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Discussion générale

C. brunnicans, une espèce à surveiller de près ?

Culicoides brunnicans est une espèce peu étudiée. Nous avons montré que cette espèce

pouvait être particulièrement abondante localement attaquant les moutons. D’après les descriptions disponibles sur son écologie, C. brunnicans serait rencontré dans les plaines et pâtures en association avec des zones humides (sans beaucoup de précision sur les caractéristiques de ces zones) et serait largement distribuée dans l’ouest de la région paléarctique. En se basant sur les données de la surveillance entomologique nationale en France, cette espèce a été collectée dans 73 des 160 sites de capture. Son abondance est en général relativement basse (plus de 1 % des captures seulement dans 23 sites), mais peut atteindre sur certains sites 10 à 13 % des captures. La compétence vectorielle des Culicoides paléarctiques est encore assez peu documentée et on ne sait pas dans quelle mesure elle intervient comme un facteur limitant dans la transmission. Les taux d’infection sont en général très faibles, et pourraient être compensés par l’abondance de ces insectes. Ainsi, il conviendrait d’évaluer la compétence vectorielle de cette espèce pour inférer sur son potentiel rôle vecteur dans les zones où elle est abondante.

De multiples facteurs de variabilité d’activité

Il est bien documenté que le spectre d’hôtes sur lequel se gorgent des insectes hématophages peut varier en fonction des saisons (Chandler et al., 1977; Kilpatrick et al., 2006). Par exemple, en Amérique du Nord, Culex nigripalpus Theobald et Culex tarsalis Coquillett, vecteurs du virus de l’encéphalite de Saint Louis, se gorgent préférentiellement sur oiseau tout au long de l’année, sauf pendant l’été, où les mammifères sont les plus piqués (Edman and Taylor, 1968; Edman, 1974). De même, Cx. pipiens, dans l’ouest des Etats-Unis d’Amérique, se gorge préférentiellement sur le merle d’Amérique (Turdus migratorius), sauf à l’automne où les repas sur homme deviennent très fréquents (Kilpatrick et al., 2006). Plusieurs hypothèses existent pour expliquer ce changement de choix d’hôte au cours de la saison, l’une est la diminution ou disparition des hôtes appropriés. Ainsi, Kilpatrick et al. (2006) soupçonne que la migration des merles d’Amérique entraînerait un déplacement des repas de Cx pipiens des oiseaux vers les hommes. Le même type de phénomène pourrait exister chez les Culicoides. En effet, il est souvent suggéré que les Culicoides préfèreraient piquer les bovins, et ne s’attaqueraient aux ovins que tard dans les saisons, lorsque les cas cliniques apparaissent. Aucune preuve formelle n’a cependant jamais été mise en évidence. De futures études analysant l’origine des repas de sang de femelles au cours de l’année permettra de tester cette hypothèse.

L’abondance estimée par piégeage lumineux dépend beaucoup des conditions locales (présence et nombre d’animaux aux alentours du piège). Culicoides imicola est décrit classiquement comme étant une espèce exophage (Barnard, 1997; Meiswinkel et al., 2000). Néanmoins la récente publication de Calvete et al., (2009) a montré qu’en Espagne,

C. imicola peut également être retrouvé à l’intérieur des bâtiments. Plusieurs explications

possibles sont proposées : C. imicola peut avoir tendance à entrer dans les bâtiments à la fin de la saison, lorsque les températures extérieures diminuent (cf. supra). Des variations de comportement d’endo/exophagie peuvent exister entre différentes populations d’une même

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espèce. En outre, la notion de bâtiments d’élevage et de leur degré d’ouverture en Europe du Nord et en Europe du Sud n’est pas la même. L’accessibilité des animaux rentrés dans les bâtiments peut également jouer un rôle important. Calvete et al., (2009) suggèrent qu’étant donné l’accessibilité (par des ouvertures) des animaux présents à l’intérieur des bâtiments alors qu’aucun animal ne pâturait à l’extérieur, le caractère mammophile de cette espèce prévaut certainement sur la tendance exophage. Ainsi, certaines espèces en recherche d’hôte peuvent s’adapter aux circonstances de disponibilité des hôtes et rentrer dans les bâtiments afin d’assurer leur survie. Nous avons observé également que les animaux environnants – dans notre étude le troupeau de béliers – ont pu influencer les captures, attirant vers eux un certain nombre de Culicoides (on peut supposer que plus la masse des hôtes est importante, par les facteurs attractifs dégagés, plus cet effet est fort).

Si l’environnement dans lequel un Culicoides va émerger ne contient pas d’hôte préférentiel, comment se comporte-il pour accomplir son repas de sang ?

 Soit l’insecte pour assurer sa survie va se déplacer jusqu’à rencontrer un hôte préférentiel. Il peut alors soit s’adapter au nouvel environnement et s’installer à proximité de cet hôte, si des habitats larvaires sont disponibles, soit parcourir la distance pour aller se gorger et regagner son habitat larvaire initial.

 Soit l’insecte ne quitte pas son habitat mais va s’adapter aux hôtes qui l’entourent. Cet exemple illustre la sélection d’un comportement spécifique versus opportuniste. Peut-on s’attendre, chez les Culicoides, comme chez d’autres insectes hématophages, à des phénomènes d’apprentissage modifiant leurs préférences tropiques ?

C’est le cas chez Anopheles arabiensis Patton (McCall & Kelly 2002, McCall et al. 2001) et plusieurs espèces de Culex (Culex tritaeniorhynchus Giles, Culex gelidus Theobald

et Culex vishnui s.l.) (Mwandawiro et al., 2000) qui ont tendance à retourner vers l’espèce

d’hôte sur laquelle les femelles se sont gorgées au précédent repas de sang. Cette tendance a également été démontré chez les mouches tsétsés Glossina palpalis gambiensis (Bouyer et al., 2007). De plus, si la sélection d’un hôte parmi un groupe peut se faire en fonction de l’intensité des mouvements de défenses, on peut s’attendre à ce qu’un hôte affaibli ou malade montre moins de réaction de défense et soit par conséquent plus piqué. Un mouton infecté et affaibli peut être plus facilement la cible de Culicoides.

Les conditions météorologiques sont connues pour avoir un impact sur l’activité des adultes (Kettle, 1969; Mellor et al., 2000). En effet, le vent inhiberait l’activité du vol des

Culicoides (Kettle, 1969; Blackwell, 1997; Meiswinkel et al., 2000), qui serait optimale avec

des températures supérieures à 20 °C (Tsutsui et al., 2010). L’humidité relative ainsi que la pluviométrie ont été positivement corrélées avec l’activité de vol de C. impunctatus (Blackwell, 1997). Récemment, Sanders et al. (2011) ont développé un modèle permettant de prédire l’abondance journalière des espèces de Culicoides au cours de l’année en fonction des conditions météorologiques. Les abondances fortes étaient associées à des températures élevées, un vent faible et des jours sans pluie, sauf pour C. pulicaris qui semble associé à des températures plus faibles. Cependant, l’effet des paramètres météorologiques n’a été significatif que sur les sites où l’abondance des Culicoides était élevée.

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Nos résultats ont également suggéré une influence de la pression atmosphérique qu’il serait également intéressant d’étudier. De plus, au cours de notre étude, l’humidité relative n’a pas semblé influencer l’activité de recherche d’hôte et la température minimale requise (8 °C) semble être plus basse que celle annoncée par Tsutsui et al. (2010) pour Culicoides maculatus et Culicoides oxystoma. Il est possible que des différences existent entre espèces ou entre populations. Les conditions climatiques (vent, humidité), outre leur influence sur le vol des

Culicoides, pourraient interférer sur la diffusion des odeurs.

Les changements en intensité lumineuse régissent l’activité de recherche d’hôte. Ainsi, durant la journée, si l’intensité lumineuse diminue fortement (ciel très couvert), on peut s’attendre à une reprise d’activité comme observé dans notre étude. En effet, le 16 juin, la luminosité a fortement diminué à partir de 14h00 (120 J/cm²) pour atteindre 20 J/cm² à 16h00, alors que les moyennes sur les autres jours de collecte sont restées à peu près constantes (226 J/cm² à 14h00, 225 J/cm² à 16h00). Parallèlement, lors d’une même cession à 15h20, 15 C.

obsoletus ont été collectés. Ainsi deux situations peuvent se présenter, pendant lesquelles

l’activité des Culicoides peut se prolonger durant le jour. La première situation, comme nous venons de le voir, est en cas de luminosité réduite par couverture nuageuse, comme cela a été décrit pour C. impunctatus et C. obsoletus (European Food Safety Authority, 2008). La deuxième situation est l’influence du cycle de la lune. Il est possible que l’activité de recherche d’hôte soit plus intense en cas d’illumination par la lune (Culicoides variipennis

(Barnard and Jones, 1980); C. mississipennis, C. furens, and C. barbosai (Lillie et al.,

1987)). Ce facteur serait intéressant à étudier sur l’activité des espèces paléarctiques. Les horaires de coucher et lever de soleil varient en fonction des localisations et des saisons entraînant un changement de comportement trophique entre populations d’une même espèce au cours de l’année. D’autres facteurs viennent modifier encore ce schéma. Par exemple,

C. obsoletus a été actif avant le coucher de soleil au printemps et en automne, alors qu’en été

cette espèce était plutôt active après le coucher de soleil vraisemblablement sous l’influence de la température et de l’hygrométrie. Bishop et al. (2004) a démontré que l’intensité et la couleur de la diode électroluminescente (LED) du piège lumineux était importante lors de la collecte. Le piégeage de C. brevitarsis a été plus efficace avec des LED à lumière verte à intensité grandissante. Lors de collectes avec piège à lumière ultraviolette, l’intensité du néon peut donc également avoir un rôle important.

La chaleur corporelle de l’hôte semble être également un stimulus important pour attirer les insectes hématophages, ceux-ci pouvant y être très sensibles. C’est le cas pour le vecteur de la fièvre jaune, Ae. aegypti, qui répond à un gradient de chaleur émis par l’hôte (Peterson and Brown, 1951). Le pou Pediculus humanus Linnaeus, cas particulier d’ectoparasite, répondant également aux changements de température, est capable de quitter l’hôte mort ou fébrile pour trouver un nouvel hôte sain (Wigglesworth, 1941). L’ajout de chaleur au piège lumineux appâté avec du CO2 et de l’octénol augmente significativement la

capture d’Aedes taeniorhynchus Wiedemann, Anopheles atropos Dyar and Knab, Culex

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