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Perception, action et sous-variétés

2.1 La perception, un problème difficile

2.1.1 Biologie de la perception

De nombreuses études s’intéressent au substrat biologique de la perception. Nous n’en ferons pas une étude exhaustive mais nous nous contenterons de décrire quelques résultats.

Des représentations distribuées. . .

En 1959, Hubel et Wiesel étudient l’activité des neurones dans l’aire visuelle primaire des chats (Hubel et Wiesel 1959). Cette aire primaire, aussi appelée aire V1, constitue la porte d’entrée dans le cortex visuel des informations en provenance de la rétine.

Grâce à leur expérience, Hubel et Wiesel ont montré que cette aire est organisée en colonnes corticales, dans lesquelles tous les neurones répondent aux mêmes stimuli. Ces stimuli correspondent majoritairement à des barres de contraste, chaque colonne corticale répondant préférentiellement à une orientation donnée dans une zone du champ visuel précise. Les colonnes corticales sont en effet organisées selon une carte rétinotopique, c’est-à-dire de manière homéomorphe au champ visuel. Ainsi, la zone de la fovéa se projette-t-elle sur une surface plus grande que les régions périphériques de la rétine. Cette projection rétinotopique et le fait que toutes les orientations sont détectées dans l’aire V1 explique la structure en forme de “moulinet” (pinwheel en anglais) de cette aire cérébrale (voir figure 2.1) (Petitot 2003).

Une telle disposition implique une représentation distribuée des stimuli : la vue d’un visage provoquera ainsi l’activation de neurones couvrant une large zone de l’aire V1, le décomposant en une superposition de bordures et de traits saillants.

Cette représentation distribuée se retrouve également dans d’autres aires sensorielles. Au niveau du cortex auditif, par exemple, des neurones répondent préférentiellement à la présence d’une fréquence précise dans les sons perçus (Schreiner 1992).

L’émergence de telles représentations semble découler d’un mécanisme commun. En 2000, Sur et ses collègues opèrent des furets à leur naissance pour isoler dans l’hémisphère gauche le cortex auditif des signaux nerveux en provenance des oreilles et pour y connecter à la place le nerf optique, l’hémisphère droit étant laissé intact pour contrôle. Le champ visuel droit des furets est donc à partir de ce moment là traité par les neurones du cortex auditif gauche. Les furets sont alors élevés normalement. Lorsqu’ils ont grandi, on observe l’organisation de leur cortex auditif : des structures en moulinet similaires à celles observées dans un cortex visuel normal se sont développées (Sharma et al. 2000). De plus, en faisant faire au furet un exercice qui demande de répondre différemment à des sons ou à des flashs lumineux, placés tantôt à droite, tantôt à gauche, il est possible de montrer que des signaux dans le champ visuel droit (traités donc par le cortex auditif gauche), sont bien interprétés par le furet comme des signaux de nature visuelle, et non de nature auditive (Von Melchner et al. 2000). Cette expérience illustre le fait que notre perception de l’environnement peut émerger à partir de mécanismes très généraux, sans nécessiter d’invoquer des traitements de nature différente entre les différents sens.

Figure 2.1 – Carte de la réponse des neurones V1 en fonction de l’orientation des stimuli. En

haut : imagerie optique des motifs d’activité des neurones de l’aire V1 en fonction de l’orientation des stimuli (vertical puis oblique). En bas : Carte des préférence d’orientation calculées à partir de l’imagerie optique. La carte fait apparaître des singularités appelées “moulinets”. (Image : (Kaschube et al. 2008))

Cette représentation distribuée se prolonge dans les aires supérieures. Une disposition rétinotopique a également été observée dans les aires visuelles suivantes (V2, V3, V4) (Sil-ver et Kastner 2009 ; Henriksson et al. 2012), mais de manière de plus en plus floue : chaque neurone de ces aires reçoit en entrée des informations en provenance d’un champ visuel rétinien de plus en plus large. Certains neurones de ces aires supérieures ont donc un champ récepteur qui couvre une très grande partie du champ visuel (Gross et al. 1969). De tels neurones peuvent dès lors être le support d’une représentation de beaucoup plus haut niveau de l’information perçue que l’on peut parfois assimiler, comme nous allons le voir par la suite, à une représentation symbolique.

. . . aux neurones grand-mère

Le terme de neurone grand-mère a été introduit pour la première fois par Jerry Lett-vin (Gross 2002), pour désigner un neurone qui répondrait de manière spécifique à un concept ou objet complexe.

Des neurones répondant spécifiquement aux visages ont été mis en évidence chez le ma-caque (Desimone et al. 1984), au niveau du cortex temporal inférieur. D’autres neurones de cette zones répondent quant à eux à la présence d’une main dans le champ visuel. Chez l’homme, des indices suggèrent que des neurones de l’hippocampe ont une réponse spécifique à certaines catégories de stimuli (Kreiman et al. 2000).

Bien qu’étant un argument en faveur d’une représentation symbolique des stimuli dans certaines aires cérébrales, ces résultats n’en sont toutefois pas une preuve. En effet, il est d’une part impossible de prouver que ces neurones ne répondent à aucun autre stimulus, et il est d’autre part fortement probable que d’autres neurones répondent également aux mêmes stimuli. L’hypothèse la plus communément admise est l’hypothèse d’une repré-sentation parcimonieuse (Quiroga et al. 2008) : chaque stimulus est représenté non pas par un seul neurone, mais par l’activation coordonnée d’un très petit nombre de neurones dont la répartition permet de représenter chaque stimulus de manière discriminante.

Cependant, de tels neurones peuvent représenter une information très haut niveau. Chez l’homme, il a été mis en évidence que certains neurones, en plus de présenter une réponse invariante par certaines transformations physiques (face/profil par exemple), répondent également à des stimulations d’autres modalités. Ainsi, certains neurones répondant à la présentation d’une image de l’actrice Halle Berry, répondent également à la présentation du nom écrit “Halle Berry”, alors qu’ils ne répondent pas à la présentation d’autres actrices américaines (Quiroga et al. 2005). D’autres neurones vont répondre spécifiquement à des images de Luke Skywalker, à la présentation de son nom écrit, ou à l’écoute de son nom, prononcé par un homme ou par une femme (Quiroga 2012).

La coexistence de représentations distribuées et quasi-symboliques a également été mise en évidence pour d’autres sens, telle la localisation dans l’espace (Moser et al. 2008). Ainsi, des grid cells tirent leur nom de leur réponse qui dessine une grille dans l’espace euclidien : en enregistrant l’activité isolée d’un seul neurone chez un rat qui se déplace librement, il peut-être mis en évidence une réponse localisée au niveau des sommets de triangles pavant l’espace euclidien. Différents neurones répondent selon des pavages décalés et selon plusieurs tailles de pavage. Ainsi, un point de l’espace est codé par l’activation

Figure 2.2 – Peinture de Rodolphe II par Gisueppe Arcimboldo. Dès le premier coup d’œil, on

y voit un visage, et non un simple de tas de fruits et légumes. Ceci illustre le principe de la Gestalt : le tout est différent de la somme de ses parties.

de plusieurs neurones, ce qui le définit au croisement de pavages à plusieurs échelles. À l’inverse, des place cells répondent spécifiquement lors de la présence en un point donné de l’espace. Ces cellules répondent donc selon un découpage de l’espace sous forme de tuiles, chaque tuile pouvant être considérée comme un symbole.