénéité des sources de matière première et les phénomènes de convergence ; (iii) d’identifier par traitement statistique une combinaison d’éléments traces discriminants pour dresser une « carte chimique ». Le grand intérêt de ce procédé est qu’il permet de s’affranchir de la variabilité du taux de fer au sein de chaque source (Popelka-Filcoff et al., 2007 ; 2008).

Plusieurs méthodes de quantification des éléments peuvent être employées. Les plus sollicitées jusqu’à présent sont l’activation neutronique61 (Popelka-Filcoff et al., 2007, 2008 ; Eiselt et al., 2011 ; MacDonald et al., 2011 ; 2012), et la spectrométrie de masse par torche plasma62 (Green et al., 2007 ; Iriarte et al., 2009). Ces méthodes, au caractère invasif et destructif manifeste, ont cédé le pas

60. À cela s’ajoutent les conditions complexes de genèse (altération in situ, démantèlement, nouvelle altération, etc.) et les variations latérales et verticales des formations (cf. titre 4.2. du deuxième chapitre).

61. INAA : Instrumental Neutron Activation Analysis.

62. ICP-MS : Inductively Coupled Plasma-Mass Spectrometry. Un mode de prélèvement par ablation laser peut être couplé à cette méthode pour limiter son impact invasif (LA-ICP-MS : Laser Ablation-ICP-MS).

à l’analyse par faisceau de particules63, qui permet d’opérer en surface des échantillons (Erlandson et al., 1999 ; Creagh et al., 2007 ; Green et al., 2007 ; Bernatchez et al., 2008 ; D’Errico et al., 2010 ; Nel et al., 2010 ; Beck et al., 2011 ; MacDonald et al., 2011). L’analyse par fluorescence des rayons  X dispersive à longueurs d’ondes64 a également été employée (Jercher et al., 1999 ; Gil et al., 2007).

L’étude de provenance par comparaison des éléments traces a donné de bons résultats pour les grandes aires géologiquement homogènes (Australie et Arizona par exemple : Creagh et al., 2007 ; Popelka-Filcoff et al., 2008 ; Nel et al., 2010 ; Eiselt et al., 2011).

Dans un contexte géologique plus contrasté, cette approche se heurte au nombre relativement faible d’analyses qu’il est raisonnablement possible de faire (de l’ordre de quelques dizaines maximum), par rapport à l’importance des corpus archéologiques (centaines à milliers de blocs et d’objets portant des résidus de matière colorante) et de la multiplicité des sources de matière première.

De plus, Laure Dayet a démontré, pour la méthode PIXE, que la concordance entre la composition de surface et celle au cœur des blocs de matière première était plausible pour certains éléments, mais pas systématique (Dayet, 2012, p. 140-145). Le cortège d’éléments discriminants est propre à chaque source ou ensemble de sources. Ce constat plaide pour une approche au cas par cas de chaque corpus, avec une phase systématique de tests préliminaires de l’homogénéité cœur/surface des échantillons.

En replaçant les blocs archéologiques au cœur de l’étude, Hélène Salomon a réussi à traiter exhaustivement de grandes séries comme celle d’Arcy-sur-Cure (Châtelperronien : Salomon, 2009).

La première étape a consisté en un inventaire pétrologique de l’ensemble du corpus (2395 blocs).

Elle a ainsi été en mesure d’établir les grandes gammes de géomatières introduites sur le site par des caractères discriminants simples (habitus, présence/absence de minéraux). En premier lieu, un échantillonnage raisonné au sein de ces gammes a permis de démontrer la pertinence de celles-ci et de rendre la caractérisation géochimique généralisable à l’ensemble du corpus. Ensuite, les sources d’approvisionnement ont pu être identifiées par comparaison pétrographique et analyses des éléments traces (Salomon, 2009 ; Beck et al., 2012).

Une approche exploitant à la fois la pétrologie et la caractérisation physicochimique a également été employée avec succès sur un corpus de 550 pièces (dont 64 analysées) à Diekploof Rock Shelter (Middle Stone Age, Afrique du Sud : Dayet, 2012 ; Dayet et al., 2013a ; 2013b).

L’approche pétrographique, associée à une quantification des éléments majeurs par spectrométrie d’émission optique65 a été employée pour caractériser les sources disponibles sur des espaces restreints, comme le Mont Carmel, Qafzeh (Israël : Weinstein-Evron et Ilani, 1994 ; Hovers et al., 2003) ou l’île de Malte (Attard Montalto et al., 2012).

Il faut souligner que dans cette dernière étude, la nature pétrologique des sources d’oxydes de fer est clairement définie (terra rossa, oolithes ferrugineuses, glauconie altérée, latérite carbonatée  : Attard Montalto et al., 2012, p. 1095). En revanche, tous les échantillons archéologiques pris en compte sont à l’état de poudre, ce qui ne permet pas d’exploiter les données pétrographiques issues des échantillons géologiques.

63. PIXE : Particle Induced X-ray Emission

64. WD-XRF : Wavelength Dispersive X-Ray Fluorescence.

65. ICP-AES : Inductively Coupled Plasma-Atomic Emission Spectrometry.

En Australie, « l’ocre » a pu circuler sur des centaines, voire des milliers de kilomètres à partir des sources d’approvisionnement (Jones, 1884, d’après Salomon,  2009). Smith et Pell ont utilisé le rapport des isotopes de l’oxygène 18O/16O contenu dans le quartz, associé aux oxydes de fer, pour discriminer les sources (Smith et Pells, 1997). Cette approche ne fonctionne qu’à grande échelle car le quartz est un minéral ubiquiste.

Le cinabre en revanche, n’est répandu qu’en des points précis, qui sont bien cartographiés. La quantification des éléments traces par XRF et les rapports isotopiques du plomb 208Pb/206Pb,

207Pb/206Pb et 206Pb/204Pb ont respectivement été employés dans les Balkans (Gajic-Kvasec et  al., 2012) et en Espagne (Hunt-Ortiz et al. 2011).

Globalement, l’identification des sources d’approvisionnement des roches riches en oxy(hydroxy)des de fer a été étayée ces dernières années par le développement d’une méthodologie plurielle et solide.

Elle nécessite cependant, de dresser des référentiels régionaux. Par ailleurs, l’association de l’analyse des éléments traces aux observations pétrographiques, qui permettent d’apporter des informations complémentaires et de traiter de grandes séries, n’est pas encore systématique. Un effort devrait aussi être fait pour extraire les informations relatives aux modalités de diffusion dans l’espace (module, quantité) et dans le temps (régularité).

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