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2. Caractéristiques générales de la Baie de Seine

2.2 Hydrologie et hydrodynamisme de la Baie de Seine

2.2.2 Apports d'eau douce continentale

2.2.2.3 Bouchon vaseux et panache turbide de la Seine

Dans la plupart des estuaires dominés par la marée, une zone de très forte concentration en matériel particulaire (turbidité > 500 mg.l-1, voire > 1 g.l-1 selon l'estuaire) apparaît à proximité de l'embouchure; cette zone est nommée "bouchon vaseux". La dynamique de ce bouchon vaseux, et en particulier celui de la Seine, a fait l'objet de nombreuses études dès les années 1970 (Germaneau, 1969, 1971, 1974) puis au cours du SAUM (Avoine et al., 1981; Avoine, 1981; Larsonneur & Avoine, 1981). Les travaux plus récents du programme Seine-Aval I (Brenon & Le Hir, 1999b; Brenon & Le Hir, 1999a; Lesourd, 2000; Dupont et al., 2001; Le Hir et al., 2001) n'ont pas montré de différence notable en 20 ans, en conditions hydrologiques équivalentes. Les deux principaux facteurs qui contrôlent la dynamique du bouchon vaseux de la Seine sont l'asymétrie de la propagation de la marée et le débit fluviatile de la Seine. Le bouchon vaseux est un lieu important de stockage de matériel particulaire estimé entre 20 000 et 400 000 tonnes (Avoine, 1981). Les apports particulaires qui alimentent le bouchon vaseux sont d'origine composite, principalement fluviaux mais d'autres sources comme l'érosion des vasières intertidales sous l'action des houles de tempête peuvent venir alimenter ce stock de MES.

Les apports turbides de l'estuaire de la Seine dans la partie sud-est de la Baie de Seine sont incontestables. Ils sont originaires du bouchon vaseux, expulsé par certaines conditions réunies de marée et de débit fluviatile (fig. I-17). C'est principalement en période combinée de marée de vives-eaux et à basse mer, et/ou de forts débits fluviatiles de la Seine que l'expulsion peut se produire. Avoine (1981) estime qu'à partir d'un régime fluviatile de 550 m3.s-1, la partie aval du bouchon vaseux sort de l'estuaire de la Seine. Des études récentes menées ont permis de préciser cette expulsion de matériaux fins conditionnée par la durée et l'intensité de la crue hivernale ainsi que par la quantité de MES disponible au sein du bouchon vaseux (Lesourd et

al., 2003; Garnaud et al., soumis). Cette disponibilité en matériel fin à l'embouchure de la Seine

est directement liée à la chronique de la Seine, c'est à dire aux conditions hydrologiques des années précédentes: des années sèches permettent un stockage de MES et, au contraire, des années humides laissent peu de temps à la reconstitution d'un stock important de MES avant l'hiver suivant.

Mortes-eaux Vives-eaux

BM PM BM PM

C'est en période d'étiage que le bouchon vaseux atteint son extension et volume maximum (entre Le Havre et Vieux-Port)

15 km de long entre la digue du Ratier et W de Tancarville

30 km de long (Honfleur à Quillebeuf)

Etiage

Etendue du bouchon vaseux de l'ordre de 10 km seulement

Extension moyenne du bouchon vaseux en marée de vive-eau

C'est en période de crue que le bouchon vaseux est présent à l'embouchure de l'estuaire et, dans certaines conditions, expulsé en Baie de Seine orientale

E d

xpulsion partielle ou totale u bouchon vaseux selon le débit. Dispersion d'une partie des MES vers la Baie de Seine

Entre Honfleur et Tancarville (turbidité > 0,5 g.l-1)

Crue

Les vitesses des courants de marée sont plus faibles qu'en vives-eaux. Présence d'un bouchon vaseux bien développé mais moins turbide qu'en vives-eaux, les MES dépassent rarement 0,5 mg.l-1

Extension moyenne du bouchon vaseux en marée de vives-eaux. Déplacement longitudinal du bouchon vaseux au cours de la marée de l'ordre de 20 km

Figure I-17. Position du bouchon vaseux de la Seine en fonction du régime hydrologique de la Seine et des conditions de marée (d'après Avoine, 1981).

Le panache turbide identifié en Baie de Seine résulte de l'expulsion en mer d'une partie du bouchon vaseux stocké dans l'estuaire et l'embouchure de la Seine (fig. I-18). En période de crue, l'apport d'eau douce

en direction de la baie génère une stratification des eaux: dessalure de la partie supérieure de la tranche d'eau et charge en MES plus élevée en surface qu'au fond (Avoine, 1981). Les valeurs de MES rencontrées au droit de l'embouchure, à une dizaine de kilomètres

au large du Havre, se situent entre 4 et 8 mg.l-1 par débit d'étiage (150 à 170 m3.s-1) et entre 25 à 30 mg.l-1 par débit élevé (500 à 700 m3.s-1). Le reste de la Baie de Seine est très peu turbide. Le panache turbide de la Seine est nettement plus étendu en hiver qu'au printemps en raison des volumes expulsés plus importants lors des crues hivernales. Finalement, comme l'expulsion du bouchon vaseux, l'extension du panache turbide de la Seine est maximum en période de crue et à basse mer de marée de vives-eaux.

Figure I-18. Le panache turbide de la Seine, contraste entre deux masses d'eau (février 2000).

Le long du littoral du pays de Caux, le panache turbide originaire de l'estuaire de la Seine, avec les concentrations de MES en surface supérieures à 20 mg.l-1, se développe sur un kilomètre de largeur, même en absence de houle. En fait, ces eaux dessalées et chargées en MES transitent vers le nord sous forme de lentilles superficielles jusqu'à l'est de Fécamp (Dupont et al., 1991; Brunet et al., 1996; Brylinski et al., 1996; Thiébaut, 1996). Cette circulation côtière de masse d'eau est parfois dénommée "fleuve côtier" (Dupont et al., 1986). Pendant la crue de mars 1982, Avoine (1984) et Lafite (1990) ont montré qu'un transfert des sédiments expulsés par la Seine s'effectuait également vers le domaine sud-oriental de la Baie de Seine, mais les données restent limitées.

Le devenir des MES de l'estuaire, expulsées par le panache turbide, n'est pas très bien connu. Les photographies aériennes et satellitaires révèlent des directions et extensions différentes liées aux conditions hydrologiques. Mais elles n'apportent que des informations sur les mouvements de surface de la masse d'eau. La déconnexion entre la couche turbide de surface et de fond est possible, particulièrement lors des coups de vent importants entraînant les eaux de surface sur de plus grandes distances. Par exemple, en février 1993, le panache turbide observé en surface est similaire à celui de mars 1979 malgré des débits relativement plus faibles (Dilligeard, 1997). Cette progression du panache a été attribuée à l'association de forts coefficients de marée et d'une tempête. En effet, l'effet du vent peut provoquer en surface (i) une extension forcée du panache, (ii) un changement de direction de l'extension du panache et

(iii) la création de taches turbides. Un autre exemple est celui du 8 février 1994 où les images Spot montrent un panache turbide de la Seine distinctement dirigé vers le nord. A cette époque, un vent du O-SO de 12 nœuds souffle et contraint le panache turbide à se diriger vers le nord (fig. I-19). Des vortex bien visibles à l'embouchure de l'Orne et de la Touques se développent dans ces conditions particulières d'agitation de la mer.

Figure I-19. Situation du panache turbide de la Seine par différentes conditions. Vues Spot calibrées par des mesures de concentrations in situ des MES en janvier 1995 (campagne MESAT) et interpolées sur les images antérieures (Dilligeard, 1997). Copyright CNES 1995, distribution Spot-Image.

D'une manière générale, les vents générés par les tempêtes peuvent également influencer la distribution de la turbidité sur la totalité de la Baie de Seine. Ainsi, la campagne Thalia 2 de septembre-octobre 1978 a permis de mettre en évidence l'effet d'une tempête sur les niveaux de turbidité dans la baie (Aminot et al., 1997). Après la tempête, un accroissement très net de la turbidité a été remarqué dans toute la baie. Avant cet épisode, très peu de valeurs dépassaient 4 mg.l-1 alors que des valeurs de 4 à 20 mg.l-1 étaient fréquentes après octobre 1978 dans les zones peu profondes. Ceci a également été observé dans le secteur oriental. En effet, lors de la campagne de 1982, Avoine et al. (1984) ont observé des turbidités importantes en mortes-eaux (fig. I-20b), supérieures à celles enregistrées pendant cette même période de crue en vives-eaux (fig. I-20a). Cette turbidité observée au sein du Parfond et près de la côte du Calvados est en relation directe avec l'agitation de la mer qui remet en suspension sur le fond les fractions fines fraîchement déposées (fig. I-20b).

b a

Figure I-20. Profils verticaux NS de la turbidité mesurée en 9 points dans les eaux de la Baie de Seine en période de crue (1982) et par des conditions d'agitation différentes: mer calme (a) et agitée (b) (d'après Avoine et al., 1984).