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Par un travail de romance biographique et de mise en continuité historique, Ségolène Royal fait de la « démocratie participative » un élément clé de son offre politique : la bonne manière

de faire de la politique élaborée depuis dix ans qui lui permet de capitaliser sur son expérience

régionale et de compenser ainsi la faiblesse de son expérience. « Je suis la seule candidate à

avoir fait depuis longtemps le constat de la crise démocratique. Les citoyens qui s'éloignent

des urnes, qui s'abstiennent, qui se réfugient vers des votes contestataires, qui doutent dans

l'efficacité de la politique. Et donc c'est parce que j'ai pris le temps de cette réflexion, que j'ai

moi-même mis en application sur le territoire régional dont j'ai la charge, la démocratie

parti-cipative

222

».

Ses propriétés personnelles sont mises en cohérence comme preuve de la consistance

histo-rique de son style politique. Ainsi, son parcours scolaire jusqu’à l’ENA est présenté comme

un combat personnel. Pour Ségolène Royal, comme nombre de femmes professionnelles de la

politique, l’énarchie une ressource ambivalente (Achin & Lévêque 2007). Alors que leur

pas-sage par l’ENA constitue un capital décisif pour la reconnaissance de leur compétence, il est

aussi une contrainte dans la quête d’une extériorité à la classe politique masculine. Dans le

contexte d’une représentation politique en crise, l’énarque est érigé en figure repoussoir si

bien qu’elles ne peuvent revendiquer leur appartenance à ce corps sans prendre le risque de

perdre le « bénéfice » de leur féminité en politique. Aussi le passage par l’ENA est-il souvent

euphémisé, ou revendiqué sur le mode de l’émancipation et de l’ascension sociale. Présenter

son passage par l’ENA comme la consécration d’un parcours typique du mérite républicain

221 Ainsi, on ne peut opposer systématiquement les logiques de démarcation – faire autre chose- des logiques

de distinction – faire mieux, autrement (Arnaud et al. 2006).

222 LCP, 22/03/07.

opposé à celui des « héritiers », permet à Ségolène Royal d’assumer et de revendiquer son

énarchie. Plus, en stylisant le récit de son passage à l’ENA, elle vise à retourner le stigmate en

revendiquant une énarchie atypique, à rebours de l’entreprise de conformation des élites

223

.

L’ENA n'est plus ici un symbole du formatage des héritiers mais au contraire une illustration

de son a-conformisme. Elle est énarque mais une énarque différente, ce que souligne le

Nou-vel Observateur : « Une énarque féministe et rebelle. Bosseuse mais pas polarde, pugnace

mais souvent silencieuse, Ségolène Royal était déjà une socialiste originale, ennemie du

poli-tiquement correct

224

». Nombre de commentaires politiques ou biographiques reprennent ce

thème. Ainsi, un journaliste de Libération s'interroge sur la ressource que constitue la féminité

dans sa concurrence avec les autres candidats du Parti Socialiste et donne la parole à Sophie

Bouchet-Petersen qui souligne qu'elle ne tient pas sa différence de sa féminité mais de sa

per-sonnalité, comme le montrait déjà son passage par l'ENA : « On ne gouverne pas avec son

utérus, tranche Sophie Bouchet-Petersen, conseillère de la députée. Mais il est indéniable que

Ségolène Royal est différente des autres, par ses origines familiales, ses expériences. Elle a

certes fait l'ENA, mais pas comme les autres. L'ENA ne l'a pas formatée et c'est en ça qu'on

peut imaginer qu'elle pourra gouverner autrement

225

».

L’évocation de son patronage mitterrandien ne fait que conforter ce portrait d’une femme

de conviction et de contradiction. La presse relate les épisodes où elle obtient de son mentor

son parachutage dans les Deux-Sèvres ou la déviation de l’autoroute autour du marais

poite-vin et les érigent en symboles de sa pugnacité, de son originalité ou encore de son refus de

l’ordre établi. : « Elle séduit le président par son flair et son originalité. De lui, elle a

beau-coup appris, notamment qu’il faut toujours rester libre, ne jamais plier, ne jamais renoncer. »

Les camarades de l’époque élyséenne, invités à témoigner relatent son flair, sens du terrain à

l’image de Jean-Louis Bianco, un de ses fidèles soutiens : « elle avait déjà une perception fine

et originale de la société française. Elle avait déjà du caractère, des convictions, elle savait

tra-vailler en équipe. Elle possédait en plus cette qualité très personnelle : comprendre ce qui se

passait en profondeur dans la société »

226

.

223 Sur l’ENA comme entreprise de conformation (Eymeri 2001).

224 Nouvel observateur 23/11/06

225 « Être une femme, l'arme absolue » 21/08/06

226 Nouvel observateur 23/11/06

L’ancienneté de ce style politique personnel et de rapport différent à la politique est

large-ment mise en scène dans ses biographies officielles. Symboliquement, dans les premières

phrases de ses biographies, son souci de rendre la politique concrète est rappelé. « Tout au

long de son parcours, Ségolène Royal s'est résolument engagée à rendre la plus concrète

pos-sible son action politique. Elle est ainsi à l'origine de réformes emblématiques qui ont marqué

l'évolution de la société

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». Les actions conduites pendant ses mandats ministériels sont

pré-sentées comme des « combats ». Elle construit la cohérence de son itinéraire politique et en

revendique la singularité : celui d’une femme sensible, à l’écoute mais prête à s’affranchir du

corporatisme et dogmatisme au nom d’un certain pragmatisme, celui d'une femme de

convic-tion prête à se battre pour ses idées mais pour qui « ce qui est bien, c’est ce qui marche

228

».

Pendant les régionales, elle a capitalisé sur ses expériences ministérielles pour accréditer sa

compétence à répondre aux attentes supposées des citoyens pour une politique plus

« proche », plus « concrète ». Pendant les présidentielles, elle capitalise sur son expérience

lo-cale : « Oui, je le fais d'ailleurs dans ma région ; certains maires le font dans leur commune ;

j'associe par exemple les lycéens aux dépenses publiques dans les lycées et je peux vous dire

qu'ils ont un respect extrêmement... avec beaucoup de maturité de la défense publique...

229

».

En retour, cette invocation de l’expérience locale ajoute à la position de candidate du

renou-veau, de candidate atypique, position qu’elle a d'abord fondé sur ses « combats» menés dans

des ministères secondaires : le bizutage, la pédophilie, la pilule du lendemain.

« Mes combats de toujours. L’encadrement militaire, la carte scolaire…

Certains, à gauche, n’ont jamais compris mes combats. Je repense bien en amont de

tout cela, à mon combat contre la pédophilie qui a été compris comme un combat de mère

la pudeur. Je repense à ma lutte contre le bizutage qui m’a valu le renvoi en cours de

jus-tice de la République par deux professeurs de classe prépa vétérinaire qui trouvaient

nor-mal que les filles se fassent déshabiller et à moitié violer. Tous ces gens ont tourné en

dé-rision ces combats. Ils n’y ont pas vu la « grande politique » selon leur cœur.[...] Ma vie a

été une suite de combats et d’insoumissions, de révoltes, c’est ainsi. […] Mes camarades

peuvent penser ce qu’ils veulent. Ils peuvent trouver que ce sont là des petits sujets. Pour

moi, ils sont essentiels. Ils sont constitutifs d’une vraie gauche moderne. Et, d’ailleurs,

peu importent, à la limite, ces questions de gauche et de droite. Ce combat de longue date,

il est constitutif de ma personnalité politique. Et tant pis pour cette partie du PS dont

l’horloge historique s’est arrêtée et qui ne comprend pas que ces combats sont des

com-bats fondateurs d’une conception moderne de la société incluant l’éducation.

230

»

227 Biographie site internet Conseil régional de Poitou-Charentes ou Désir d'avenir.

228 Nouvel observateur 23/11/06

229 LCP 22/03/07

Cette romance biographique, qu'elle poursuit après l'échec de l'élection présidentielle, vise