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Bourbaki, les Élements de mathématique

◮◮ Quelques particularités du traité

Les membres du groupe Bourbaki se sont lancés dans la rédaction d’un traité avec comme objectif de fournir un exposé mathématique « moderne ». Le traité s’adresse principalement aux futurs mathématiciens, il n’a pas de préoccupations liées à l’enseignement des mathématiques. Plus précisément, cette objectif devait, selon les membres du groupe, passer par une réorganisation des thèmes à ensei- gner mais aussi par une clarification des concepts de base, tout en utilisant une terminologie très précise. Ainsi, pour moderniser la manière dont étaient exposés les contenus mathématiques dans les manuels, les membres du groupe ont décidé de commencer par exposer l’ensemble des notions nécessaires pour traiter les su- jets abordés. L’ensemble de ces concepts et outils de base a été baptisé le « paquet abstrait ». Lorsque la rédaction du traité a commencé, il n’a cessé de s’agrandir, devenant à lui seul un traité de mathématique qui compte actuellement plus de 7000 pages. Ainsi, les Élements de mathématique constituent un traité dont le

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premier volume est paru en 1939 et le dernier volume en 1998. Actuellement, le traité se compose de 10 livres, chacun scindé en plusieurs volumes eux-mêmes divisés en chapitres :

 Théorie des ensembles : 4 chapitres et un fascicule de résultats, sans démons-

tration.

 Algèbre : 10 chapitres.

 Topologie générale : 10 chapitres.

 Fonctions d’une variable réelle : 7 chapitres.  Espaces vectoriels topologiques : 5 chapitres.  Intégration : 9 chapitres.

 Algèbre commutative : 10 chapitres.

 Variétés différentielles et analytiques, un fascicule de résultats sans démons-

tration.

 Groupes et algèbre de Lie : 9 chapitres.  Théories spectrales : 2 chapitres.

Selon Bourbaki, la théorie des ensembles apparaît comme les fondements des mathématiques. C’est pourquoi elle fait l’objet du premier livre.

Par sa conception même, le traité présente des spécificités qu’il est impor- tant de mentionner. Celles-ci sont présentées au début de chaque volume sous la rubrique Mode d’emploi du traité.

Le mode d’emploi précise que ce sont d’abord les bases qui sont exposées et que tout est démontré. Mais lorsqu’on lit la phrase suivante, on apprend que la lec- ture du traité « ne suppose donc, en principe, aucune connaissance mathématique particulière, mais seulement une certaine habitude du raisonnement mathématique et un certain pourvoir d’abstraction. Néanmoins, le traité est destiné plus particu- lièrement à des lecteurs possédant au moins une bonne connaissance des matières enseignées dans la première ou les deux premières années de l’Université ». Le traité s’adresse donc à un public d’un certain niveau mathématique. Cependant, le traité ne peut pas non plus être considéré comme un livre de recherche puisqu’il n’y a pas nouveauté en termes de contenus. Il s’agit d’une réorganisation et d’une reformulation dans un langage moderne de connaissances déjà existantes.

Concernant le mode d’exposition, le traité utilise une présentation axioma- tique et abstraite en allant du général au particulier. « L’armature logique de chaque chapitre est constituée par les définitions, les axiomes et les théorèmes de ce chapitre ». Chaque chapitre contient des exercices pour lesquels l’objectif est double. Il s’agit d’une part d’entraîner le lecteur et d’autre part « de lui faire connaître des résultats qui n’avaient pas leur place dans le texte ». Il y a donc des résultats qui sont intégrés dans les exercices : il s’agit d’applications qui ne s’insèrent pas dans le déroulement strictement logique du texte.

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◮◮ Le livre de topologie générale

L’introduction

Le livre traitant de la topologie générale contient deux chapitres en lien direct avec notre travail : une partie du chapitre 1 portant sur les Structures topologiques fait émerger les notions que nous visons, même si leur introduction se fait dans un cadre général par rapport à nos objectifs, et le chapitre 4 sur les Nombres réels traite explicitement de la topologie de R.

Au début du livre, Bourbaki présente le plan suivi. Il ne s’agit pas d’une simple énumération des notions qui vont apparaître. Le discours tenu est à mi-chemin entre ce que nous qualifierions d’un discours didactique et méta- mathématique. Bourbaki prend la peine d’expliquer ce qui motive l’introduction des notions, à quoi elles vont servir dans un langage tout à fait accessible à un débutant qui serait, aujourd’hui, en première année universitaire.

La topologie y apparaît d’emblée comme le domaine de l’analyse où les struc- tures étudiées « sont celles où l’on donne un sens mathématique aux notions de limite, de continuité et de voisinage ». Ces notions sont liées à celles de déter- mination expérimentale et d’approximation, se trouvant elles-mêmes en relation étroite avec la notion de nombre. Mais la portée de ces notions dépasse largement le cadre des nombres réels et complexes.

L’introduction de la notion de voisinage est motivée par le besoin de parler d’éléments suffisamment proches l’un de l’autre, donc par le besoin de parler de la distance entre ces deux éléments. En supposant que cette notion de distance véri- fie certaines conditions, « on obtient ainsi une vaste généralisation de la géométrie euclidienne, aussi est-il commode de se servir d’un langage géométrique, d’appe- ler points les éléments de l’ensemble sur lequel a été définie une « distance », cet ensemble prenant lui-même le nom d’espace ». Mais cette conception des espaces n’est pas encore débarrassée de la notion de nombre.

C’est en s’intéressant aux propriétés mêmes des voisinages (par exemple le fait que tout sous-ensemble contenant un voisinage d’un point est lui-même un voisinage ou bien le fait que l’intersection de deux voisinages d’un même point soit aussi un voisinage) que sont obtenus des énoncés qui ne font plus appel à la notion de distance.

La notion d’espace topologique apparaît donc comme étant un ensemble muni d’une structure topologique, c’est-à-dire une structure dans laquelle on as- socie à chaque élément de l’espace une famille de voisinages de cet élément. La topologie est donc « la branche des mathématiques qui étudie les structures topo- logiques », et dont l’Analysis situs est un synomyme.

La notion de voisinage permet de définir les notions d’intérieur, d’adhérence, de frontière, d’ensemble ouvert et d’ensemble fermé. Bourbaki explique que les voisinages définissent les ouverts de l’espace considéré et réciproquement. Dans le traité, le choix réalisé consiste à partir de la notion d’ouvert « pour des rai- sons de commodité, parce que les axiomes correspondants offrent un caractère de plus grande simplicitié ». Les notions de limite et de continuité peuvent alors être définies.

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Le chapitre I

Ces notions font l’objet du chapitre I intitulé Structures topologiques. Nous nous centrons sur l’introduction des notions et les définitions qui sont données. Le cadre initial choisi étant celui des espaces topologiques, l’ensemble des notions et résultats présentés dépassent très rapidement le cadre de ce travail.

C’est la notion de structure topologique qui est tout d’abord donnée (p. 13) : « On appelle structure topologique (ou plus brièvement) topologie sur un en- semble X une structure constituée par la donnée d’un ensemble D de parties de X possédant les propriétés suivantes (dites axiomes des structures topologiques) :

 (OI) Toute réunion d’ensembles de D est un ensemble de D.

 (OII) Toute intersection finie d’ensembles de D est un ensemble de D.

Les ensembles de D sont appelés ensembles ouverts de la structure topologique définie par D sur X. »

On appelle alors voisinage d’une partie A de X tout ensemble qui contient un ensemble ouvert contenant A.

Un ensemble fermé est le complémentaire d’un ouvert.

Un point x est intérieur à une partie A de X lorsque A est un voisinage de x. L’intérieur de A est alors l’ensemble des points intérieurs à A.

Un point x est adhérent à A lorsque tout voisinage de x rencontre A. L’adhé- rence de A est l’ensemble des points adhérents à A.

Le chapitre 4

Un chapitre est explicitement consacré aux nombres réels. Dans le premier paragraphe Définition des nombres réels, une série de propriétés sont établies sur les intervalles de R.

Le résultat suivant est mentionné :« Tout intervalle fermé (resp. ouvert) de R, est un ensemble fermé (resp. ouvert) dans R. » La démonstration, que nous retranscrivons ci-dessous, montre bien la volonté de s’appuyer sur les propriétés des ouverts, qui servent d’axiomes pour définir la notion d’espace topologique :

En effet, les ensembles [a,←[ = a + R+ et ]→,a] = a − R+ se dé-

duisent par translation de R+et −R+respectivement, donc (chap. III,

paragraphe 1, numéro 1) sont fermés ; les ensembles ]→,a[ et ]a,←[, qui en sont les complémentaires respectifs, sont ouverts ; enfin, l’in- tervalle fermé [a,b] (resp. l’intervalle ouvert ]a,b[), intersection de [a, ←[ et ]→,b] (resp. de ]a,←[ et ]→,b[) est un ensemble fermé (resp. ouvert).

Le paragraphe suivant est explicitement consacré aux Propriétés topolo- giques fondamentales de la droite numérique. La première de ces propriétés est connue sous le nom d’axiome d’Archimède : quels que soient les nombres réels x > 0 et y > 0, il existe un entier n > 0 tel que y < nx. Cette propriété est considérée comme un axiome dans le paragraphe consacré à une construction axiomatique de R. Bourbaki annonce aussi que toutes les propriétés qui vont suivre en découlent.

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Le paragraphe se poursuit par l’étude des parties compactes de R. On y trouve le théorème de Borel-Lebesgue : pour qu’une partie de la droite numérique R soit compacte, il faut et il suffit qu’elle soit fermée et bornée.

Le théorème affirmant l’existence de la borne supérieure d’une partie non vide et majorée de R est alors énoncé.

Les intervalles sont caractérisés de la manière suivante : pour qu’une partie non vide A de R soit un intervalle, il faut et il suffit que, quels que soient les points a, b de A tels que a < b, l’intervalle [a,b] soit contenu dans A.

L’étude des parties connexes de R s’intègre également dans les propriétés topologiques : pour qu’une partie A de R soit connexe, il faut et il suffit que A soit un intervalle. Il s’ensuit que R est connexe.

Les ouverts de R sont caractérisés : tout ensemble ouvert non vide de R est la réunion d’une famille dénombrable d’intervalles ouverts, sans point commun deux à deux.

La notion d’homéomorphisme s’intègre aussi dans ce paragraphe : soit I un intervalle de R ; pour qu’une application f de I dans R soit un homéomorphisme de I sur f (I), il faut et il suffit que f soit strictement monotone et continue dans I; f (I) est alors un intervalle de R.