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Capitalisation d’expérience et recherche-action

Le processus de recherche-action intègre spontanément la capitalisa-tion d’expérience, s’en nourrit et produit de la matière supplémentaire, confrontée et révisée au fil du temps.

Les formations pratiques et universitaires, mais aussi les formations de formateurs, sont l’un des moyens de transmission permettant de théoriser la pratique puis de réinjecter les leçons tirées de l’expérience dans l’action. Voici quelques exemples :

– Certaines associations développent des partenariats avec l’université, c’est le cas décrit ci-après de la Fondation Terre des hommes – Lausanne avec l’université de Fribourg. Des allers-retours très pratiques sont établis entre les deux institutions.

– C’est aussi l’exemple du séminaire Sigecad à l’université Paris-Dauphine, qui s’articule autour de la recherche et de l’action et traite de la gestion des connaissances.

– Ce sont finalement des cycles spécialisés comme le mastère profes-sionnel de sciences politiques « Action publique européenne et interna-tionale » avec une spécialité « solidarité internainterna-tionale, action humanitaire et gestion des crises » de l’université de Lille-II.

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Exemple de partenariat entre une université et la Fondation Terre des hommes – Lausanne21

Depuis 1997, le séminaire de sociologie de l’université de Fribourg appuie la Fondation Terre des hommes – Lausanne (Tdh) dans la capitalisation de son expérience avec les projets pour enfants en situation de rue (ESR).

La collaboration est née sur demande de l’ONG, considérant l’affinité au niveau de la perspective (Convention des droits de l’enfant et la notion d’enfant-acteur). La relation entre Tdh et l’université de Fribourg est infor-melle. Les moyens investis ont été progressifs. Le partenariat s’est établi à tra-vers l’engagement à Tdh du soussigné en tant que personne ressource ESR (à 25 %), alors qu’il terminait sa thèse de doctorat consacrée aux enfants des rues en Chine. L’expérience de terrain (rapports) est périodiquement présen-tée et discuprésen-tée dans des séances de séminaire pour doctorants à l’université de Fribourg (cinq à six après-midi par année). Les demandes en appui méthodo-logique des différents terrains d’intervention ont ensuite nécessité un passage du poste à plein temps. Celui-ci est aujourd’hui occupé par deux personnes ressources qui partagent le poste à Tdh ainsi qu’un poste de maître-assistant à l’université de Fribourg. Un cours de sociologie porte actuellement sur le lien entre théories et interventions dans ce domaine spécifique.

Il est intéressant de noter que c’est par une collaboration d’abord infor-melle que la modélisation de l’intervention a été soutenue. Celle-ci arrive aujourd’hui à maturation pour une nouvelle phase de collaboration : les liens institutionnels et la synergie entre théories et interventions (recherche-action) s’en trouvent renforcés. La collaboration a contribué pour l’ONG à valoriser et à orienter ses projets, et permis à l’université de montrer l’appli-cabilité pratique de ses modélisations théoriques. Si l’ONG trouve une cau-tion scientifique et les chercheurs universitaires une validacau-tion pratique de leurs travaux, ces avantages symboliques réciproques sont différemment valo-risés en fonction du champ (académique/travail social) dans lequel se situent respectivement les deux institutions.

[…] Le regard extérieur et critique exercé à l’université sur les pratiques a donc rejailli sur les projets, a valorisé les praticiens de terrain et a permis de renforcer la modélisation et la stratégie d’intervention.

Sigecad, un séminaire qui s’articule autour de la recherche et de l’action22

Sous l’influence de la mondialisation et de l’impact des technologies de l’information et de la communication (TIC), l’organisation fermée sur ses frontières locales se transforme en organisation en réseau, sans frontières, ouverte et adaptative. Elle développe de plus en plus ses activités dans un espace planétaire à trois dimensions : une dimension globale couvrant

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21. Extrait de la fiche 9 de la Fondation Terre des hommes – Lausanne.

22. Michel Grundstein, ingénieur conseil, chercheur associé au Lamsade, université Paris-Dauphine.

l’ensemble de ses lieux d’implantation géographique ; une dimension locale correspondant au sous-ensemble de l’organisation située dans une zone géo-graphique donnée ; une dimension d’influence qui couvre le champ d’interac-tion de l’organisad’interac-tion avec d’autres organisad’interac-tions et son environnement.

Dans cet univers évolutif et compétitif, les acteurs se retrouvent dans des situations nouvelles qui accroissent leur zone d’autonomie et les transforment en acteurs-décideurs, quels que soient leurs rôles et leurs positions hiérar-chiques. Pour répondre à leurs missions, sous les conditions de coût, de délai, de qualité et de sécurité qui leur sont imposées, ils doivent consolider leurs compétences au travers de processus d’apprentissage et de décision faisant appel, au-delà de leurs connaissances individuelles, à des savoirs et à des expériences largement répartis dans l’espace global et local de leur organisa-tion et dans l’espace d’influence de celle-ci.

Dans ce contexte, la gestion des connaissances est devenue une façon d’aborder les problématiques de changement et d’innovation dans les organi-sations.

Lancé en 1997 à l’université Paris-Dauphine, par un groupe de cher-cheurs et praticiens actifs dans les réseaux de recherche en systèmes d’infor-mation, en gestion des connaissances et en aide à la décision, le séminaire Sigecad a mis en lumière trois approches de la gestion des connaissances :

– une approche centrée sur la codification de connaissances explicites, stables et bien définies (en général les connaissances scientifiques et tech-niques), relevant de l’implantation d’outils informatiques et de bases de don-nées ;

– une deuxième approche centrée sur l’échange et le partage de connais-sances tacites, conjoncturelles et dynamiques (en général les connaisconnais-sances organisationnelles), relevant du fonctionnement en réseau et de l’animation de communautés de pratiques ;

– une troisième approche centrée sur les performances de l’organisation, relevant à la fois des processus de décision, des processus d’apprentissage et de la gestion des compétences.

Essentiellement tournés vers les entreprises, ces résultats sont générali-sables aux ONG qui, par nature, sont confrontées à la même problématique que celle abordée par ce séminaire.

La recherche-action23

Transformer l’expérience en plus-value

Plus encore que d’autres secteurs professionnels (ou en voie de profes-sionnalisation), le champ de la solidarité internationale appelle une réflexion constante sur ses pratiques. La recherche-action – qui n’est qu’une des formes de cette réflexivité – permet, au terme d’une formule consacrée, de « capitali-ser l’expérience ». Les deux notions sont à vrai dire quasi consubstantielles : théoriser ce que l’on fait, c’est se donner les moyens d’améliorer ce que l’on

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23. Pascal Dauvin, maître de conférences en sciences politiques, chercheur au CERAPS-UMR CNRS 8026.

fait. Autrement dit, l’expérience réfléchie et enseignée propose un nouveau cadre à l’action. Cette dynamique ne vaut cependant que si elle évite un double écueil. Celui de la standardisation à outrance et celui de l’obsession du rendement.

Savoirs académiques, savoirs indigènes

Comme celui de la communication dans les années 1980, le champ de la solidarité internationale se professionnalise et impose aux candidats à l’expa-triation la maîtrise de savoirs spécifiques. Certains de ces savoirs sont aujourd’hui dispensés dans les universités. C’est le cas à Lille-II où vient d’ouvrir un mastère professionnel de sciences politiques « Action publique européenne et internationale » avec une spécialité « solidarité internationale, action humanitaire et gestion des crises ». L’esprit de cette formation est d’articuler grille de lecture universitaire (théorie des crises, sociologie de l’action publique, droit humanitaire) et apprentissages professionnalisants. Si le cadrage des professionnels est indispensable pour préparer les prétendants aux métiers de la solidarité internationale, le propos universitaire vaut par sa volonté de mettre l’objet à distance et de proposer des clés de compréhension du monde utiles au-delà des cas d’espèce.

De la signification des rhétoriques expertes

La professionnalisation appelle une codification qui vise à unifier les pra-tiques et les rendre plus opérationnelles. Cette codification est assurée par des

« agents autorisés » reconnus socialement compétents pour conceptualiser l’action. Le champ de la solidarité internationale ne fait pas exception à la règle ; il produit des experts qui contribuent, par leurs travaux, à dire ce que doivent être les bonnes pratiques. Ces réflexions sont intéressantes du fait de leur contenu, mais aussi du fait de la forme qui sert à les exprimer. Il faut comprendre que les rhétoriques expertes qui définissent les modalités de l’action visent à donner du crédit, « à faire sérieux », quitte à ce que les concepts aux allures scientifiques fassent l’objet d’appropriations multiples ou cachent des réalités différentes d’un auteur à l’autre. Le constat de cette plas-ticité ne doit pas étonner. C’est même ce qui fait son efficacité sociale. En effet, en permettant d’accueillir des représentations différentes, le concept laisse l’illusion d’une uniformisation irréductible (signe de professionna-lisme), tout en garantissant des marges de manœuvre ou des espaces d’imagi-nation dont on peut penser qu’ils sont plus que nécessaires dans le domaine de la solidarité internationale.

4.

Capitaliser l’expérience des actions