La sélection des informations et leur perception par les interviewés, engendrent des biais
inhérents aux participants de la recherche21. Il s’agit principalement de biais relatifs au recueil
des données.
Le fait que certains sujets rapportés par les informateurs sont très éloignés dans le temps, a pu
induire des biais de mémorisation, par un récit déformé à partir de souvenirs approximatifs.
De même, le narrateur lors des récits de vie, a recours à un réaménagement de la réalité, dans
le but de maintenir en permanence une cohérence et un sens. Comme le souligne J Poupart
« Le comportement humain ne se comprend et ne s’explique qu’en relation avec les
significations que les individus donnent aux choses et à leurs actions »22. Si cette position
permet de comprendre le comportement d’une personne à travers les représentations d’une
21
Blanchet A, Gotman A. Op. cit.
22
Poupart et al. La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques. Montréal, éd. Gaëtan
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expérience de vie, il ne faut pas oublier que certains informateurs occultent de manière
intentionnelle ou non, des aspects de leur histoire, induisant alors des biais.
II. Réflexions autour du véganisme : entretien avec une
diététicienne.
Pour renforcer la cohérence de nos résultats et enrichir la discussion, nous nous sommes
entretenue avec Madame C Jacquis, diététicienne à mi-temps en libéral et en secteur
hospitalier. Elle est très impliquée dans les alimentations particulières puisque son approche
est centrée sur le comportement alimentaire et son accompagnement. Son expertise nous a
permis de mettre en lumière des réflexions intéressantes autour de l’abord du véganisme en
consultation, d’en identifier les risques nutritionnels et de donner des pistes de compréhension
sur la manière de s’adapter face à un patient végan pour maintenir une alliance thérapeutique.
De cet entretien il ressort :
Accueillir un patient végan en consultation c’est d’abord l’écouter. Cette écoute est une étape
indispensable, elle permet de se centrer sur le patient pour la suite de l’accompagnement de
soins.
« Ne pas être fermé, être à l’écoute de ce qu’apporte le patient […] C’est accompagné le patient pour qu’il soit plus
serein par rapport à son alimentation »
Si cette notion d’écoute est importante elle n’est pas suffisante, mais favorise la
compréhension. Cette démarche permet d’appréhender le sens que donne une personne à ses
actions sociales. Une fois de plus le patient est au centre du processus, le soignant devant se
placer du point de vue du patient pour identifier les raisons de ses choix.
« Je pense que c’est une conviction personnelle. Donc j’accueille le patient comme il vient avec ses convictions […]
Tout simplement de poser la question comment est ce que vous mangez ? Et aussi pourquoi ? Quel sens ça a pour
vous ? Je pense c’est le plus important à demander en tant que médecin »
Un échange réciproque d’informations permet d’évaluer les connaissances nutritionnelles du
patient et de s’enquérir de ses valeurs et préférences. Il s’agit de délaisser le modèle
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paternaliste, où le soignant est le détenteur exclusif du savoir, et d’aspirer à une relation
fondée sur l’échange d’informations et le partage. Ainsi le professionnel passe du statut de
soignant à celui de conseiller .
« Du coup on discute et ils repartent avec quelques conseils si besoin […] Ce sont des personnes qui connaissent à
fond le truc, limite mieux que moi sur certains aliments. Donc en fait c’est aussi un échange »
Le patient n’attend pas uniquement du professionnel une expertise purement technique mais
recherche l’établissement d’une relation de soutien voire de réassurance, dans laquelle le
médecin est placé en personne de confiance .
« En général ce genre de patient ils ont besoin d’être rassurés et de savoir si tous les besoins sont couverts
notamment en vitamines et en minéraux. Ils se posent toujours la question est-ce que c’est bon quoi ? »
L’accompagnement de soins requiert de prendre en considération la globalité de la personne
et ainsi de tenir compte des valeurs et préférences du patient, ce qui permet au soignant de
s’adapter et de mieux interagir avec celui-ci.
« C’est pour ca que moi j’aime bien travailler avec les patients que j’accueille sur le comportement pour moi c’est
son vécu. Et après c’est travailler avec lui sur ce qu’il est prêt à changer ou pas et de l’accompagner dans ce sens
[…] A chaque fois je me recentre sur oui mais et vous, vous aimez ou pas ? »
Ces résultats rejoignent ceux des informateurs. Ils montrent que le manque de ces qualités
relationnelles et communicationnelles est un des principaux facteurs de l’altération de
l’alliance thérapeutique par la non considération des valeurs et préférences du patient.
« En fait elle a cassé le lien parce que dès la première consultation elle a essayé de la convaincre de manger de la
viande … alors que moi je ne fonctionne pas du tout comme ca de toute manière voila si c’est une conviction c’est
sûr que le lien il va se casser »
En l’absence d’apport alimentaire d’origine animale, la principale carence chez les personnes
végétaliennes et véganes est la carence en vitamine B12. Dès lors une supplémentation est
indispensable. Si les autres carences sont rares chez l’adulte pour autant que l’alimentation
végétalienne est équilibrée, elles sont plus fréquentes chez les populations à risque comme les
enfants. Il faut aussi s’assurer que les apports en protéines et en calcium sont suffisants. En
complétant l’alimentation par des protéines végétales, l’apport protidique est couvert. Pour le
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calcium, boire des eaux riches en calcium et manger des oléagineux permet de maintenir un
apport adapté aux besoins.
« Principalement c’est la vitamine B12 parce qu’en général ils ne mangent pas de viande ni de poisson ni d’œuf
donc effectivement la carence principale c’est celle-ci […] Après il y a un médecin qui avait fait une intervention la
dessus qui disait que les populations les plus fragiles c’était les enfants et que chez l’adulte en fait c’était rare quand
il y avait des carences […] Après il faut veiller à ce que l’apport protéique soit suffisant. En général ils complètent
avec des protéines végétales. En général ils connaissent bien donc ils arrivent assez bien à compenser. Le calcium
moi je me pose toujours la question mais au final ils arrivent assez bien à compenser avec d’autres aliments. On
peut arriver à combiner avec des eaux et tout ce qui est oléagineux. Donc finalement on arrive à retrouver un
équilibre »
Ce que nous retenons de cet entretien avec une professionnelle de l’alimentation repose sur la
qualité du cadre et les conseils nutritionnels, l’ensemble en absence de toute forme de
jugement. Nous retrouvons ces qualités du médecin dans nos entretiens : accueil, écoute,
évitement des conflits de valeurs, compréhension du sens (les éléments symboliques du
véganisme) et sécurité alimentaire, qui contribuent au maintien de l’alliance thérapeutique.
III. Discussion autour des résultats
Pour appréhender dans notre discussion la place respective des thèmes que nous avons mis en
évidence nous choisissons de continuer notre discussion à partir des axes qui construisaient
notre question de recherche. A savoir :
- Le parcours de vie et l’exploration du cheminement des personnes jusqu’au véganisme.
- Les représentations du véganisme en relation avec la santé et les valeurs sociales.
- L‘influence du véganisme sur la relation patient-médecin généraliste.
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1) Le parcours de vie et l’exploration du cheminement des personnes jusqu’au
véganisme
Dans le document
THÈSE SORBONNE UNIVERSITÉ
(Page 67-71)