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En bref: gestion de fortune et négoce de valeurs mobilières

Les deux hypothèses que nous venons de discuter en quelques détails ont mis en évidence la différence de régime, pour la banque ou le négociant, entre la position de dépositaire et celle d'acquéreur d'un bien en trust ou d'un droit sur un tel bien. Sans pouvoir ici en faire une analyse approfon-die, il faut relever que les principes ainsi dégagés s'appliquent aux autres opérations bancaires et financières typiques.

a) En matière de gestion de fortune, la validité du mandat et de la procu-ration conférés par le trustee au gérant, et donc la validité de toutes les instructions qui reposent sur ces instructions, dépend de l'étendue des pou-voirs du trustee. Une attention toute particulière est nécessaire. Même si la tendance moderne va indiscutablement dans le sens d'une délimitation très large des placements autorisés, nombreux sont (encore) les actes de trust et les législations fixant un cadre limité aux décisions d'investissement du trustee et donc de tous ceux à qui il délègue ce pouvoir. Le risque existe

61 Pour l'état complet des ratifications, consulter WWW.hcch.netif/statuslstat30f.html.

62 KOPPENOL-LAFORCE (n. 48), § 2.4.2.5 relève d'ailleurs que reconnaître les trusts créés par décision de justice supprime les limites que l'artiC'le Il al. 3 lit. d pose au droit de suite des bénéficiaires et à la responsabilité des tiers, en particulier des dépositaires du fonds du trust.

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donc, pour la banque ou le négociant chargé d'une gestion discrétionnaire, d'entreprendre une politique d'investissement convenue avec le trustee mais non couverte par ses pouvoirs. La conséquence en serait que les opérations entreprises hors des pouvoirs du trustee grèvent la fortune personnelle du trustee, et non le fonds du trust.

b) Le même risque existe pour le négociant qui vend ou achète des va-leurs mobilières soit sur les instructions directes du trustee, soit sur celles d'un gérant externe qui agit en vertu d'une procuration. La bonne foi de la banque ou du négociant qui ignorait les restrictions résultant notamment de l'acte de trust ne sera pas une·défense solide. Comme on l'a vu plus haut en rapport avec les art. 155 lit. i et 158 LDIP, la banque qui sait traiter avec un trustee (ou avec le représentant d'un trustee) ne peut se désintéresser de l'étendue des pouvoirs de celui-ci. Le négociant qui vend ou achète des valeurs sur ordre du trustee est plus qu'un simple détenteur. Son droit à remboursement et à rémunération est contractuel, mais il ne peut s'exercer à charge du fonds du trust que dans la mesure où le trustee avait pouvoir de passer une commission de vente ou d'achat. En outre, lorsque le négociant se porte contrepartie dans une commission de venté3, ce qui est la règle, il acquiert en son propre nom un bien du trust; la validité de cette acquisition suit exactement le raisonnement que j'ai développé pour l'acquisition d'un gage.

VI. Conclusion

L'intermédiaire financier qui offre ses services à un trustee en rapport avec le fonds d'un trust encourt donc un risque spécifique, résultant de la spéci-ficité du trust, même si ses conditions contractuelles soumettent la relation d'affaires au droit suisse.

C'est le cas actuellement dans le système de la loi fédérale sur le droit international privé. Dans la mesure où le Tribunal fédéral, qui y est forte-ment incité par la doctrine, semble admettre assez facileforte-ment qu'un trust privé présente un degré d'organisation suffisant pour être qualifié comme

"patrimoine organisé" et donc assimilé aux· sociétés, l'intermédiaire finan-cier qui n'a pas vérifié les pouvoirs précis du trustee s'expose à la contesta-tion ultérieure des opéracontesta-tions qu'il a exécutées sur des instruccontesta-tions données

63 Art. 436 5S CO.

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par le trustee en dehors de ces pouvoirs. Le problème ne concerne pas que les trustees infidèles et déloyaux aux intérêts des bénéficiaires. Un breach of trust peut consister en une simple erreur du trustee; il n'en expose pas moins le tiers au droit de suite des bénéficiaires, qui peut d'ailleurs être exercé par un nouveau trustee nommé en remplacement du trustee défaillant.

Le transfert de la relation d'affaires du trustee démissionnaire ou démis-sionné à son remplaçant procède par succession universelle, qui est oppo-sable sans autre formalité aux cocontractants du trustee, et donc à l'inter-médiaire financier.

Le risque résultant d'opérations non couvertes par les pouvoirs du trustee est partiellement atténué par la responsabilité personnelle du trustee envers ses cocontractants lorsque celle-ci est prévue par la loi applicable au trust64.

Mais cette responsabilité ne grève que le patrimoine personnel du trustee, et non les actifs du trust déposés auprès de l'intermédiaire financier.

En outre, et surtout, ce risque peut et doit être géré par des mesures préventives. Avant d'exécuter des opérations de négoce pour le compte du trust, d'accepter un mandat de gestion ou encore de prendre un gage sur le fonds du trust, la banque, le négociant ou le gérant devrait se faire confir-mer les pouvoirs du trustee à cet effet. De nombreuses lois récentes en matière de trusts confèrent, à titre supplétif, au trustee des pouvoirs étendus en matière de placement et de réalisation d'actifs. Mais l'intermédiaire fi-nancier ne peut se satisfaire d'un simple renvoi à la législation applicable.

Dans tous les cas, les pouvoirs du trustee sont profondément influencés, et parfois complètement déterminés par l'acte de trust lui-même. Cela signi-fie-t-il que la banque ou le négociant suisse doit toujours se faire communi-quer les clauses de cet acte, dont il n'est d'ailleurs pas toujours bien placé pour apprécier la portée exacte? L'alternative consiste à exiger un avis de droit établi par un cabinet connu de l'intermédiaire, auquel il fait confiance et dont il sait qu'il pourrait mettre en cause la responsabilité si cet avis de droit s'avérait infondé.

La Convention de La Haye de 1985 ne supprime pas ce risque. Sa signature et sa ratification en faciliterait la gestion par les intermédiaires financiers suisses à deux égards au moins. D'abord, la Convention crée un régime de faveur pour les opérations de dépôt, qui sont exclusivement ré-gies "par la loi déterminée par les règles de conflit du for". Ainsi, la respon-sabilité du simple dépositaire ne varie pas suivant qu'il s'agit de biens per-sonnels de son client ou de biens d'un trust. Je rappelle cependant que ce

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64 Art. 155 lit. h LDIP. Critique: MAYER (n. 2), p. 153.

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régime privilégié ne concerne pas les autres opérations (placements, né-goce, gestion, sûretés, etc.) des intermédiaires financiers.

En outre, en limitant clairement son champ d'application aux trusts volontaires qui peuvent être prouvés par un écrit, en excluant - sauf décla-ration conforme à l'art. 20, que la Suisse n'envisagerait pas de faire -les trusts fondés sur une décision de justice, la Convention limite le risque des tiers à la "revendication des biens du trust", à leurs revenus et intérêts, à leur produit de réalisation. Elle exclut une éventuelle responsabilité fondée sur la théorie du constructive tmstee, responsabilité qui peut obliger le tiers à indemniser l'intégralité du dommage subi par le patrimoine fiduciaire ou par les bénéficiaires eux-mêmes en raison du breach of trust. On peut sou-tenir que cette exclusion résulte déjà des régIes actuelles de notre droit international privé: la Convention a le mérite de la consacrer clairement.

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