Chapitre I. Introduction
I.1. Le facteur de transcription c-Myc
I.1.6. C-Myc et lymphomagenèse B
I.1.6.1. C-Myc et lymphome de Burkitt
Le lymphome de Burkitt est composé de cellules B matures avec un index de
prolifération élevé (>95% (Hummel et al., 2006)), tel que mesuré sur coupe
d’immunohistochimie grâce au marqueur de prolifération Ki67. Ces cellules B ont un
immunophénotype de cellule B de centre germinatif. En effet, ces cellules expriment les
antigènes spécifiques du lignage B (CD20, CD79a et PAX5) et les antigènes du centre germinatif
CD10 et BCL6. D’après la classification de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le
lymphome de Burkitt est subdivisé en trois variants : 1) endémique (eBL) retrouvé en Afrique,
Amérique du Sud et en Nouvelle Guinée ; 2) sporadique (sBL) ; 3) et lié à une
immunodéficience (iBL). Dans tous les cas, le réarrangement de c-myc au locus des
immunoglobulines est obligatoire et l'activation du gène c-myc est considérée comme la
principale caractéristique pathogénique des lymphomes de Burkitt.
Le variant eBL est fortement associé au virus d’Epstein-Barr (EBV) (>90% des cas). Le
sBL est occasionnellement associé à une infection par l’EBV (10 à 20% des cas). L’EBV
représente 30% à 50% des cas de iBL (Molyneux et al., 2012). La translocation
t(8;14)/c-myc-IgH est l'aberration la plus fréquente impliquant le gène c-myc. Les translocations les moins
courantes mettent en jeu les chaînes légères d’immunoglobulines, t(2;8)/κ-myc et
t(8;22)/myc-λ (Ott et al., 2013) (Figure 9). Dans l’eBL, le point de cassure de la translocation
se produit habituellement en 5' du gène c-myc. Le gène c-myc est donc intact. Dans les cellules
normales lors de la transcription à partir de P1, l’ARN polymérase II marque une pause au
niveau du promoteur P2. Cet arrêt empêche la transcription à partir de P1 (Figure 10). On
observe un changement de promoteur de P2 à P1, qui serait dû aux régions régulatrices des
gènes de la chaine lourde d’immunoglobuline (Polack et al., 1993). On a donc une transcription
préférentielle à partir de P1 (Strobl and Eick, 1992; Strobl et al., 1993). Dans le sBL, le point de
cassure est souvent dans l'exon 1 ou l’intron 1. Les régions codantes des exons 2 et 3 sont
toujours intactes. Dans ces cas, les éléments régulateurs des amplificateurs de gène
(enhancers) de l'immunoglobuline activent la transcription de c-myc sans interaction avec les
éléments du promoteur de c-myc. La transcription est initiée dans le premier intron de c-myc.
(Pelicci et al., 1986; Shiramizu et al., 1991).
Figure 9 : Localisation des points de cassure au niveau du gène c-myc et sur le locus IgH lors du
lymphome de Burkitt (LB) (modifié à partir de (Blum et al., 2004). Les points de cassure pour t(8;14)
dans le LB endémique (eBL), le LB sporadique (sBL) et l'immunodéficience BL (HIV BL) sont représentés.
La juxtaposition de l'amplificateur Eμ sur le gène IgH du chromosome 14, les amplificateurs Ei et E3
dans le locus κ du chromosome 2 et l'amplificateur HuEλ dans le locus λ du chromosome 22 avec le
gène c-myc sur le chromosome 8 entraînent une surexpression de c-Myc dans les LB avec les
translocations t(8;14), t(2;8), et t(8;22). Dans les sBL, l'amplificateur Eμ est éliminé lors de la
translocation, ce qui indique que d'autres éléments tels que l'amplificateur lointain Eα peut être
responsable de la transcription c-myc (Lieberson et al., 1995).
Figure 10 : Représentation schématique du changement de promoteur de P2 vers P1 dans les cellules
de lymphomes de Burkitt. (ARN polymérase II : rond bleu)
Des mutations de c-myc sont retrouvées dans environ 60% des lymphomes de Burkitt
(Bhatia et al., 1993; Giulino-Roth et al., 2012). La plupart de ces mutations ciblent des
domaines fonctionnels qui augmentent le potentiel oncogénique de c-Myc. Une stabilité
accrue de la protéine ou des modifications de la fonction de transcription sont la conséquence
de ces mutations (Arnold and Sears, 2008; Rabbitts et al., 1984; Welcker and Clurman, 2008;
Yeh et al., 2004). Des mutants de c-Myc retrouvés dans les lymphomes de Burkitt ont perdu
la capacité à induire l’expression de la protéine pro-apoptotique Bim, tout en conservant son
pouvoir prolifératif (Hemann et al., 2005). Dans la plupart des cas de lymphome de Burkitt,
ces mutations sont les mutations dans le domaine de transactivation de c-Myc (P57S et T58A)
(Chang et al., 2000)
Des mutations génétiques, dites secondaires, touchant d’autres gènes sont également
essentielles pour la lymphomagenèse dépendante de c-Myc. Des mutations inactivatrices ou
des délétions de tp53 sont retrouvées dans 40% des cas de lymphome de Burkitt (Dang et al.,
2005; Farrell et al., 1991). Les mutations inactivatrices de tp53 permettent d’inhiber
l’induction de l’apoptose induite par c-Myc et contribuent à l’instabilité génomique (Cai et al.,
2015; Klapproth and Wirth, 2010). La transcription de la protéine PUMA (p53 upregulated
modulator of apoptosis) est diminuée dans 40% des lymphomes de Burkitt grâce à un
mécanisme de méthylation de l’ADN. Ainsi la lymphomagenèse induite par c-Myc est impulsée
(Garrison et al., 2008). La protéine pro-apoptotique Bim est couramment inactivée dans les
lymphomes de Burkitt. Cela peut être due à l’hyperméthylation du promoteur de bim
(Mestre-Escorihuela et al., 2007).
Des mutations sur la voie de signalisation du BCR (de type IgM) conduisent à un signal
tonique dans le lymphome de Burkitt (Corso et al., 2016; Love et al., 2012; Richter et al., 2012;
Schmitz et al., 2012). Un signal tonique est un signal identique à un signal consécutif à une
activation normale du BCR mais sans la stimulation par un antigène. Le maintien d’un signal
tonique du BCR permet de promouvoir la survie des cellules B via la voie PI3K
(Phosphatidylinositol 3 kinase) indépendamment de la stimulation par un antigène (Gauld et
al., 2002; Limon and Fruman, 2010). Parmi les mutations sur la voie de signalisation BCR, il est
retrouvé des mutations sur la voie TCF3 (Transcription Factor 3)/ID3 (Inhibitor Of DNA Binding
3). TCF3 est un facteur de transcription exprimé dans les cellules B de la zone sombre du centre
germinatif (Victora et al., 2012). Il permet l’expression de gènes impliqués dans la prolifération
cellulaire tels que ccnd3, e2f2. TCF3 induit également ID3 qui est son inhibiteur, et permet un
rétrocontrôle négatif (Seitz et al., 2011). TCF3 favorise l'activation de la PI3K, en transactivant
les loci d'immunoglobulines augmentant ainsi l'expression du BCR de surface et en inhibant
l'expression de PTPN6 (Protein tyrosine phosphatase non-receptor type 6 appelée aussi SHP-1
(src homology region 2 domain-containing phosphatase-1)) qui bloque la signalisation du BCR
(Cornall et al., 1998; Schmitz et al., 2012). Les mutations activatrices de TCF3 et inhibitrices de
ID3 permettent une activation constitutive de la voie de signalisation du BCR. ID3 est mutée
dans 38 à 68% des cas de lymphome de Burkitt tandis que TCF3 dans 11% (Richter et al., 2012).
En favorisant la survie des cellules des lymphomes de Burkitt ces mutations constituent un
mécanisme de coopération avec c-Myc dans cette pathologie. Ces mutations de TCF3 et ID3
ne sont pas retrouvées dans les lymphomes B diffus à grandes cellules et sont spécifiques des
lymphomes de Burkitt, renforçant l'idée qu'ils sont un mécanisme coopérant avec c-Myc pour
développer et maintenir l'identité du Burkitt (Love et al., 2012).
Dans le document
Les lymphomes B diffus à grandes cellules de type activé : rôle de NF-κB et c-Myc.
(Page 30-34)