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Chapitre 2 — Cadres théorique et conceptuel

2.1 Cadre théorique

Au fil du temps, plusieurs théories ont été proposées dans le vaste domaine des sciences sociales afin d’expliquer comment les humains fonctionnent, changent et s’adaptent durant leur vie. La théorie sociocognitive développée par Bandura (1986, 1989) s’avère l’une des plus utilisées dans divers domaines de recherche pour expliquer, prédire et opérationnaliser le comportement humain (Carré, 2004). Elle explique que « le fonctionnement humain est le produit d’une interaction dynamique et permanente entre des cognitions, des comportements et des circonstances environnementales » (Bandura, 2007, p. VI). Comme le souligne Carré (2004), la théorie sociocognitive « accorde un rôle central aux processus cognitifs, vicariants, autorégulateurs et autoréflexifs dans l’adaptation et le changement humains » (p. 18). La théorie sociocognitive présente donc l’avantage d’unifier les théories sociale, comportementale et cognitive offrant ainsi un cadre de référence riche et solide pour comprendre le fonctionnement humain. À l’instar de cette thèse, il s’agit aussi de la théorie retenue par les auteurs Kauffman et al. (2018) dans leur célèbre ouvrage de référence sur les caractéristiques des troubles comportementaux et émotionnels des enfants et des jeunes.

Développé dans le cadre de cette théorie, le modèle de causalité triadique réciproque intègre quant à lui l’influence des volets cognitifs, sociaux et comportementaux (Bandura, 1986). Il stipule que le fonctionnement des individus se voit constamment influencé par des relations réciproques entre des déterminants : 1) personnels (p. ex. habiletés, connaissances, sentiments, croyances, attitudes, stress) ; 2) comportementaux (p. ex. schéma d’actions, engagement, évitement) et 3) environnementaux (p. ex. contexte social et organisationnel, contraintes,

stimulations). Bien que ces interactions soient permanentes, les forces entre les trois déterminants du fonctionnement humain varient selon les situations, les activités et les contraintes pouvant amener l’un ou l’autre des déterminants à être la cause principale d’un comportement (Carré, 2004). À cet égard, Carré (2004) précise que :

« par sa modélisation de la causalité triadique réciproque, la théorie sociocognitive construit une représentation ouverte du fonctionnement humain, échappant aux conceptions binaires et aux interactionnismes simplistes. Dans cette vision, à la fois acteurs de leur devenir et reliés à leurs contextes sociaux et physiques d’existence, les gens sont les coproducteurs de leurs vies. […] Ce sont les anticipations de l’individu, filtrées par la mémoire, les interprétations personnelles et toutes sortes de biais et de reconstructions personnelles qui transforment l’expérience « brute » de l’environnement pour produire un comportement donné. » (p. 31).

Bref, les comportements d’une personne sont le fruit de ses anticipations, de ses interprétations personnelles, de ses expériences et de ses biais (Carré, 2004). Le modèle de causalité triadique de Bandura (2007, 2012), présenté à la Figure 1, représente donc un cadre d’analyse complet pour expliquer le fonctionnement humain dans toute sa complexité.

Figure 1. Modèle de causalité triadique réciproque selon la théorie sociocognitive

Premièrement, l’axe « personne-environnement » réfère à la théorie sociale qui explique les interactions entre les facteurs environnementaux et les facteurs personnels, incluant les

Fonctionnement

humain

(agentivité humaine) Déterminants

personnels

Aspects cognitifs (schémas de pensées), réactions émotionnelles,

psychologiques et physiologiques

Déterminants environnementaux Contexte, climat, circonstances, contraintes, stimulations, soutien,

influences sociales, interventions Déterminants

comportementaux Schéma d'actions, engagement,

évitement, motivation, persévérance, abandon

caractéristiques personnelles et internes d’un individu. D’une part, les influences sociales et les environnements peuvent modifier les personnes (p. ex. leurs attentes, cognitions, conceptions, attitudes, émotions) à travers, par exemple, les principes de modelage, d’apprentissage social ou de persuasion sociale (Bandura, 1986, 1989). D’autre part, les personnes, à travers leurs caractéristiques (p. ex. leurs genre, sexe, âge, apparence physique, race ou réputation), leurs rôles ou leurs statuts sociaux peuvent également provoquer différentes réactions sociales dans les environnements dans lesquels elles évoluent (Bandura, 1989).

Deuxièmement, l’axe « environnement-comportement » renvoie à la théorie comportementale qui explique les interactions entre les facteurs environnementaux et les facteurs comportementaux. D’une part, les comportements (p. ex. engagement, persévérance, évitement ou abandon) d’un individu influencent les réactions de l’environnement (p. ex. renforcement, punition, ignorance). D’autre part, les conditions et circonstances environnementales (p. ex. les antécédents [avant] et les conséquences [après]) influencent également les comportements et les actions qu’une personne adopte. Il est donc possible d’envisager les personnes à la fois comme produit et producteur de leur environnement à cause des interactions réciproques entre l’environnement et les comportements (Bandura, 1989). Par exemple, les personnes agressives ont tendance à créer des environnements hostiles autour d’eux alors que les personnes sociales ont tendance à générer des environnements agréables.

Troisièmement, l’axe « personne-comportement » correspond à la théorie cognitive qui explique les interactions entre les facteurs comportementaux et les facteurs personnels internes comme les cognitions et les émotions d’une personne. D’une part, les comportements (p. ex. engagement, persévérance, évitement ou abandon) d’une personne déterminent en partie ses schémas de pensées et ses réactions émotionnelles. D’autre part, les facteurs personnels (p. ex. attentes, représentations, prises de conscience, conceptions, intentions, pensées, croyances, attitudes, perceptions ou buts) influencent également les comportements et les actions qu’un individu choisit d’adopter (Bandura, 1989).

Appliqué à ce projet de recherche doctorale, le modèle de causalité triadique réciproque de Bandura (2007, 2012) permet donc d’étudier, d’expliquer et d’opérationnaliser l’expérience scolaire en mettant en relation : 1) les caractéristiques individuelles des élèves (facteurs personnels : âge, genre, niveau scolaire, rendement scolaire, difficultés comportementales) ; 2)

leurs comportements (facteurs comportementaux : engagement, persévérance, évitement, abandon) et 3) leurs environnements (facteurs environnementaux : pratiques de gestion de classe des enseignants et types d’écoles fréquentées). Le modèle de causalité triadique réciproque permet ainsi de documenter les influences réciproques de l’environnement scolaire (p. ex. pratiques de gestion de classe), des comportements des élèves (p. ex. choix, actions et parcours scolaires) et des caractéristiques personnelles de l’élève (ex. âge, genre, attitudes, profils comportementaux) sur leurs expériences à l’école (p. ex. positives ou négatives). L’adaptation du modèle de causalité triadique réciproque de Bandura (2007, 2012) aux fins de ce projet de recherche doctorale est présentée à la Figure 2.

Figure 2. Modèle de causalité triadique réciproque adapté à ce projet de recherche

L’adaptation du modèle de causalité triadique réciproque à ce projet de recherche représente donc un cadre théorique solide, pertinent et complet pour atteindre les objectifs. Cette adaptation place d’ailleurs l’expérience scolaire au centre des trois déterminants puisqu’elle représente un des principaux objets d’étude de cette thèse ainsi que sa source brute des données, étant donné qu’elle est directement fondée sur les expériences vécues à l’école par les élèves PDC. Cette place centrale lui est également accordée puisque l’expérience scolaire se construit au quotidien et est constamment influencée par des facteurs environnementaux, comportementaux et personnels. Par exemple, l’expérience scolaire d’un élève PDC est teintée

Expérience

scolaire

Facteurs personnels

Ex. : âge, genre, perceptions, attitudes, sentiments, estime de soi, autonomie, identité, maturité, difficultés, réputation, connaissances,

habiletés, stress, intentions, attentes, buts, parcours, niveau et rendement scolaires

Facteurs environnementaux Ex. : pratiques de gestion de classe,

type d'école fréquentée, contextes, contraintes, soutien et influences sociales (relations interpersonnelles) Facteurs comportementaux

Ex. : schémas d'actions (engagement, persévérance, évitement, abandon) et choix relatifs au programme d'études

par ses perceptions, ses attitudes et ses valeurs (facteurs personnels), par ses choix comportementaux et scolaires (facteurs comportementaux) et par les milieux dans lesquels il évolue, avec ses contraintes et opportunités (facteurs environnementaux).

Il est toutefois important de souligner qu’une des limites que peut présenter ce modèle est la difficulté à déterminer avec certitude le sens de la causalité (c’est-à-dire : qu’est-ce qui influence le plus quoi ?), puisque les interactions entre les différents facteurs sont bidirectionnelles et complexes. Il est également important de noter que la manière dont les élèves PDC perçoivent et jugent leur expérience scolaire demeure relativement subjective, puisqu’elle correspond aux sens qu’ils lui donnent. Par exemple, la manière dont ils perçoivent les pratiques de gestion de classe des enseignants pourraient amener un élève à concevoir son expérience scolaire comme chaleureuse et bienveillante alors qu’un autre élève de la même classe ou de la même école pourrait la percevoir comme froide et décourageante (Soheili, Alizadeh, Murphy, Bajestani et Ferguson, 2015 ; Stork et Hartley, 2009). Cette thèse prévoit donc de recourir à différentes méthodes de recherche afin de documenter les facteurs personnels, comportementaux et environnementaux qui influencent l’expérience scolaire des élèves PDC et d’étudier en profondeur leurs perceptions vis-à-vis des pratiques de gestion de classe des enseignants.