volonté de l’utiliser. En matière de faux dans un document administratif la jurisprudence
indique que « l'intention coupable consiste en la conscience qu'a eue l'auteur de commettre
un faux dans un document protégé par la loi et de causer ainsi un préjudice
possible »
139.Cette définition est applicable d’une manière générale aux autres faux publics. A
la différence du faux privé, les juges présument l’existence de l’intention sans le caractériser
dans chaque décision.
Comme pour le faux privé, en matière de faux public la qualité de professionnelle joue sur
l’appréciation de l’élément intentionnel. D’une manière générale, la doctrine et la
jurisprudence estiment que le professionnel possède l’intention de nuire
140. En prenant en
considération sa qualité de professionnelle, les magistrats présument que l’agent ne pouvait
ignorer le caractère mensonger et illicite de l’acte
141. Cependant, à la différence des
infractions en droit pénal des affaires, le manquement aux obligations professionnelles ne peut
134
Article 441-2 à 444-9 du Code pénal : le faux peut avoir pour support un document écrit, les marques de l’autorité, la monnaie, l’or, les timbres, les titres et les valeurs émises par l’autorité publique.
135 J. Y. Maréchal, J.-Cl. pén. code, art. 121-3, Elément moral de l’infraction, n° 33 s. 136
Cass. crim., 2 avr. 1868, Bull. crim. 1868, n° 88 ; Cass. crim., 18 févr. 1875, DP 1876, 1, p. 281 ; Cass. crim., 23 nov. 1889, Bull. crim. 1889, n° 353 ; Cass. crim., 27 déc. 1906, Bull. crim., n° 471.
137
M.-L. Rassat, J.-Cl. pén. code, art. 442-1, Fausse monnaie, n°38. 138
Article 433-19 du Code pénal. 139
Cass. crim., 22 oct. 2003, Bull. crim. 2003, n° 200, Gaz. Pal. 2004, 1, somm. p. 1325, obs. Y. Monnet. 140
Cass. crim., 20 juin 2007, op. cit ; Rev. sc. crim. 2008, p. 591, obs. C. Mascala ; Cass. crim., 18 mai 2005, Dr. pén. 2005, comm. 131, obs. M. Véron.
141
32
suffire à caractériser l’élément intentionnel
142. L’agent doit avoir réalisé l’altération
frauduleuse.
On constate que la Cour de cassation met en œuvre une « politique criminelle de l’intention »,
notamment lors de la sanction du mensonge
143. Roger Merle indique que « tout se passe
apparemment comme s’il y avait au sein de la délinquance deux catégories de malfaiteurs :
les délinquants ordinaires, [….] envers qui il faut être secourable et pitoyable ; et la
délinquance opprimante, qui par sa puissance financière ou sa compétence technique abuse
de sa position, et vis-à-vis de laquelle il importe de sévir sans faiblesse. Ainsi peu à peu notre
droit pénal prend-il un double visage : compatissant lorsqu’il se tourne vers la masse des
délinquants, austère et sévère lorsqu’il considère certains d’entre eux »
144. La disparité de
l’appréciation de l’intention amène à conclure que « le nouveau droit pénal est loin d’être un
droit pénal égalitaire »
145.
B. Les conséquences de l’assouplissement de la preuve de l’intention dans les infractions
mensongères
Le droit pénal exige une intention pour la constitution des infractions sans en définir le
contenu et les moyens de preuve. En matière pénale, la preuve de l’intention est libre. En
l’absence de définition légale de l’intention, le législateur accorde une marge d’appréciation
aux juges lors de la caractérisation de cet élément. La jurisprudence met en œuvre une
appréciation subjective pour la caractérisation de l’intention. L’analyse de différentes
infractions consommées par le mensonge démontrent que la jurisprudence établie l’intention
par présomption à partir de la matérialité des faits. La jurisprudence, en marge de la loi,
reconnaît aux juges le pouvoir souverain d’effectuer une appréciation circonstanciée de
l’élément moral. Les juges doivent interpréter les faits dans le respect de l’adage in dubio pro
reo
146. Dans cette tâche, ils emploient la technique de la preuve inductive ou indiciaire,
permettant d’établir l’intention par la constatation de la matérialité des infractions.
142
Cass. crim., 29 janv. 1998, n ° 97-80.414 : le notaire n’avait pas effectué les vérifications relatives à l’identité et donné les conseils nécessaires ; dans le même sens Cass. crim., 7 sept. 2004, op. cit.
143 B. Mercadal, Recherches sur l’intention en Droit pénal », Rev. sc. crim. 1967, p. 1 et s., spéc. n° 6. 144
R. Merle, « L’évolution du Droit pénal français contemporain », spéc. p. 304 et 305. Sur la sévérité des peines encourues par les délinquants d’affaires.
145 Ibid.. 146
33
Les différents procédés employés sont différenciés même s’ils présentent des similitudes. A la
différence des deux procédés, en présence d’une présomption, les juges du fond ne
caractérisent pas l’élément intentionnel. L’intention est présumée exister par l’atteinte à la
valeur sociale protégée sans exiger une motivation dans la décision. Il en est ainsi du
mensonge réalisé dans des documents disposant d’une présomption de véracité par nature
147.
Cependant, lors de l’application de la méthode par déduction, les juges caractérisent
l’intention à partir de l’acte matériel. Il est parfois difficile de distinguer ces deux méthodes.
En dépit du refus des juges de l’admission de la preuve par présomptions pour une grande
partie des infractions consommées par le mensonge, au sein de certaines infractions le
procédé emprunté s’apparente à la présomption. A titre d’illustration, la caractérisation de
l’intention dans le délit de tromperie peut s’effectuer par la constatation de la méconnaissance
des obligations légales générales de vérité. Cette déduction est à l’origine de la présomption
de mauvaise foi. Le refus de l’admission de la preuve par présomption trouve son fondement
dans l’obligation pour les juges de caractériser les éléments composant les infractions au
regard du principe de présomption d’innocence
148.
En principe, l’établissement de l’intention par présomption est un procédé contraire aux
principes du droit pénal. En effet, la loi pénale n’instaure aucune présomption de mauvaise
foi. Cependant, les obligations légales de véracité et de sincérité associées aux difficultés
tenant à la preuve de l’intention, ont conduit la jurisprudence à avoir recours aux
présomptions. Par principe, le droit criminel n’admet pas les présomptions légales
149. Selon la
qualification de la Chambre criminelle le procédé utilisé pour les infractions consommées par
le mensonge est la présomption du fait de l’homme
150puisqu’aucun texte d’incrimination ne
prévoit ce mode de preuve de l’intention et qu’elle résulte de la pratique des juges. La
jurisprudence fournit de nombreux exemples où l’intention est déduite des présomptions
fondées sur le comportement incriminé. Ainsi, la jurisprudence tend à « objectiver
l’intention » en se référant à certains critères, tels que la nature des atteintes, la qualité de
l’agent, à l’aide d’un « processus inductif »
151.
147
Il en est ainsi des faux publics, de la fausse monnaie et des autres infractions assimilées. 148
F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, op. cit., n° 473. 149
Par exception des présomptions légales existent en droit pénal : Article 225-6 du Code pénal considère comme établi l’élément matériel du délit de proxénétisme lorsque la personne vit avec une prostituée sans justifier de ressources. La présomption de recel qui figure à l’article 321-6 du Code pénal ou encore l’article L.121-2 du Code de la route.
150
Dictionnaire de Droit criminel Jean Paul Doucet, 12ème partie définit la présomption comme : « comme une conséquence probable tirée d’un fait connu à un fait non connu ».
151