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2. Les mécanismes moléculaires assurant la formation du bois

2.2. Le processus de formation du bois

2.2.2. Formation de la paroi secondaire

2.2.2.2. Biosynthèse et polymérisation de la lignine

La lignine est un polymère de molécules phénoliques, dont la structure est complexe du fait de la grande variété de métabolites pouvant être incorporés et des différentes liaisons chimiques possibles entre ces sous-unités (Boerjan et al., 2003; Boudet et al., 2003). Ce polymère a un rôle fondamental dans la paroi secondaire et lui confère une résistance mécanique, une imperméabilité ainsi qu'une résistance à la biodégradation. Du fait de ses propriétés, la lignine est résistante à la dégradation, et représente par conséquent un obstacle industriel majeur pour l'accès aux polysaccharides de la paroi. Sa présence nécessite l'emploi de prétraitements polluants et couteux, lors de la production de pâte à papier ou de biocarburants par exemple. Les enjeux économiques ont grandement encouragé l'étude des voies de biosynthèse de la lignine (Grima-Pettenati and Goffner, 1999; Boudet et al., 2003), qui se sont avérées particulièrement complexes. Les études menées ces dernières années continuent de mettre en évidence des voies alternatives dans la biosynthèse des précurseurs de la lignine (Humphreys and Chapple, 2002; Boerjan et al., 2003; Ralph et al., 2004; Vanholme et al., 2010, 2013). Si la majorité des acteurs de la biosynthèse des précurseurs sont relativement connus, les enzymes impliquées dans leur polymérisation dans la paroi restent encore à identifier pour la plupart.

La biosynthèse de la lignine débute dans la voie du shikimate, à l'origine d'une grande variété de molécules phénoliques. Dans cette voie métabolique, le chorismate sert de précurseur, notamment pour la production des acide aminés aromatiques : la phénylalanine, la tyrosine et le tryptophane (Knaggs et al., 2003). La biosynthèse des trois principaux alcools p- hydroxycinnamyliques (alcool p-coumarylique, coniferylique et sinapylique), se produit à travers 11 étapes enzymatiques de la voie des phénylpropanoides (Figure 10a). La voie générale des phénylpropanoides débute avec la désamination de la phénylalanine et conduit à la production d'esters d'hydroxy-cinnamoyl CoA. Les enzymes impliquées dans cette courte série de réactions sont la phenylalanine ammonia-lyase (PAL), cinnamate 4-hydroxylase (C4H) et 4-coumarateCoA ligase (4CL). Pour la production de monolignols, les esters d'hydroxy-cinnamoyl CoA subissent une succession d'hydroxylation et O-methylation de leur cycle aromatique, via l'action des 5 enzymes : shikimate O-hydroxycinnamoyl-transferase (HCT), CSE, p-coumarate 3-hydroxylase (C3H), caffeoyl CoA 3-O-methyltransferase

25 (CCoAOMT), ferulate 5-hydroxylase (F5H) et caffeate/5-hydroxyferulate O-methyl- transferase (COMT). La conversion des chaines latérales au groupement carboxyl vers un groupement alcool, est catalysée, successivement par les deux enzymes considérées spécifiques de la biosynthèse des précurseurs des monolignols : la cinnamoyl CoA reductase (CCR) et la cinnamyl alcohol dehydrogenase (CAD) (Boerjan et al., 2003).

Figure 10: Représentation de la voie des phénylpropanoides. a) Voie générale des phénylpropanoides impliquée dans la biosynthèse des monolignols et de leurs dérivés, ainsi que des flavonoides et stilbenes. b) Gènes impliqués dans la biosynthèse des monolignols destinés à former le polymère de lignine chez l’Eucalyptus. Adapaté de Carocha et al., 2015.

Le gène codant pour la CCR et l'activité enzymatique correspondante ont été caractérisés pour la première fois chez l'Eucalyptus gunnii (Lacombe et al., 1997), puis chez

Arabidopsis (Lauvergeat et al., 2001) et le peuplier (Leplé et al., 2007). Un travail pionnier

similaire a conduit à la caractérisation du gène d'Eucalyptus EguCAD2 (Grima-Pettenati et al., 1993). Les études fonctionnelles des autres gènes impliqués dans la voie des

Lignin, oligolignols, glycosylated monolignols Flavonoids, stilbenes

26 phénylpropanoides ont été conduites principalement chez Arabidopsis, via des analyses de mutants (Vanholme et al., 2012).

La disponibilité de la séquence du génome de l'Eucalyptus a récemment permis une annotation experte des gènes impliqués dans la biosynthèse de la lignine (Soler et al., 2014). L'annotation combinée à une analyse phylogénétique comparative, ont permis d'identifier 38 gènes appartenant aux clades bona fide, qui codent pour les enzymes impliquées dans les 11 étapes de la voie des phénylpropanoides. L'analyse de leur profils d'expression a permis d'identifier les 17 gènes considérés comme nécessaires pour la biosynthèse de la lignine au cours du développement du xylème (Figure 10b). Une approche similaire a été conduite chez le peuplier (Shi et al., 2010) pour l'identification des gènes impliqués dans la biosynthèse de la lignine.

Lorsque les précurseurs des monolignols sont synthétisés, ceux-ci sont transférés dans l'apoplaste par un mécanisme qui implique probablement des transporteurs de type ATP- binding cassette (ABC transporter) (Figure 9c). Récemment, il a été montré que le transporteur ABC, AtABCG29, est capable de transporter l'alcool p-coumarylique chez la levure et que l'accumulation de lignine est réduite chez un mutant d'Arabidopsis muté pour ce gène (Alejandro et al., 2012). Si la biosynthèse des précurseurs de la lignine est bien connue, l'étape de polymérisation bénéficie de beaucoup moins de preuves fonctionnelles. Le modèle actuel considère que lorsque les précurseurs des monolignols sont exportés dans la paroi, ceux-ci sont oxydés par des peroxydases et des laccases, et polymérisent avec la macromolécule de lignine pour former les monolignols. Leur oxydation, qui peut se faire sans le contact direct avec une de ces enzymes, conduit également à la mise en place de liaisons covalentes avec les polysaccharides environnants. Les gènes codant pour les laccases AtLAC4 et AtLAC17, ainsi que la peroxydase AtPER64 ont été associés à la polymérisation de la lignine (Lee et al., 2013; Berthet et al., 2011).

Chez les dicotylédones, la lignine est principalement composée des sous-unités G et S, tandis que les H sont minoritaires (Vanholme et al., 2012). La structure finale du polymère de lignine va dépendre notamment de la quantité de sous-unités S/G/H. En effet, celles-ci diffèrent par leur degré de méthoxylation, et par conséquent, par le type de liaison qu'elles vont établir lors de la multimérisation dans la paroi. Ainsi, il est considéré que plus de 60% des liaisons entre monolignols, chez les dicotylédones, sont de type -O-4. Ces liaisons -aryl éther, sont clivées par des traitements alcalins ou acides agressifs et sont ciblées dans le protocole de thioacidolyse couramment utilisé pour évaluer le ratio S/G (Sarkanen and

27 Ludwig, 1971). Les deux autres liaisons trouvées dans le polymère de lignine sont de type phénylcoumaranes et résinols formées par un couplage en -5 ou - respectivement. Ce sont des liaisons carbone - carbone extrêmement stables qui forment un polymère de lignine plus condensé, qu'il est impossible de dégrader sans endommager également les polysaccharides. Ces trois types de liaisons forment un polymère linéaire, mais des branchements en positions 4-O- ou 5-, peuvent être ajoutés et densifier le polymère final (pour plus de détails, voir Ralph et al., 2004).

Le polymère de lignine est dérivé d'esters d'hydroxy-cinnamoyl CoA, qui sont également les précurseurs d'une large gamme de métabolites secondaires tels que les flavonoïdes, anthocyanes et tannins condensés (Boerjan et al., 2003). Les monolignols sont également utilisés pour la production d'au moins trois classes de composés secondaires : les oligolignols, les monolignols 4-O-hexosides et les lignanes. Les oligolignols sont des petits polymères issus du couplage des monolignols et qui ne sont pas liés au polymère de lignine (Morreel et al., 2004, 2010b, 2010a; Ralph et al., 2004). Les monolignols 4-O-hexosides regroupent des monolignols glycosylés tels que la coniferine et la syringine, qui pourraient être des formes de stockage des monolignols (Lim et al., 2005). Les lignanes sont des dimères de monolignols dont le type de liaison diffère de celles trouvées dans le polymère de lignine, et ont des propriétés antioxydantes (Umezawa, 2003). Récemment, il a été démontré chez le peuplier, que l'enzyme phenylcoumaran benzylic ether reductase (PtPCBER), est impliquée dans la synthèse de lignanes, ayant un rôle dans la protection contre le stress oxydatif (Niculaes et al., 2014). Ce processus de lignification de la paroi secondaire est la dernière étape précédant la mort de la cellule.