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BILAN DES DONNEES : CITE ET ESPACE

b - Passage des Vandales dans les confins

BILAN DES DONNEES : CITE ET ESPACE

Romanisation des confins occidentaux de la Maurétanie Césarienne

De quelle manière pouvons-nous définir la romanisation ? Elle se traduit par un processus d’intégration voire de mutation dont l’aboutissement tend à se rapprocher du modèle romain, voire à l'intégrer. Ce processus implique donc des étapes et des vecteurs, dont la citoyenneté romaine est un exemple et non un résultat, la latinité, l’urbanisation, et bien d’autres aspects formant tout un ensemble de la romanisation. Il existait de même une échelle de romanisation au sein même d’une population d’une même localité. Nous savons qu’un notable s’attachait bien plus au modèle romain qu’un ouvrier agricole.

L’armée, dont la fonction première était le contrôle territorial, était impliquée dans ce processus et en était même un des principaux acteurs. La militarisation des recrues des tribus est un bon moyen d’intégration, car nous savons qu’au terme d’une carrière militaire, les soldats deviennent citoyens romains. Ces nouveaux citoyens romains ont fondé des familles, créant donc des souches romaines.

Nous savons que la cité et ses institutions est la base du système romain, reposant sur la politique, l’économie et la religion. Afin d’asseoir sa domination dans l’ensemble de l’Afrique du Nord comme dans les confins de la Maurétanie Césarienne, Rome utilise un réseau urbain. Mais il serait faux de penser que sur ces territoires, le système urbain est une pure invention romaine. Cet état de fait remonte à des temps antérieurs à l’arrivée romaine. Rappelons que Siga était la capitale du royaume de Syphax. Il est donc presque certain que le mode de vie sédentaire voire urbain, remonte à l’époque préomaine, ce qui a de ce fait facilité le développement romain.

En résumé des données que nous avons pu analyser l’installation romaine a suivi un processus en trois phases : poster des groupes militaires, implanter un groupe de colons sur un site, créer des communes romaines, incorporer des communes préexistantes en les transformant en cités de droit romain ; du moins lorsque la compatibilité était possible.

Tous en restant cantonné à notre espace d’étude nous pourrions esquisser une comparaison d’une zone à une autre, d’une localité à une autre, de manière à permettre une évaluation du degré de romanisation. Mais là encore les données restes trop faibles, à ce jour.

Toponymie, statut, vestiges

Tentons à présent d’établir une vision d’ensemble des confins occidentaux de la Maurétanie Césarienne. Nous rappelons pour cela tous les toponymes antiques connus, puis les statuts des localités lorsqu’ils nous sont familiers, enfin les sites pour lesquels il subsiste des vestiges d’occupation identifiable ou dans lesquels des objets quelconques ont été découverts.

Site Préexistence 1ere occupation

romaine

date 2e occupation romaine date Matériels archéologiques Activités

Lemnis libyco-punique ? site portuaire ? ? site portuaire ? ? -tessons, faïences antiques

-pierres de vestiges romains ? commerciale ?

Ad Fratres libyco-punique ? site portuaire ? ? site portuaire ? ? -tessons antiques (puniques)

-inscription latine ? commerciale ?

Gypsaria/Artisiga libyco-punique ? site portuaire ? ? ? ? -bassin antique

-vestiges romains

-tessons antiques (puniques)

-commerciale ?

-exploitation de culture antique

Portus Caecilii phénico-punique site portuaire ? ? ? ? ancien fort romain -militaire

-commerciale ?

Siga

Portus Sigensis

libyco-punique cité et port 218-222 municipe ? -vestiges architecturaux -remparts

-cimetière -adductions

-objets archéologiques

-inscriptions et stèles anépigraphes

-municipal -agricole -commerciale -cultuelle

Camarata station phénico-punique -site portuaire

romain -agglomération ? ? ? -commerciale -civile ? -paysanne ? Praesidium Sufative / Albulae

site maure ? militaire 117-118 civile / cité pérégrine puis

municipe ou colonie 199 -vestiges -cimetière architecturaux -adductions -objets archéologiques -inscriptions latines -militaire -municipale -cultuelle Tepidae ? militaire ? station thermale

? ? ? -vestiges d'un camp militaire

-thermes romains -militaire -thermale -agricole ? Damous

Calama ?

? militaire ? Fin IIIe

siècle civile ? ? -vestiges de murs de maisons -poteries, débris de céramique, tessons

-matériel archéologique agricole et marchand

-inscriptions funéraires latines

-militaire

Site Préexistence 1ere occupation

romaine

date 2e occupation romaine date Matériels archéologiques Activités

Altava site maure militaire 178 ? civile /cité pérégrine 220 -militaire

-civile -agricole -commerciale -cultuelle

Pomaria ? militaire 222-235 civile / cité pérégrine 218-222 -vestiges d'enceinte

-vestiges architecturaux -cimetière -adductions -objets archéologiques -inscriptions latines -militaire -civile -agricole -cultuelle

Numerus Syrorum ? militaire 217-218 civile / cité pérégrine 217-218 inscriptions latines militaire, civile

Sites probablement occupés Nature d’occupation date d’occupation Matériels archéologiques Activités

Tabarit station phénico-punique ? ? ? commerciale ?

Sidna Youcha station phénico-punique ? ? ? ?

Tafsout station phénico-punique ? ? ? ?

Ouardanniya station phénico-punique ? ? ? ?

Beni Saf station phénico-punique ? ? ? ?

Aïn Tolba agglomération ? ? ? ?

Aïn Khial agglomération ? ? ? ?

Aïn el Bridj agglomération ? ? ? ?

Aïn Tekbalet ? ? ? ?

Aïn Roumana thermes ? vestiges de thermes romains ?

Sidi Ahmed gîte d'étape ? ? ?

Aïn Reggada ? ? table d'autel paléochrétien ?

Martimprey ? ? pierres romaines réutilisées ?

Si Mejahed observatoire militaire romain? ? ? ?

L’étude de la toponymie militaire et urbaine est basée sur les écrits des anciens et les inscriptions, seuls témoignages pour le moment accessibles. La toponymie de ces confins nous a montré que sur quatorze toponymes connus (en comptant les deux toponymes antiques d'Aïn Temouchent), quatre sites ont conservé leur toponyme certifié d’origine libyque ou punique [Artisiga, Siga, Praesidium Sufative, Altava]. Les noms latins supposent la création d’une structure romaine sur un site inoccupé ou faiblement occupé. Ainsi sur les treize positions [Lemnis, Ad Fratres, Gypsaria/Artisiga, Portus Caecilii, Portus Sigensis, Siga, Camarata,

Praesidium Sufative/Albulae, Tepidae, Altava, Pomaria, Damous, Numerus Syrorum], trois [Albulae, Siga, Altava] sont d’anciens sites libyque ou punique et probablement six sont d'anciens comptoirs phénico puniques [Lemnis, Ad Fratres, Gypsaria/Artisiga, Portus Caecilii, Portus Sigensis, Camarata]. Cette origine libyque est

attestée pour Siga. Quant à Albulae et Altava, cela demeure une supposition, plus que probable pour Altava, site pour lequel nous avons admis la survivance d'institutions libyques et pour lequel l'occupation par une gens avant l'arrivée des Romains est certaine.

Sur ces treize positions quatre [Albulae, Altava, Pomaria, Numerus Syrorum] sont avec certitude, à l’origine, des camps militaires. Ces quatre positions font parties des voies stratégiques : la noua praetentura - les voies de l’axe nord / sud.

Nous avons également constaté que la plupart des localités de ces confins sont des cités à vocation agricole, occupées par des propriétaires fonciers et des ouvriers agricoles. Un certain nombre de ces cités s’est romanisé à un certain degré, avec une administration parfois complexe à comprendre, comme c'est le cas pour Altava.

Nous constatons alors le schéma suivant. Ce territoire des confins occidentaux de la Maurétanie Césarienne, que nous avons qualifié de militaire suit une évolution civique passant d’une occupation romaine presque entièrement militaire, (presque car Siga était alors une colonie), à une occupation civile. Il n’est plus question de postes militaires, mais de cités. Ce territoire militaire a donc connu une mutation civile. Ainsi nombre d’entre ces camps militaires sont devenus des cités de droit romain ou des municipes. Nous avons constaté l’évolution civique de ces cités n’ayant, certainement dans les débuts, pas perdu leur caractère militaire. Le mode d’administration de chaque cité dépend de la population locale. En fait, des cités comme Altava, pour laquelle il est possible qu’une vie en communauté existe déjà avant l’arrivé des Romains, a dû, de ce fait, adapter une administration. Cette administration, à mi-chemin entre les traditions maures et les habitudes civiques romaines, crée une administration particulière qu’il est difficile de définir en détail.

Beaucoup de localités restent soit anonymes, soit dans le mystère de leur statut. De ce fait il est parfois difficile de savoir s’il s’agit de cités ou de simples agglomérations.

Concentration et répartition des localités dans la région

D’après l’étude des statuts de ces localités nous constatons que ces confins occidentaux de la Maurétanie Césarienne peuvent être divisés en deux zones. La partie nord (proche des côtes) est plus anciennement romanisée que la partie sud. Cette partie nord comprend les sites principaux suivants : Camarata,

Albulae, Siga, puis les localités dont nous n'avons pu définir le rôle avec certitude [Lemnis, Ad Fratres, Gypsaria/Artisiga, Portus Caecelii]. La partie sud correspond en fait à la création de la noua praetentura,

comprenant les sites Altava, Pomaria et Numerus Syrorum. Ainsi cette description territoriale met en relief deux grandes bandes d'occupation.

Que se passe t-il entre la noua praetentura et la côte ? Nous y avons localisé des sites comme Damous et

Tepidae, dont il est difficile de déterminer le rôle. Aucun de ces sites ne possède de quelconque inscription

faisant référence à l’existence d’un poste militaire. Puis il y a une petite localité, Aïn Khial, située sur la voie

Albulae - Altava, pour laquelle une inscription certifie la présence d’une unité militaire. Il est donc presque

certain que ce lieu-dit servait à contrôler la voie. Etait-il le seul ? Cela paraît peu probable. D’une part il ne s’agit pas de la seule voie, d’autre part il existe des nœuds de voies : non loin de Remchi, entre Pomaria et Tepidae puis entre Albulae et Tepidae. Ces nœuds sont en quelque sorte des carrefours pour lesquels il existait certainement une surveillance militaire.

Le développement administratif conduit à un mode de vie commercial. Nous avons noté l'existence de cités marchandes : Damous, Albulae, Altava, Siga. Ces cités sont pour le moment les seuls cas pour lesquels nous pouvons certifier de telles activités. Quant à Camarata, la position stratégique, peut-être un comptoir, laisse supposer qu’il y existait une activité commerciale voire portuaire.

Même si le but premier des Romains se limitait à l'exploitation des richesses de ce territoire, impliquant donc la présence d’unités militaires, les objectifs finirent par viser l’installation civile, conduisant par conséquent à une activité commerciale, dépassant les territoires d’Afrique, allant probablement au-delà de la Méditerranée avec

Dans les territoires qui nous paraissent inoccupés, vivaient des populations maures dont le mode de vie était probablement sédentaire ou semi nomade. Le nomadisme compliquait la surveillance romaine. Il s’agit en fait de tribus certainement surveillées par des unités militaires, ou à la tête desquelles un chef avait un statut de responsabilité vis-à-vis de Rome. Oujda pourrait bien faire partie de ce type de localité. Ces confins sont les territoires frontaliers aux territoires civiques de la Maurétanie Tingitane. Nous précisons territoires civiques car il existait également du côté de la Maurétanie Tingitane ce même espace d’apparence inactive que celui des confins extrême ouest de la Maurétanie Césarienne. En effet, entre Russadir, cité extrême est de la Maurétanie Tingitane et Numerus Syrorum, cité extrême ouest de la Maurétanie Césarienne, un vaste espace était occupé presque essentiellement par les gentes. Ces gentes sont ralliées au pouvoir romain par le biais d’accords. Elles faisaient donc partie du territoire provincial dans un espace qui n’était pas forcement occupé par des populations civiles, mais probablement par des militaires mobiles. C’est une politique d’occupation qui permet de pallier les rebellions, d’autre part de conserver un système d’exploitation sur des territoires où le pouvoir central n’a pas tenu à installer un mode de vie civique pour des raisons qui nous échappent : la population civile était-elle trop faible pour occuper ces territoires ? Les postes militaires aux confins des territoires occupés servaient-ils à contrer toute tentative d’avancée des Africains « libres » ? Le but était-il de conserver un territoire en domaine tribal et des populations différentes de manière à entretenir une hiérarchie impliquant probablement un ordre servile ?

Le contrôle des exploitations de ces espaces nous échappe également. Il est possible que le produit des diverses exploitations ait été acheminé jusqu'à Numerus Syrorum par de simples voies, et que son acheminement se poursuivait à partir de là par la voie que nous connaissons bien jusqu’à Siga en passant par Damous, ville marchande.

Puis il y a Nédroma dont il est difficile d’élucider l’origine toponymique. Nous découvrons le nom de cette localité avec El Bekri, au XIe siècle. Nous avons vu que les richesses naturelles du site qu'occupe la localité ont certainement fait l’objet d’une exploitation dont le produit était probablement acheminé par la voie médiévale décrite par Al Yakubi, Aïn Temouchent - Nédroma et par El Bekri, Nédroma - Honaïne. Cette dernière ville, localisée sur la côte, se situe elle-même dans un milieu naturel riche.

La période qui suit la démission romaine, à l’approche de la conquête musulmane, pose des problèmes historiques. En effet, à partir du début du Ve siècle nous n’avons plus d’inscriptions administratives, ni même d'inscriptions funéraires faisant état de la fonction d’un personnage administratif ou même militaire, nous devons nous contenter d’inscriptions funéraires.

La question que nous nous posons alors est la suivante : les royaumes maures qui semblent avoir succédé à l’autorité romaine, sont-ils une nouvelle création du VIe siècle, VIIe siècle ? Nous ne pouvons pas prétendre qu’au lendemain du départ des Vandales, les royaumes se sont créés spontanément, d’autant que Rome reprend le contrôle de la Maurétanie en 442. En fait cela résulte de phénomènes historiques préexistants, dont l’aspect civil n’est pas étranger. Le départ des troupes romaines n’est pas sans conséquences, mais il faut remonter plus loin. En réalité, la structure des tribus, régies par des chefs de tribus maures, existant depuis des générations dans ces territoires, est probablement à la base de la nouvelle organisation.

Le principe d’existence de ces royaumes est dans la continuité des tribus qui furent jadis reconnues par les Romains, car nous avons vu qu’à l’intérieur même des territoires certaines tribus conservaient des chefs, gentes, par conséquent une certaine autonomie sous autorité romaine.

Nous avons pu mettre en évidence l’existence d’un certain nombre d’agglomérations, ce qui nous a permis d’analyser leur répartition dans l’espace. Nous avons également pu approcher pour un certain nombre d’entre elles leurs fonctions premières puis leur évolution civique. Nous avons pu constater les rapports qui pouvaient exister entre les différents sites : rapport militaire dans un premier temps, puis rapport marchand dans un deuxième temps, peut-être même existait-il des rapports administratifs. Tous ces contacts s’étudient à partir de l’histoire de chacune de ces cités, de ce fait ils mettent également en relief les lacunes historiques auxquelles nous sommes confrontés. Ainsi la concentration et la répartition des localités semblent suivre une logique stratégique géographique : - les sites paraissent comme alignés, à l'image du relief - ils occupent très souvent une butte, un mamelon, un plateau, avec à proximité une ou plusieurs sources permanentes, bordant le site ou situées en contre bas ou encore en hauteur par rapport au site - la position des sites correspond de même à une logique de stratégie visant à couvrir un espace dont la surveillance était parfois délicate.

De ce fait trois conditions d’occupation semblent s’imposer à chaque fois : sécurité, eau permanente, espace. Il semble donc exister trois sortes d’occupation : des bourgades d’acropole comme Pomaria et Siga, des villes occupant le centre ou l’extrémité d’une cuvette comme Numerus Syrorum et Tepidae, puis des cités des zones de contact comme Pomaria et Altava Parfois même une localité possédait deux de ces trois caractéristiques, ce qui est le cas de Pomaria.

La typologie urbaine reste, pour le moment, mal connue. La facilité d’accès grâce au réseau routier, ou au contraire les lacunes des voies, ont joué un rôle important, essentiel dans l’occupation urbaine. Ainsi il ne serait pas étonnant de constater que le secteur recouvrant la noua praetentura, puis celui qui se situe entre les

voies axiales, soient des zones à agglomérations plus ou moins importantes en comparaison avec les espaces exclus des grandes voies, à savoir les confins extrêmes, quand nous sommes certains qu’il ne s’agit pas d’espaces inhabités.

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