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Chapitre II – Les arguments des défendeurs

Section 1- Le bref délai

106- Aux termes de l’article 1648 du Code civil, l’action en garantie des vices cachés « doit être intentée par l'acquéreur, dans un bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires, et l'usage du lieu où la vente a été faite ». Comme on l’a déjà dit, ce bref délai, qui fonctionne comme un délai de forclusion, semble avoir été, dans le cadre des ventes mobilières, à l’origine du développement de la problématique des concours d’actions. L’acheteur, pour faire obstacle à l’invocation de l’article 1648, essaie de se placer sur le terrain du défaut de conformité – inexécution de l’obligation de délivrance, soumise au délai de prescription de droit commun – ou sur celui des vices du consentement – sanctionnés par une action en nullité relative enfermée dans un délai de 5 ans à compter de la découverte du vice (art 1304 CCiv). Les arrêts publiés de la Cour de cassation relatifs aux domaines respectifs et à la combinaison des différents moyens de protection de l’acheteur sont tous rendus dans ce contexte d’invocation du bref délai par le vendeur. Aussi bien a-t-on pu soutenir que la réforme de l’article 1648 suffirait, pour une large part, à faire tomber le contentieux artificiel des

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concours d’actions : en fixant le délai pour agir de manière précise et à une durée raisonnable, on retirerait, dans la plupart des cas, l’intérêt que l’acheteur pourrait avoir à se placer sur un autre terrain que celui de la garantie des vices cachés pour obtenir satisfaction. Cet argument a été en particulier invoqué par les auteurs qui s’opposaient au projet Viney de transposition de la directive dans le Code civil117. Et leurs voix semblent avoir été entendues par la Chancellerie, puisque, dans le projet de loi actuel, qui se borne à une transposition a minima de la directive dans le Code de la consommation, la seule modification proposée du Code civil, en matière de garantie des vices cachés, consiste à fixer à deux ans le délai pour agir en garantie de l’article 1648.

107- L’examen du contentieux de la garantie en matière immobilière invite à nuancer cette présentation, sans qu’on puisse d’ailleurs dire avec certitude si les observations faites à travers l’analyse des dossiers sont spécifiques de la matière immobilière. Il est en effet bien difficile de comparer l’observation directe des pratiques à partir d’un échantillon représentatif des décisions des juges du fond, avec la vision sans doute très déformée que donnent de ces pratiques les arrêts publiés de la Cour de cassation. S’il est vrai que, dans ces arrêts, la question des concours d’actions apparaît toujours liée à l’invocation du bref délai, c’est parce que la question du fondement de l’action de l’acquéreur ne vient devant la Cour de cassation que si ce fondement a un enjeu pour la solution du litige, et que cet enjeu est pratiquement toujours celui du délai pour agir. Ces arrêts ne sont donc nullement représentatifs de la manière dont les deux questions sont ou non liées dans le contentieux porté devant les juges du fond.

108- Ce qui est certain, à l’observation du contentieux, est que, en matière immobilière au moins, la question du bref délai, sans être négligeable, n’est pas une question centrale. Sur les 308 dossiers analysés, cette question n’a été soulevée que 63 fois, c’est à dire dans 20,45% des cas, et sur ces 63 fois, elle l’a été dans 55 cas à l’initiative du défendeur (dans les 8 autres elle a été soulevée d’office par le juge). On peut naturellement penser que ce chiffre relativement faible s’explique par des considérations spécifiques à la matière immobilière. S’agissant de ventes portant sur des biens de valeur élevée, représentant des investissements importants pour les acquéreurs, on peut supposer que ceux-ci, en général, se montreront plus diligents que lorsque l’acquisition porte sur un bien mobilier de consommation. Le fait que les ventes immobilières soient des ventes entre particuliers fait que, en outre, l’acheteur se trouvera plus rarement confronté aux pressions et manipulations d’un vendeur professionnel qui, souvent, pour les ventes de meubles, expliquent le retard à agir de la part de l’acheteur. Nous verrons du reste que, s’il est invoqué relativement rarement, l’argument tiré du

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dépassement du bref délai réussit encore beaucoup plus rarement encore118. Mais quoi qu’il en soit, et quelles qu’en soient les causes, on doit ici observer que, dans près de 80% des affaires, il n’est nullement question du délai pour agir.

109- Or, nous l’avons vu, l’invocation par l’acheteur, à côté ou à la place de la garantie des vices cachés, de fondements parallèles – le défaut de conformité et plus encore les vices du consentement – est un phénomène beaucoup plus répandu. Dans 100 cas, le demandeur se prévaut d’un vice du consentement, et dans 55 cas d’un défaut de conformité : si on tient compte des 19 cas où l’acheteur cumule ces deux fondements119, cela donne 137 dossiers, soit 44,48% des cas où l’acheteur croit utile de recourir, en plus ou à la place de la garantie des vices cachés, à un autre moyen de protection. Une fois sur deux, donc, le recours à un fondement parallèle n’est pas lié à un enjeu quelconque sur le terrain du bref délai. A l’inverse, quelques sondages dans les dossiers permettent de voir que le recours à un autre fondement que la garantie n’est pas systématique chaque fois que le défendeur invoque le dépassement du bref délai120. On a donc quelque difficulté à voir, dans le contentieux observé, un lien quelconque entre la question du bref délai et la problématique des concours d’actions. Ce n’est pas dire que ce lien n’ait pas à l’origine existé. Il est probable que c’est bien pour échapper au bref délai de l’article 1648 que, à partir des années 1970, quelques avocats imaginatifs ont pensé à se placer sur des terrains parallèles, avec des succès variables. Ces pratiques, génératrices de problèmes juridiques « intéressants », ont donné lieu à une jurisprudence publiée, et abondamment commentée ; elles ont ainsi fait découvrir ou redécouvrir aux praticiens que la garantie des vices cachés n’était pas le seul moyen de protection de l’acquéreur d’un bien défectueux. Mais il semble bien qu’aujourd’hui – et au moins dans le domaine observé – ces autres moyens soient utilisés en plus ou à la place de la garantie, sans objectif stratégique particulier, et alors même que le recours aux articles 1641 et suivants donnerait le même résultat. Il est donc peu probable qu’une réforme limitée à l’article 1648 du Code civil suffise à faire disparaître aussitôt l’utilisation de ces moyens parallèles, lesquels, on l’a vu, aboutissent à un brouillage considérable des fondements et des objets de demandes en la matière.

consommation : article de foi ou réalisme législatif, D 2002, 487

118

Voir infra n° 121

119

Voir tableau n°2 de l’annexe 4 (17 cas de triple cumul + 2 cas de cumul vice du consentement-défaut de conformité)

120

Voir par exemple dossier 213 : TGI Dieppe 23 janvier 2003 : RG 00/00553 ; dossier 253 : CA Aix 15 janvier 2003 : RG 99/15687

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