• Aucun résultat trouvé

Comment les voyageurs s’étaient-ils trouvés à huit kilomètres de Port-Longuez, tout exprès pour se faire arrêter par les Sakalaves d’Ikaraïnilo ?

En quittant Obok, le yacht Fortune, laissant de côté les escales des Comores, avait piqué droit vers la côte orientale de Madagascar. Avertis qu’ils étaient signalés à l’autorité judiciaire dans les diverses

colonies françaises, les jeunes gens n’avaient pas voulu atterrir à Diego-Suarez.

– On nous guette du côté de la mer, avait dit Marcel. Faisons une chose toute simple, arrivons par terre.

Le steamer avait donc déposé ses passagers à la Pointe-aux-Îles, un peu au sud de Port-Louquez. Après des adieux touchants à miss Diana Pretty, ceux-ci avaient bravement fait route vers Antsirane, les hommes à pied, Yvonne assise tant bien que mal sur une mule achetée à un fermier Betsimisarak.

Ils marchaient de nuit, sans perdre de vue la mer.

De cette façon ils évitaient toute chance d’insolation et ne risquaient point de s’égarer.

Or, ils avaient passé la journée du 31 décembre à l’autre extrémité du plateau boisé, sur lequel Canetègne avait débuté comme vampire, et la lune ayant allumé son flambeau, ils s’étaient mis en route vers le nord. Comme aux étapes précédentes, Mlle Ribor veillait sur son frère de lait. Pour elle, il était resté enfant en quelque sorte. Elle le plaignait d’avoir à supporter de telles fatigues.

– Monsieur Bérard, expliquait-elle, a fait son congé dans l’infanterie de marine ; il est habitué à la vie coloniale, tandis que Simplet n’y connaît rien. J’ai peur de tout pour lui : les serpents, les caïmans, les bêtes féroces et surtout la maladie. Ah ! si cela avait été possible, je l’aurais laissé à bord du navire. Mais c’eût été trop exiger de la gracieuse Américaine. Elle avait déjà changé sa voie pour nous être agréable. La forcer à attendre là, la fin de nos démarches aurait été un comble d’indiscrétion.

Et elle sermonnait Marcel, qui la laissait dire.

Toujours calme, il continuait à penser que tout est simple. De fait, après les marches nocturnes à travers les rochers ou les marécages, il s’endormait au matin d’un sommeil aussi paisible que s’il eût été couché sur le plus doux des lits. Il conservait son teint rosé et sa confiance.

Contournant les massifs d’arbustes, la petite caravane avançait allègrement. De temps à autre, Yvonne donnait un conseil à son frère de lait pour escalader un bloc de granit ou pour éviter une plante épineuse. Il la remerciait tranquillement, nullement agacé par sa surveillance protectrice.

Claude, lui, haussait parfois les épaules. Autrement que la jeune fille, il jugeait son compagnon de voyage ; mais il n’avait point à intervenir, Dalvan ne se désert – on jurerait qu’un ouvrier travaille la terre.

– Encore une de tes idées, railla Yvonne.

– Encore, petite sœur. Et plus j’écoute, plus je me persuade que je ne me suis pas trompé.

Avec prudence, tous s’avancèrent dans la direction du son. Bientôt le doute ne fut plus possible. Le choc du fer sur le sol se percevait distinctement.

– Qui diable cultive à cette heure ? grommela Bérard.

– Allons voir, répliqua Simplet.

La mule attachée à un arbre, tous trois se faufilèrent entre les broussailles et arrivèrent à quelques pas de l’endroit où Canetègne, surveillé par Ikaraïnilo, accomplissait sa lugubre besogne.

Tout d’abord, ils ne comprirent pas. Mais l’Avignonnais, tenant le sac de monnaie, démasqua le mort dont la face immobile se montra sous un rayon de lune.

Yvonne ne put retenir un cri d’horreur.

Brusquement Marcel la saisit par la main, la ramena en courant à la place où avait été laissée sa monture, la mit en selle et, tenant l’animal par la bride, fila droit devant lui, dans une course folle, accélérée encore par l’appel dont Ikaraïnilo fit retentir la brousse. Ni les uns ni les autres n’avaient reconnu le travailleur.

– Le tonnerre emporte les femmes ! maugréait Claude. Nous voilà sur les bras une affaire avec des gens qui, à en juger par leur occupation, sont exempts de scrupules.

Il galopait comme son ami. Avec lui, il déboucha dans une clairière, où une dizaine d’hommes armés de fusils étaient étendus.

– Des Sakalaves ! fit-il… et en service encore. Tout va bien.

À ce moment, la mule s’abattit sur les genoux.

Avant que les sous-officiers eussent pu la remettre sur pied, ils furent saisis, garrottés et couchés sur l’herbe à côté de leur compagne de voyage. Les Malgaches avaient perçu le signal lancé par le Hova, et ils traitaient en ennemis ces inconnus qui semblaient fuir.

Tandis que Claude et Yvonne désespéraient, Simplet, ayant reconnu Canetègne, venait de lui

– Tu vois bien, petite sœur, avait-il déclaré en riant ; l’ogre fait déjà des concessions.

C’était vrai. L’Avignonnais se souvenait du petit soldat, qui l’avait si joliment berné à Lyon. Il avait démêlé dans son accent comme une menace, et il s’empressait de le joindre. Sans plaisir d’ailleurs, à en juger par le ton rogue dont il demanda :

– Qu’est-ce que vous voulez ? – Vous voir, monsieur Canetègne.

– Je vous préviens que je ne suis pas en humeur de plaisanter.

– Moi non plus. Causons donc. Il est probable que nous nous entendrons.

– Vous croyez ?

L’air dégagé du prisonnier déplaisait à son interlocuteur.

– En tout cas, faisons vite.

– À vos ordres, monsieur Canetègne. Une question d’abord : À quoi devons-nous le plaisir de cette rencontre inattendue ?

Le commissionnaire hésita. À ce sous-officier qui paraissait le défier, il aurait eu joie à conter le piège tendu ; mais le jeune homme allait être mis en présence de juges ; on l’interrogerait. Il était inutile de l’éclairer, car le procédé de M. Canetègne eût semblé inexplicable aux magistrats. Il se décida donc à biaiser.

– Ma foi ! j’ai lu une dépêche du Petit Journal annonçant l’arrivée, à Diego-Suarez, de M. Antonin Ribor.

– Comme nous ! soupira Yvonne.

– Et vous êtes accouru pour qu’il nous soit plus facile de vous confondre ?

Le négociant grimaça :

– Pour l’éloigner uniquement. Ce à quoi j’ai réussi.

Si bien que je puis sans crainte vous conduire à Diego-Suarez et vous remettre aux mains des autorités.

– Lesquelles, continua Dalvan, nous renverront en France où l’on nous emprisonnera comme voleurs, complices d’évasion, etc.

– Précisément !

– Très bien imaginé, monsieur Canetègne.

– N’est-ce pas ? Les choses se passeront comme vous le dites, à moins…

– À moins… cher monsieur Canetègne ?

– Que Mlle Ribor ne consente à m’accorder sa main.

– Vous pensez encore à cela ?

– Toujours. Dans ce cas, j’arriverais à étouffer l’affaire et tout le monde serait content.

– Excepté ma sœur de lait.

– Oh ! vous savez, je l’aime beaucoup. Elle serait heureuse et…

– Malheureusement, monsieur Canetègne, elle préfère sa liberté…

– La seule chose que je ne puisse lui offrir.

– Oh ! que si.

– Oh ! que non.

– La preuve est que vous allez la lui donner.

– Pas de propos téméraires. Asseyez-vous, cher monsieur Canetègne, et prêtez-moi, – pas d’argent, c’est trop cher chez vous, – simplement un peu d’attention.

Dominé, l’Avignonnais obéit. Quant à Yvonne, elle paraissait stupéfaite. Ses regards allaient de Marcel au négociant ; elle pensait rêver. Comment ! c’était son frère de lait qui parlait ainsi, qui se faisait écouter ?

– Cher monsieur, reprit Simplet, vous raisonnez faux, parce que votre point de départ est faux. Vous nous considérez comme vos prisonniers.

– Mais il me semble, hasarda le commissionnaire ahuri…

– Il vous semble mal, voilà tout. C’est vous qui êtes mon prisonnier.

– Moi ?

Yvonne leva les yeux au ciel. Le sous-officier lui paraissait s’enferrer.

– Vous même, continua celui-ci, et vous allez être de mon avis.

– Pour cela, non.

– Supposez que j’appelle les soldats sakalaves qui m’ont arrêté, que je leur dise, – par l’organe de mon ami Claude, il parle le malgache, – à quelle opération vous vous livriez quand nous vous avons aperçu.

Canetègne ne répondit pas :

– Il est aisé de prouver. Votre compagnon – la tête de pain d’épice – a le sac d’argent. On vous arrête tous deux. Vous êtes jugés, condamnés pour violation de sépulture. Votre cas est plus grave que le nôtre ; vous

avez plus à perdre que nous. Donc, c’est vous qui êtes en notre pouvoir.

– Bravo ! souligna Claude.

– Mais c’est qu’il a raison, murmura Mlle Ribor. Qui l’aurait cru capable de trouver cela ?

– Monsieur Canetègne, fit Marcel d’une voix insinuante, vos soldats ont serré les cordes qui me lient les bras et les jambes ; déliez-moi.

Et comme le commissionnaire, maté par son raisonnement, s’empressait de le satisfaire, le sous-officier ricana :

– Ça me rappelle la Tour de Nesle. Buridan enchaîné et… Oh ! non, vrai, il n’a rien de Marguerite de Bourgogne !

Puis, plus gracieusement encore :

– Rendez donc le même service à mes amis.

Le négociant eut un geste de révolte. Cela l’ennuyait d’être joué.

– Violation de sépulture ! susurra Simplet.

L’Avignonnais s’exécuta puis, rouge de colère : – Enfin, où voulez-vous en venir ?

– C’est bien simple, cher monsieur Canetègne. – Le jeune homme lança un coup d’œil à Yvonne ; elle n’avait pas sourcillé cette fois en entendant la locution favorite de son frère de lait. – C’est bien simple, nous pouvons réciproquement nous faire emprisonner ; il est moins bête de nous rendre mutuellement la liberté.

Expliquez à vos Sakalaves qu’il y a erreur, que nous sommes des gens paisibles. Nous tirons de notre côté,

Les poings du négociant se crispèrent. Il était pris dans la logique du jeune homme, comme la mouche dans la toile de l’araignée. Mais si sa raison rendait pleine justice à celle de l’adversaire, le sentiment de son impuissance le rendait furieux. Après tout, il n’y avait pas à hésiter.

– Soit, dit-il. Mais vous garderez le silence ? – À une condition cependant.

– Encore ?

– Vous ne nous dénoncerez pas, j’en suis certain.

Seulement, votre complice serait peut-être moins bienveillant. Je tiens à le connaître et à le tenir.

– Cela se peut. Vous vous livreriez en nous livrant ; aussi j’ai confiance. Mon associé est le général hova Ikaraïnilo, commandant la garde de la léproserie d’Antananarivo.

– Bien.

Le négociant fit un pas vers les soldats qui assistaient de loin à la conférence. Marcel l’arrêta :

– Un petit mot.

– Dites vite.

– Vous avez éloigné Antonin Ribor. Vous l’avouiez tout à l’heure ?

– Oui.

– Soyez assez complaisant pour m’indiquer où vous l’avez expédié.

Un instant Canetègne garda le silence, puis un sourire étrange flotta sur ses lèvres.

– Cela, non. Vous comprendrez les motifs de ma

a quitté Diego-Suarez, qu’il s’est rendu à Antananarivo, et que maintenant il navigue vers une colonie où il espère retrouver sa sœur.

– Vous l’avez saturé de mensonges. Ce bon monsieur Canetègne ! Cela suffit. Faites que nous nous séparions, notre rencontre a trop duré.

Sans relever l’impertinence du sous-officier, l’Avignonnais rejoignit ses compagnons et, après une courte conférence, s’éloigna avec sa troupe, laissant les jeunes gens seuls dans la clairière.

Mais tout en marchant, il racontait au général ce qui venait de se passer.

– Tu es puissant à Antananarivo, conclut-il. Je leur ai désigné cette ville dans l’espoir que tu m’aiderais à les écraser. Je pars avec toi.

– Tu as bien fait, répondit tranquillement le Hova.

Dans notre capitale ils trouveront la mort.

Et sur un signe interrogateur :

– Tu es lié à moi par notre crime commun. Je n’ai rien à te cacher. Nous sommes las de la domination française. Dans un mois, nos guerriers seront armés, grâce à nos amis d’Angleterre, et alors pas un de nos maîtres n’échappera à notre vengeance.

– Bigre ! interrompit le commissionnaire, je ne t’accompagne plus.

– Non. Tu sais et tu dois par conséquent rester auprès de moi. Tu n’as rien à craindre d’ailleurs, je te protège.

Tandis que Ikaraïnilo faisait planer sur les Français cette menace de soulèvement, Marcel et ses amis tenaient conseil. Se rendre à Diego-Suarez, maintenant était inutile. Autant gagner Antananarivo. Le résident, installé dans la capitale Hova, aurait sûrement vu Antonin. Peut-être saurait-il vers quelle contrée l’explorateur s’était dirigé.

Le mieux était de revenir à la Pointe-aux-Îles. Si le Fortune y était encore, les voyageurs demanderaient à miss Pretty de les conduire à Tamatave, d’où ils atteindraient en huit jours la ville d’Antananarivo.

– Et si le yacht est parti ? demanda Yvonne.

– Nous suivrons la côte et chercherons une embarcation indigène qui nous transporte, voilà tout !

Sur ces mots, la jeune fille fut hissée sur sa mule, et la petite troupe quitta la clairière.

Marcel voulut repasser près de la sépulture violée, et Yvonne elle-même l’approuva lorsqu’il lui montra la bêche oubliée par Canetègne, et surtout le sac où l’instrument avait été enfermé. Sur la toile des caractères latins se dessinaient en bleu, formant des mots que Bérard traduisit ainsi :

– Ikaraïnilo, XVIe honneur.

– Seizième honneur, répétèrent les amis du

« Marsouin », cela signifie ?

– Général, tout simplement. Au lieu de grades, on a des honneurs. Les généraux vont de douze à vingt-deux. Les Tsimandos, ou courriers royaux, qui en réalité font la police, sont neuvième honneur. Le premier ministre et son épouse la reine occupent le sommet de l’échelle avec trente trois honneurs.

Après cette explication, sac et bêche, placés sur la mule, la marche fut reprise.

À la Pointe-aux-Îles, une première désillusion attendait les voyageurs. Le yacht Fortune n’était plus au mouillage. Les indigènes des environs déclarèrent n’avoir pas de pirogues assez grandes pour tenir la mer.

Ils semblaient affligés de ne pouvoir rendre service aux Européens. On sentait dans leurs paroles comme une hésitation. En réalité, ils obéissaient à un mot d’ordre donné. Depuis quelques jours, les Tsimandos de la reine Hova parcouraient le pays, annonçant aux populations les plus terribles représailles si elles entraient en contact avec les blancs. Ils disaient ces derniers atteints d’un mal redoutable, dont serait

frappé quiconque les recevrait. Sous couleur d’hygiène ils faisaient le vide autour de nous.

Les voyageurs ignoraient cette situation. Ils crurent donc les Malgaches. La route de la mer leur était fermée, ils se contenteraient de la voie de terre.

Bravement ils se mirent en route à travers la forêt continue, qui va de la côte aux premières rampes des plateaux du centre. Sous le feuillage des baobabs, des tecks, des ébéniers, ils allaient, arrêtés à chaque leur refusait les vivres dont ils avaient besoin.

Pendant la cinquième journée de marche, une flèche lancée par un ennemi invisible frappa la mule d’Yvonne au défaut de l’épaule. Marcel et Bérard battirent le fourré sans découvrir aucune trace. La pauvre bête étant morte, Mlle Ribor dut suivre ses compagnons à pied.

Tout le jour suivant elle chemina sans une plainte ; sa fatigue se trahissant seulement par la contraction de son visage. Au soir elle se coucha sur le sol, brisée, grelottant de fièvre.

Dans le sac léger qu’il portait sur le dos, Marcel avait heureusement une petite provision de quinine, ce remède universel dans les pays intertropicaux. Cette fois encore, la panacée triompha du mal. Quand l’aurore se montra, la fièvre avait disparu ; mais il était évident qu’elle guettait sa victime, et qu’à la moindre fatigue elle reparaîtrait. Il fallait à tout prix trouver une monture à la jeune fille.

Celle-ci se lamentait, désolée d’être un embarras pour ses amis. Alors Marcel la gronda doucement, lui fit promettre d’être bien sage ; et la laissant à la garde du campement, établi au bord d’un ruisselet murmurant, se mit avec Claude en quête d’un moyen de transport.

Un bois de pandanus vacoua, dont la fibre se prête au tissage, s’élevait à peu de distance. Ils s’enfoncèrent sous son ombre. Autour des troncs, de grandes orchidées aux fleurs éclatantes s’enroulaient en interminables spirales, lançant des rejets d’une branche à l’autre, formant au-dessus de la tête des Français un dôme odorant. Un battement d’ailes, un bruissement rapide dans les herbes indiquaient seuls la présence d’êtres vivants, dérangés dans leur tranquillité par le passage des jeunes gens.

Puis les arbres s’espacèrent, se firent plus rares, et les voyageurs débouchèrent dans une prairie dont un étang occupait le centre.

À la surface de l’eau, l’ouvirandrona balançait ses feuilles découpées à jour en fine dentelle, et dans les joncs géants de formidables froissements décelaient la présence de caïmans.

Les sous-officiers ne s’arrêtèrent pas. Au fond d’un vallonnement ils avaient aperçu une ferme. Là, ils trouveraient des porteurs, ou bien on leur vendrait un zébu de selle ; car ici comme dans l’Hindoustan, leur pays d’origine, ces superbes buffles sont des bêtes de somme appréciées. On les élève par centaines de mille, et ils représentent une des principales richesses de la grande île africaine.

Des travailleurs étaient épars dans la plaine.

Marcel avait hâté le pas. Soudain un cri d’épouvante déchira l’air :

– Aïbar Imok !

Et les indigènes s’enfuirent à toutes jambes vers les huttes de bois et de limon, dont l’ensemble représentait la ferme.

– Qu’est-ce qui leur prend ? fit Simplet.

– Je ne sais, riposta Bérard. Aïbar Imok signifie : la peste. Pourquoi ce cri ? Pourquoi cette épouvante ? Mystère.

– Approchons toujours ; ils nous le diront.

Mais à cinquante mètres des habitations il fallut s’arrêter. Les Malgaches, debout sur le seuil des cabanes, brandissaient des fusils d’un air menaçant.

Un homme, qui paraissait être le chef, s’avança, et à distance respectueuse, adressa aux voyageurs un discours dont ils ne comprirent pas un mot. Les gestes en revanche étaient clairs. Ils signifiaient nettement :

– Allez-vous-en, ou nous tirons sur vous.

– Ils sont tous fous dans l’île, murmura Dalvan tout en obéissant à cette injonction peu parlementaire. Eh bien ! je les trouve gentils, les protégés de la France ! Après cela, c’est l’histoire universelle ; les protecteurs sont partout détestés.

Et sur cette réflexion empreinte de philosophie il prit le large, suivi de Claude qui mâchonnait furieusement sa moustache.

Dans deux autres agglomérations des scènes identiques se renouvelèrent. C’était à se briser la tête

contre un arbre. Vouloir acheter un zébu, et n’obtenir que des imprécations ou des menaces !

Avec cela la journée s’avançait. Les jeunes gens éprouvaient une vague inquiétude en songeant à leur compagne restée seule, sans défense, dans cette région agitée par un démon hostile.

Ils reprirent le chemin du campement. Comme ils atteignaient le bois de Pandanus traversé le matin, un bruit sourd les cloua sur place. On eût dit la chute d’un corps pesant. Presque aussitôt une exclamation gutturale parvint jusqu’à eux, étouffée par un formidable grincement de dents. Les voyageurs armèrent leurs revolvers.

– Que se passe-t-il ? fit Marcel.

Des grondements, des cris humains bourdonnaient à leurs oreilles.

– Allons voir.

Tous deux s’élancèrent éventrant les buissons, et subitement ils s’arrêtèrent.

Sur le sol un groupe hurlant se tordait. Au bout d’un instant ils distinguèrent un indigène enlacé par un lémurien géant. Quadrumane comme le singe, mais armé de griffes redoutables, l’animal cherchait à étouffer l’homme.

Celui-ci s’efforçait d’éviter son étreinte, et les bras lacérés, le visage sanglant, luttait. Mais déjà la fatigue

Celui-ci s’efforçait d’éviter son étreinte, et les bras lacérés, le visage sanglant, luttait. Mais déjà la fatigue