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Capacités requises aux cartes: domaines d'étude pour l'IA

Un système général de jeu de cartes Un domaine intéressant pour l'IA

5. Capacités requises aux cartes: domaines d'étude pour l'IA

Nous abordons dans cette partie l'intérêt des jeux de cartes pour l'intelligence artificielle. Nous allons voir que les mécanismes mis en jeux touchent directement cette discipline et que ces mécanismes sont nombreux et intéressants. La figure 1 montre les mécanismes généralement utilisés dans chacune des classes de jeu définies au §4.

5.1. Modélisation du jeu - Estimation des probabilités

Il s'agit de se représenter l'état du monde en déterminant l'emplacement des cartes à l'aide de sa mémoire et de son intelligence, à savoir ici, une bonne analyse des coups joués par les autres participants.

A titre d'exemple, considérons la situation suivante au Tarot:

J1 ouvre avec le Roi. J2 coupe avec le 2 d'atout.

En se référant à la règle du jeu qui stipule que le joueur doit fournir de la couleur demandée (ici ) si il en possède, nous déduisons que J2, n'ayant pas mis de , ne peut en posséder.

L'analyse des coups n'est malheureusement dans de nombreux cas pas aussi simple et aussi nette que pour ce dernier exemple. Certaines analyses aboutiront en effet sur des conclusions plus ou moins incertaines et imprécises.

Toujours au tarot, considérons l'annonce d'une Garde faite par un joueur A. Cette annonce nous renseigne de manière imprécise sur le jeu de A. Elle signifie que A possède très probablement un bon jeu, mais pas excellent, auquel cas ce dernier aurait fait une annonce plus importante, par exemple une Garde Sans, voire une Garde Contre. A possède donc, ou bien une longue à l'atout ou beaucoup de points ou beaucoup de bouts, ou encore un mélange des trois... On ne pourra néanmoins pas dire quelles cartes il a ou il n'a pas à moins bien sûr que nous possédions les 3 bouts ainsi que beaucoup de points: il sera alors clair, à condition que le joueur soit raisonnable, qu'il n'a pas pris sans posséder un nombre minimum d'atouts.

Lorsque nous n'avons aucune information concernant la position des cartes ou que les informations sont incertaines, il est intéressant de savoir estimer la probabilité de leur emplacement et par là-même d'autres probabilités utiles au jeu.

Il est par exemple souvent utile à la belote de connaître plus ou moins précisément la probabilité qu'au moins un joueur adverse n'ait pas de la couleur demandée et qu'il ait de l'atout. On saura ainsi si ce dernier risque de couper et remporter le pli.

5.2. Modélisation des autres joueurs

Indispensable, nous l'avons signalé (§ 4.4), au poker, la capacité de modéliser les autres joueurs est utile dans de nombreux jeux. La modélisation des intentions d'un joueur peut permettre de prédire le coup qu'il

va choisir. Elle permet donc de limiter la combinatoire et de deviner l'influence d'un choix à plus long terme. De plus, lorsque les connaissances et le comportement des autres joueurs sont bien modélisés, les prédictions sont plus précises et plus exactes que si on considère l'équiprobabilité de leur choix. La qualité de jeu s'en trouve nettement améliorer.

Considérons la situation suivante du jeu de l'ascenseur:

chacun des 4 joueurs J1, J2, J3 et J4 possède 2 cartes. La couleur d'atout est . J1 annonce qu'il fera 1 pli (et 1 seul). J2 annonce 0 pli. J3 annonce 1 pli et J4 1 pli aussi.

La somme totale des annonces (3) dépassant le nombre total des plis qui seront réalisés, les joueurs savent qu'ils auront des difficultés à faire les plis qu'ils ont annoncé. On dit que le jeu est à qui gagne gagne par opposition à qui perd gagne.

J1 entame avec le Roi, J2 suit avec le 9. J3 a alors le choix entre l'As et le 2, qui sont, rappelons-le tous les deux des atouts.

Pour faire le meilleur choix, J3 devra envisager les diverses situations possibles pour la main de J4 et prédire le choix de ce dernier pour chacun des cas. Dans la situation où J4 a un et un par exemple, J3 pourra faire le raisonnement suivant: si je joue le 2, J4, désireux de faire un pli (qui gagne gagne), jouera son atout et remportera le pli; J3 réalisera ainsi son contrat en remportant le pli suivant avec son As. Si J3 n'avait pas modéliser le raisonnement de J4, il aurait considéré le cas équiprobable où J4 choisit le

et celui où il choisit le , ce qui l'aurait amené à la conclusion qu'il avait 1 chance sur 2 de réaliser son contrat, et 1 chance sur 2 d'échouer (en remportant 2 plis). J3 passerait donc plus de temps à envisager un plus grand nombre de situations, et ses conclusions seraient moins proches de la réalité.

Dans cet exemple, J4 est modélisé comme étant raisonnable, indépendamment de sa personnalité. Un joueur peut être représenté par des critères plus personnels, comme son ambition, son aversion au risque, son habileté au jeu. Un bon joueur prendra par exemple plus de risque face à un joueur inexpérimenté.

La modélisation d'un joueur comporte donc 2 niveaux de connaissances: des connaissances globales sur ses caractéristiques individuelles, et des connaissances sur ses choix dans une situation particulière du jeu.

5.3. Le bluff

Le bluff est l'action de mentir, ou de faire croire aux autres participants en un état du monde différent de son état réel, concernant par exemple l'emplacement probable des cartes. Au poker, par exemple, où le bluff est un outil indispensable, les joueurs sont amenés à miser haut avec une main très faible afin de forcer les autres à se coucher et abandonner ainsi leurs mises par peur de perdre plus. Au contraire, avec une main forte, un joueur de poker va souvent miser faiblement pour que les autres participants, confiants, soient désireux de miser davantage.

Dans les jeux de levées, les impasses sont des exemples de bluff: au cours d'une partie de belote, Ouest entame un pli avec le 7. Nord, qui possède à l'As et le Valet, peut décider de faire l'impasse, c'est-à-dire de jouer le valet. Il fait ainsi croire _ du moins laisse-t-il un doute_ à Est que l'As est dans la main de Sud: Est ne se risquera probablement pas à jouer son 10. La décision prise par Nord de faire l'impasse n'a bien entendu d'intérêt que s'il pense que le 10 est dans la main de ses adversaires, et qu'il n'y a aucune chance qu'il perde le prochain pli à en se faisant couper. Ce risque ne peut être pris que par un attaquant.

5.4. Les alliances

Certains jeux se déroulent par équipe. Citons la belote où 2 équipes de 2 sont fixés au préalable et tout au long du jeu, le tarot où les équipes sont définies à chaque partie par le désignation du preneur et de son contrat.

D'autres jeux sont propices à la constitution d'alliances qui ne découlent pas, contrairement à la constitution des équipes, directement et uniquement des règles du jeu, mais aussi de la personnalité et des traits des participants. Cet aspect de la constitution des alliances en fait un problème difficile à traiter.

Par exemple, au cours d'un jeu quelconque à 3 joueurs A, B et C, la situation ci-après se présente: le joueur A est en tête alors que les 2 autres B et C, en arrière, sont sensiblement à même hauteur. Selon si le but de B est de terminer premier (1) ou de ne pas arriver dernier (2) en fin de jeu, il décidera de s'allier plutôt avec C (1) afin de ralentir A, de le rattraper et le dépasser, ou avec A (2) pour distancer C et s'assurer ainsi une deuxième place.

La mise en place des alliances déjà délicate lorsque la parole et la négociation sont autorisés devient très subtile lorsqu'elle doit se faire de façon plus implicite comme c'est le cas dans la plupart des jeux de cartes où la transmission d'informations explicites (signes visuels, auditifs...) est prohibée.

5.5. Réflexions stratégiques

Les réflexions stratégiques, la construction de plans et leur mise en œuvre, sont utilisés dans les jeux de stratégies, à savoir les jeux de levées ou de combinaisons. Ils font en effet intervenir des concepts valables pour un grand nombre de jeux et utiles dans de nombreux problèmes de la vie courante, concepts d'un niveau d'abstraction plus élevé (avoir le trait, force des pièces ou cartes, être en attaque, en défense...). Alors que la difficulté pour l'IA de la plupart des jeux de stratégie classique (échec, go...) réside dans le grand nombre de coups légaux à chaque tour, aux cartes, elle réside essentiellement dans l'incomplétude des informations. Dans les deux cas, l'utilisation d'une force brute combinatoire est impossible. Dans les deux cas, le sujet élaborent des plans, utilise des heuristiques basées sur une analyse plus ou moins grossière du jeu.

5.6. Gestion du risque

La représentation explicite de l'inconnu dans les jeux de cartes (jeux à informations incomplètes) en font des jeux relativement adaptés à une étude sur la gestion du risque. En règle général, le perdant prend des risques pour gagner, le gagnant est plutôt prudent. A plusieurs joueurs, le choix d'une prise de risque est plus complexe, dépendant aussi des ambitions des joueurs.

Jeux de hasard Jeux de mémoire Pokers Jeux de stratégie Modélisation du jeu

-Estimation des probabilités ++ ++ ++ ++

Modélisation des joueurs - - ++ +

Bluff - - ++ +

Les alliances - - - ++

Réflexions stratégiques - - - ++

Gestion du risque + - ++ ++

Légende: - inutile + utile ++ important

Fig.1: Capacités mises en jeu dans les différentes classes des jeux de cartes

5.7. Interdépendances des capacités

La grosse difficulté pour l'élaboration d'un système de jeux de cartes accompli est l'interdépendance des capacités mises en jeu. La figure 2 résume ces dépendances.

La modélisation du plateau de jeu (l'emplacement des cartes) et l'estimation des probabilités est à la base de toute autre réflexion.

La modélisation des joueurs peut porter sur tous les types de connaissances puisqu'il s'agit d'une modélisation des connaissances des autres joueurs. Cette modélisation pour être complète nécessite donc l'existence préalable de connaissances dans tous les domaines précités.

Le bluff fait intervenir 3 aspects. Une modélisation des autres joueurs et l’estimation des probabilités sur le lieu des cartes permettent d'évaluer la situation. La décision de bluffer est ensuite une décision de prise de risque.

La gestion de risque est basée sur une étude de l'incertain (probabilités). Elle est fondamentale pour la prise de décision, qu'elle intervienne au cours d'un choix stratégique, ou qu'elle soit relative à une décision de bluffer. Elle nécessite aussi souvent, comme nous l'avons vu précédemment (§ 5.4), une modélisation préalable des alliés du fait de l'impossibilité de communication directe dans la plupart des jeux de cartes. Les alliances sont souvent utiles pour la réalisation de buts à long terme, stratégiques.