• Aucun résultat trouvé

Nous nous appuierons sur le champ de la sociologie pour tenter de répondre à ces questions, et plus précisément sur les courants de la sociologie dispositionnaliste et de l’interactionnisme symbolique.

1. La sociologie dispositionnaliste

Dans ce courant, l’action de chacun se façonne sur des dispositions incorporées en amont, ce qui implique une définition de l’individu plurielle mais aussi définitive (Lahire, 1998). Ce courant a été largement développé dans notre première partie. Ce que nous retiendrons pour cette étude est que les dispositions incorporées par les individus influencent leurs représentations et leur intention ou non de s’engager aux SGDF. Il est donc important de tenir compte de la mémoire, de l’habitude et du passé incorporé par les individus. Néanmoins, en traversant une sphère de socialisation nouvelle telle que le scoutisme, les individus peuvent construire de nouvelles dispositions, potentiellement concurrentielles avec la socialisation primaire intériorisée. Ces dispositions seront activées dans les contextes propices, mais risquent d’être désactivées lors du retour dans la cité.

2. L’interactionnisme symbolique :

L’interactionnisme symbolique (IS) prend moins en compte les socialisations antérieures que le courant dispositionnaliste. L’IS part du principe d'une définition de la réalité qui est à la fois progressive et animée par les rencontres entre les personnes : l’interaction individuelle est au fondement de la vie sociale. Ce courant, qui trouve son origine dans l’Ecole de Chicago, s’est développé sur la base d’une méthode « qualitative », et vise à réintroduire le point de vue des acteurs dans l’analyse des phénomènes sociaux. Les principales influences de l’IS proviennent de la philosophie de J. Dewey et de la psychologie sociale avec G. H. Mead (à qui l’on doit de concept de « socialisation ») : pour eux, la réalité n’est pas donnée, elle relève d’une « transaction » constante et variant en fonction des interactions. En adoptant une posture davantage « subjectiviste » et

Cadre conceptuel d’analyse

Vivre une expérience de scoutisme en Seine-Saint-Denis : une « parenthèse » porteuse d’enjeux éducatifs ? 92

« individualiste », la démarche de l’IS souhaite comprendre le sens des phénomènes et des rapports sociaux. Pour ce faire, ce courant relevant d’un paradigme « constructiviste », porte un regard sur les constructions sociales qui découlent des interactions entre les individus. Contradictoires, complémentaires, voire conflictuelles, ces interactions humaines dynamisent la « chose » sociale, elles la construisent au jour le jour. E. Goffman considère que les individus ne peuvent être réduits à de simples « agents » des institutions sociales. Dans cette étude nous chercherons donc à parler du point de vue des acteurs que l’on va étudier pour pouvoir analyser « leur » monde, en partant du postulat de Blumer selon lequel les individus agissent en fonction des significations qu’ils donnent à leur action.

Selon Marlière (2006), « La connaissance du terrain est la condition d’une analyse de la culture des dominés ou des individus situés en « bas de l’échelle sociale » sous le signe de l’ambivalence, comme le préconisent Grignon et Passeron pour, à la fois, relever les éléments d’autonomie culturelle et appréhender les stratégies des acteurs dont les finalités peuvent diverger dans un même univers social ». C’est ce que nous allons tenter de faire pour accéder aux « coulisses » (Goffman, 1959) de l’engagement de ces jeunes et des expériences qu’ils y vivent.

3. Un choix intermédiaire : l’interactionnisme symbolique structurel Nous faisons le choix de considérer le jeu des interactions présentes tout en prenant en compte les caractéristiques culturelles des individus incorporées suite à la socialisation primaire. Nous soutenons l’idée que l’individu se forme au cours d’un processus de socialisation souple car se jouant dans une dialectique permanente entre le monde intériorisé et le monde vécu (Berger et Luckmann, op. cit.). Nous choisissons donc de prendre en considération l’histoire de nos enquêtés afin de tenir compte de leurs dispositions culturelles (qui selon nous influencent leurs représentations, l’engagement et les interprétations de l’expérience vécue), tout en étant attentifs aux interactions susceptibles de redéfinir ce qui a été incorporé et donc d’ouvrir les possibilités de socialisation secondaire lors de la parenthèse.

Cadre conceptuel d’analyse

Vivre une expérience de scoutisme en Seine-Saint-Denis : une « parenthèse » porteuse d’enjeux éducatifs ? 93

Cette position intermédiaire se justifie au regard du déclin institutionnel qui provoque le déchirement entre les cadres de socialisation et l'individu, c'est à dire la mise à distance réflexive des institutions (école, famille, etc.) par les personnes (Dubet, 2007). Ce déclin produit des socialisations primaires plus lâches, moins profondes. Bien qu’elles influencent probablement l’engagement des jeunes et des familles, les socialisations primaires peuvent être davantage redéfinies au cours des interactions ayant lieu au sein de la parenthèse. Par ailleurs, les identités sociales se fractionnent et s’individualisent, chacun d’entre nous étant constitué par la cristallisation de diverses dimensions plus ou moins cohérentes (Dubet, 2007, p. 97). De fait, les attitudes culturelles, les choix politiques, les manières de vivre et les goûts sont de moins en moins corrélés aux positions de classe des individus et chacun apparait ainsi de plus en plus singulier et multiple (ibid).

Ainsi, malgré le fait que le scoutisme soit une pratique culturelle souvent héritée des parents et relevant de dispositions façonnées au cours de l'enfance (éloignées de la culture des quartiers populaires), nous pensons qu’une fois l’étape de l’engagement dépassée la socialisation des enfants issus des classes populaires est assez lâche pour pouvoir être redéfinie au cours d’une parenthèse porteuse de sens. Ainsi, le scoutisme produit un niveau d'incertitude identitaire propice pour rendre l’adhésion au mouvement envisageable voire attractif. De plus, le fait que les pratiques soient très encadrées sur le plan normatif devient un cadre sécurisant pour les enfants et les familles, auquel s’associe un relativisme culturel (tolérance pour tout discours et toute religion) et une pédagogie structurée et moderne qui contribuent, au fil des interactions, à façonner de nouvelles représentations et un rapport positif à l’institution scoute.

Cette position intermédiaire peut renvoyer à ce que Kaufmann (2004) appelle l’interactionnisme symbolique structurel : cela désigne un courant qui se place dans la continuité de l’interactionnisme symbolique tout en prenant certaines distances, notamment vis-à-vis de la capacité des acteurs à se définir eux-mêmes dans l’interaction. Selon les tenants de cette « théorie de l’identité » (Stryker, Burke, 2000), le poids des structures sociales ne doit pas être négligé car le soi est structuré et les identités sont pétries par les rôles sociaux. Le but est

Cadre conceptuel d’analyse

Vivre une expérience de scoutisme en Seine-Saint-Denis : une « parenthèse » porteuse d’enjeux éducatifs ? 94

alors de comprendre et d’expliquer comment les structures sociales agissent sur le soi et comment le soi agit sur les comportements sociaux.

Ainsi, à l’instar de Dubet (2007), nous pensons qu’il est pertinent d’envisager une complémentarité entre les théories, car le choix d’un modèle « dur » conduit presque toujours à l’aménager. La sociologie devient alors une « boite à outils » (p. 119), dans laquelle on peut se servir pour bâtir un « style » sociologique, une manière de faire qui n’enferme pas la vie sociale dans une doctrine.

Méthode

Vivre une expérience de scoutisme en Seine-Saint-Denis : une « parenthèse » porteuse d’enjeux éducatifs ? 95

Documents relatifs