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Chapitre 2 : Appréhender le discours des survivantes

5. Cadre Conceptuel

Nous allons explorer le point de vue des femmes sur leur survivance à la violence organisée. Alors que notre point de départ est l’expérience d’une situation de violence organisée, nous voulons aussi regarder comment les femmes s’adaptent à de telles situations et à la suite de telles situations. Nous avons aussi choisi d’explorer les sens (interprétations, compréhensions, significations) qu’elles reconstruisent aujourd’hui dans la construction même de leurs récits, le parcours qu’elles ont choisi et les thèmes qu’elles abordent.

5.1. Le vécu de violence organisée

Le point de vue des femmes sur le « vécu de violence organisée » est donc le point de départ de notre observation. Nous voulons comprendre comment les femmes témoignent aujourd’hui de ce vécu et comment elles interprètent ces expériences en écoutant leurs récits. Comme nous l’avons vu, le vécu de violence organisée implique d’abord la présence d’événements « traumatiques », c’est-à-dire d’événements qui menacent la survie physique ou psychique d’un individu ou celles des autres. Il nous renvoie aussi à l’expérience possible d’une revictimisation issue des réponses sociales mises en place en situation de violence organisée.

La violence organisée fait référence aux actes perpétrés par différents groupes organisés (militaires, milices, paramilitaires, corps policier, etc.) contre les populations civiles. Elle se caractérise par une série de mesures répressives qui peut se manifester avant, pendant et après un conflit armé. Elle inclut toutes formes de violations des droits de l’homme qui peuvent se dérouler sur un territoire local, régional ou transnational. Par son caractère systématique, elle institue la terreur et la méfiance sociale et occasionne des déplacements massifs de population. La souffrance sociale fait référence aux réponses sociales qui ont comme résultat, recherché ou pas, de revictimiser les survivants. Ces réponses sociales sont conçues par les institutions étatiques et culturelles (l’ONU, le HCR, les institutions humanitaires et les ONG, les institutions biomédicales, juridiques, etc) et elles engendrent trop souvent une revictimisation, car elles ont comme effet, entre autres, de dépolitiser l’origine sociale de la souffrance en contexte de violence organisée, de ne pas reconnaître certains groupes de victimes et de nier l’autorité des survivants sur sa propre expérience et son rétablissement.

5.2. La réponse active des femmes

La survivance implique la réponse du survivant. Un agir pour résister, s’adapter, améliorer ses conditions d’existence et celles des autres, et survivre. Nous voulons comprendre comment les femmes parlent de ce qu’elles ont fait ou pu faire pour surmonter l’adversité rencontrée. Pour y parvenir, nous avons analysé les descriptions de leur agir et les facteurs influençant leur capacité à agir dans leurs récits d’expériences.

Par réponse active nous faisons référence à l’ensemble des pratiques mises en place par les survivants devant une situation occasionnée par la violence organisée. Elle inclut tous les actes, réactions, engagements, initiatives, tentatives considérées par les femmes en vue de répondre aux situations vécues. Elle inclut aussi les actes individuels et collectifs, ceux posés pour soi ou autrui et ceux posés en face d’une situation. La capacité à agir fait référence aux variables qui restreignent ou facilitent l’agir. Dans la description de ce qu’elles ont fait, nous avons choisi d’analyser deux variables : le capital humain et le capital social. Le capital humain fait référence à l’âge, l’état de santé et l’ensemble des aptitudes, talents, qualifications et expériences qu’un individu acquiert à travers son

expérience de vie et qui peut influencer sa capacité à agir dans un contexte donné. Le capital social fait référence à la somme des ressources dont dispose un individu du fait qu’il a accès à des réseaux de relations, de connaissances et de reconnaissances mutuelles, plus ou moins institutionnalisés et qui peut influencer sa capacité à agir dans un contexte donné.

5.3. La place du sens

Finalement, la survivance implique un processus de construction de sens à l’égard du vécu de violence organisée. À partir de l’analyse de leurs récits d’expériences, il s’agit d’appréhender le sens qu’elles ont donné aux expériences afin de composer avec ces situations. Nous avons autant cherché à explorer les sens qui ont agi directement sur leur survie que ceux qui leur ont permis de rétablir une cohérence et une continuité quinze ans après les événements.

Durant les situations de violence organisée, l’élaboration de sens par rapport à l’expérience vécue peut permettre à l’individu de mieux s’adapter, résister et supporter la souffrance. On dit que l’élaboration de sens joue un rôle essentiel dans la survie, car elle permet à l’individu d’interpréter son expérience pour se trouver des raisons d’exister et ainsi agit comme une force motrice de l’action. Pour parvenir à étudier le rôle du sens dans leur survie, nous avons choisi d’explorer autant les sens (significations, interprétations, compréhensions) qui leur ont permis de maintenir l’espoir, de construire un rapport positif à soi et à autrui, que ceux qui ont motivé leur agir. Dans le rétablissement des survivants, l’élaboration de sens est au cœur du processus de reconstruction et d’établissement d’une continuité entre le passé et le présent.

Nous avons choisi d’étudier, dans la construction même de leurs récits, les sens qu’elles tentent de véhiculer au sujet de leur propre histoire. En explorant le parcours choisi pour raconter leur histoire (la structure) et les thèmes qu’elles abordent, nous visons à dégager autant les thèmes qui émergent et donnent du sens à leur témoignage, le rendent cohérent quinze ans après les événements.

6. Approche méthodologique