• Aucun résultat trouvé

Les enseignants spécialisés de ma recherche ont la mission d’enseigner auprès d’élèves autistes. Aujourd’hui, suite à la loi de 2005 sur la scolarisation des élèves handicapés, l’inclusion des enfants autistes est une réalité scolaire que les enseignants doivent se représenter et assumer. Cette représentation du handicap par les enseignants au sein du dispositif scolaire est un changement de perspective et de mode de pensée. Certains chercheurs comme Jean-Sébastien Morvan, psychologue clinicien, Charles Gardou, anthropologue, Éric Plaisance, sociologue, Brigitte Chamak, sociologue et neurobiologiste, essaient de recueillir avec différentes perspectives de recherche des données sur ce changement de représentation.

Ce changement de représentation est chargé de la douleur des parents qui doivent accepter leur enfant tel qu’il est et non tel qu’ils le voudraient. Jean-Sébastien Morvan99 relate, suite à des entretiens avec des parents ayant un enfant handicapé, que ces parents ont une représentation négative d’eux-mêmes et à l’égard des autres (Morvan, 2010). Nikè, enseignante spécialisée avec laquelle je me suis entretenu lors de ma recherche, m’a relaté qu’elle percevait chez les parents d’élèves autistes des difficultés à aller vers elle, enseignante, ou vers les administratifs de l’établissement scolaire. Éric Plaisance compare les types de scolarisation des enfants handicapés dans l’Union européenne où la loi sur le handicap est similaire puisque l’origine de celle-ci provient d’une décision de l’Europe. Éric Plaisance100 constate qu’en France la scolarisation des enfants handicapés est « un système

mixte ». La scolarité des enfants handicapés peut s’effectuer en classe ordinaire dans une

école. L’élève autiste peut bénéficier d’aides spéciales à l’intérieur ou à l’extérieur de l’école. La scolarité peut aussi s’effectuer en milieu spécialisé avec des échanges avec le milieu ordinaire (Plaisance, 2009). Dans mon corpus, les C.L.I.S. de Maria, d’Echo, l’U.L.I.S. de

99

Morvan, J.-S. (2010). L’énigme du handicap traces, trames, trajectoires. Toulouse : Érès, p.70. 100 Plaisance, É. (2009). Autrement capables. Paris : Éditions Autrement, p.117.

Nikè et celle d’Hercule répondent à ce système mixte. Le I. des sigles C.L.I.S. et U.L.I.S. signifie « inclusion » qui remplace « intégration ».

Éric Plaisance fait une différence entre les pratiques inclusives et les pratiques intégratives. Je retiendrai trois points concernant les « pratiques intégratives », à savoir « l’insertion

d’enfants avec besoins particuliers dans l’école ordinaire, un système différencié selon le handicap, des enseignants spécialisés comme soutien aux enfants avec besoins particuliers ».

Ainsi, le système éducatif français serait dans un modèle intégratif alors que l’appellation des classes et unités est censée mettre ces espaces d’enseignement dans un modèle inclusif. Éric Plaisance101 écrit à propos de ce changement de concept que les pratiques intégratives sont

« l’insertion d’enfants avec besoins particuliers dans l’école ordinaire » et que les « pratiques inclusives » sont que « tous les enfants vivent et apprennent ensemble à l’école ordinaire, dans un système inclusif pour tous et que les enseignants spécialisés sont un soutien aux enseignants, aux classes et aux écoles ». Ce modèle inclusif demande « un changement de toutes les pratiques pédagogiques, générales et spécialisées » ainsi qu’un « travail en équipe » (Plaisance, 2009). Les enseignants spécialisés de mon corpus ne relèvent

pas de ce modèle d’enseignement inclusif car les pratiques du terrain n’ont pas encore intégré ces changements.

Charles Gardou102 pense que ce « concept d’inclusion n’est qu’un « écran de fumée

rhétorique, une danse avec des mots venus artificiellement se substituer à leurs ancêtres forgés autour de la notion d’intégration ». Il ajoute qu’une « société inclusive est une société sans privilèges, sans exclusivités ni exclusions » (Gardou, 2012). Je constate dans les discours

des enseignants spécialisés qu’ils ne prennent pas acte de ce changement de paradigme. Pour eux, l’intégration, l’inclusion sont deux signifiants de même sens. Il me semble qu’ils oeuvrent plutôt vers un changement des représentations au niveau des personnes de leur environnement scolaire, ce qui va dans le sens d’un début de changement vers une société inclusive. Cette société inclusive, si l’on se réfère à la définition de Charles Gardou, ne devrait pas prendre en compte les besoins éducatifs particuliers des élèves, ce qui est pourtant le fondement de la prise en charge des élèves handicapés par les enseignants. La notion de besoins éducatifs particuliers d’un élève handicapé fait porter l’attention sur « la dimension

des apprentissages pour tous et refuse les éventuelles déficiences » (Plaisance, 2009). Cette

notion est fondamentale dans une pratique intégrative. Éric Plaisance compare ce « courant

101

Ibid. p.110. 102

des besoins particuliers » à un autre courant, celui des « disability studies qui met l’accent sur la conquête des droits des personnes handicapés » et « aspire à une modification profonde des rapports sociaux » (Plaisance, 2009).

Brigitte Chamak103, à partir d’entretiens avec des personnes autistes de haut niveau cognitif, et de lecture de leurs écrits, a constaté un mouvement similaire à celui décrit par les « disability studies ». Des associations d’adultes autistes se créent aux Etats-Unis pour reprendre la parole qui a été confisquée par les associations de parents, et revendiquent une

« participation à la définition de l’autisme et de nouvelles prises en charges » ainsi qu’une

redéfinition de « l’autisme comme une différence et non comme une maladie ou un

handicap » (Brigitte Chamak, 2005). Brigitte Chamak et Béatrice Bonniau104 écrivent que ces associations de personnes autistes se sont emparées du « concept de neurodiversité » et

« redéfinissent l’autisme comme un autre mode de fonctionnement cognitif », « un mode de pensée différent ». De plus, ces associations élaborent « une culture propre avec un vocabulaire et des expressions nouvelles comme « neurotypiques105 », « aspies106 » et « auties107 », comme dans le cas des minorités ethniques ou sexuelles » puisqu’un « autistic Pride Day » existe depuis 2005 aux Etats-Unis (Brigitte Chamak & Bonniau, 2014). Cette

culture « Aspies », nouvelle représentation sociétale aux Etats-Unis, préfigure peut-être avec un peu d’avance ce qui se passera en France. Les « aspies » et les « auties » sont donc des sujets à part-entière et ont leurs propres espaces d’énonciations.

En France pour l’instant, une « posture de guerre »108 s’est installée entre les psychiatres psychanalystes et les diverses associations de parents qui demandent la création de centres ou d’écoles appliquant les thérapies éducatives et comportementales (le T.E.A.C.C.H. et l’A.B.A.), recommandées par la H.A.S.. De plus, les dires des associations de parents sont médiatisés positivement par les médias (B. Chamak, 2013). Lors du colloque international Cliopsy de 2013, Florence Vallade109, sociologue et enseignante spécialisée, a évoqué son

103

Chamak, B. (2005). Les récits de personnes autistes: une analyse socio-anthropologique. Handicap-Revue de

Sciences Humaines et Sociales, (105-106), 33–50, p.16.

104

Chamak, B., & Bonniau, B. (2014). Neurodiverdité : une autre façon de penser. In Neurosciences et société

enjeux des savoirs et pratiques sur le cerveau (pp. 211–230). Paris : A. Colin, p. 211 et 212.

105

Neurotypiques : nom donné aux personnes qui ne sont pas autistes. 106 Aspies : personnes qui présentent un syndrome Asperger.

107

Auties : autistes. 108

Chamak, B. (2013). La prise en charge de l’autisme : le traitement médiatique. Neuropsychiatrie de l’Enfance

et de l’Adolescence, 61(4), 231–235, p. 2 et 4.

109

Vallade, F. (2013). Chronique d’une rupture annoncée : autisme et psychanalyse, ou le processus de définition d’un problème public. Communication présentée au colloque international : De la psychanalyse en sciences de l’éducation-ruptures et continuités dans la transmission, Université Paris 8, Saint Denis.

analyse de plus de trois cents articles provenant de la « scène médiatique ». Elle conclut à une guerre des associations de parents contre la psychanalyse. Elle relève un « flou sémantique » à propos de l’autisme au niveau de son « étiologie », de sa « nosographie » et de la

« sémiologie ». Cette posture de guerre peut devenir une posture de paix lorsque

neurosciences et psychanalyse pourront se rencontrer, ce qui est possible à travers le concept de neuro-psychanalyse que je développerai à la fin du chapitre. Florence Vallade conclut ainsi sa communication en faisant référence à ce concept.

Les associations de parents relayées par les médias influencent les « plans autisme » successifs. Le troisième « plan autisme110 » recommande les méthodes citées plus haut et la création d’unités d’enseignements spécifiques dans les écoles maternelles. Dans mon corpus, Echo, enseignante en C.L.I.S., a été la première à me dire que sa classe allait se transformer en U.E.. De plus, Echo ainsi qu’Hercule disent s’inspirer des méthodes T.E.A.C.C.H. et A.B.A.