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Besoins et attentes de la classe moyenne en matière de politiques publiques

Notes conclusives : politiques publiques et classe moyenne au Brésil

7.2. Besoins et attentes de la classe moyenne en matière de politiques publiques

dont ne se sont pas privés les gouvernements dans la phase montante – elles ne sont guère mises en avant, de manière précise et ferme, par nos interlocuteurs pour éclairer les conditions de croissance et de décroissance de cette strate intermédiaire de la société brésilienne.

7.2. Besoins et attentes de la classe moyenne en matière de politiques

publiques

L’influence potentielle des politiques publiques sur la formation, la croissance et le renouvellement de la classe moyenne n’épuise cependant pas le champ possible des relations de celle-ci avec les pouvoirs publics et avec l’action publique. Il convient donc d’exposer en quoi et dans quelle mesure cette classe moyenne interpelle les autorités et en appelle à des politiques publiques139.

Si elles sont conscientes d’une amélioration de leur sort en comparaison des périodes précédentes et notamment par rapport aux générations antérieures, les familles interrogées n’en nourrissent pas moins un certain nombre d’insatisfactions et d’attentes dont beaucoup peuvent être interprétées comme autant de souhaits voire de doléances adressés aux autorités sommées de répondre à ces expectatives par des mesures, programmes et politiques publiques. Et le basculement dans une conjoncture particulièrement dépressive ne fait qu’exacerber de telles attentes et revendications. On passera sous revue quelques domaines dans lesquels l’action publique est ou pourrait être appelée à intervenir pour répondre aux présentes sollicitations formulées plus ou moins explicitement et avec plus ou moins de force par les ménages brésiliens interrogés dans le cadre de la présente enquête.

Travail et emploi

La détérioration brutale et importante de l’emploi et des salaires, ces derniers notamment par rapport à une inflation en recrudescence, a généré des pertes de pouvoir d’achat même pour ceux qui ont conservé leur emploi. La multi-activité, si elle peut être, parfois, donnée en exemple de la capacité d’adaptation de la population active brésilienne, n’est qu’un pis-aller, nécessaire pour ceux qui disposent de faibles revenus du travail, mais qui ne saurait être érigé en modèle. L’emploi n’est pas seulement affecté en terme de volume de postes de travail : il est aussi dénoncé, dans ce contexte déprimé, un déphasage entre les niveaux d’études atteints, les compétences acquises et la nature des emplois occupés, les Brésiliens devant assez souvent se satisfaire de postes de travail éloignés de leurs aspirations mais que les difficiles circonstances économiques leur commandent pour l’heure d’accepter. A ce même chapitre on peut ajouter le désir d’améliorer les qualifications et autres savoir-faire professionnels. On sait

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Le relevé qui suit des politiques publiques suggérées dans un certain nombre de domaines est exclusivement basé sur l’enquête réalisée auprès des ménages de la classe moyenne. Les interlocuteurs exerçant dans les secteurs institutionnels couverts également par les investigations posent en creux la problématique de certaines politiques publiques à même d’améliorer telle ou telle situation mais, d’une part, ils ne se sont pas exprimés en tant que membres de la classe moyenne – et certains n’en relevant d’ailleurs pas – et, d’autre part, les actions publiques auxquelles ils se réfèrent directement ou indirectement ne sont guère différentes des politiques publiques auxquelles renvoient les entretiens auprès des ménages même si elles sont formulées selon des expressions différentes.

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que la main d’œuvre brésilienne souffre globalement d’une qualification relativement basse. Amélioration du nombre d’emplois, augmentation des salaires et préservation du pouvoir d’achat, amélioration de la formation professionnelle indiquent ainsi des pistes sur lesquelles les pouvoirs publics sont attendus.

Education

L’importance de l’éducation est partagée par l’ensemble des familles brésiliennes et notamment celles relevant de la classe moyenne qui voient dans la scolarisation le principal levier du bien-être social et professionnel futur de sa progéniture. L’augmentation du nombre des écoles et des collèges – et, en fin de parcours, des universités publiques –, l’amélioration des conditions d’accueil (infrastructures et services) et le rehaussement de la compétence des enseignants et de la qualité de l’enseignement constituent des attentes réelles des familles, au- delà des pressions mécaniques que le croît démographique du pays fait peser sur l’offre scolaire. Par ailleurs les difficultés économiques qui ont succédé à une décennie de croissance ont pour conséquence que nombre de familles de la classe moyenne ne peuvent plus financer au profit de leurs enfants les filières scolaires privées privilégiées jusqu’ici. Les pouvoirs publics doivent donc répondre à un processus de migration vers les établissements publics (écoles et collèges) qui s’accompagnera inévitablement d’exigences qualitatives. Les nouvelles contraintes financières imposées par le gouvernement dans ce domaine pour faire face au dérèglement des comptes publics ajoutent, sans aucun doute, aux défis à relever.

Santé

Les attentes en matière de santé, qu’il s’agisse des infrastructures ou des services, figurent, à côté de l’éducation, en tête des préoccupations des ménages de la classe moyenne. Le secteur public correspondant est considéré comme en très mauvais état, défaillant voire sinistré – et pas seulement par cette catégorie intermédiaire de la population. Il ne s’agit pas seulement de carences en termes de nombre d’unités de santé publique mais aussi des délais d’accueil et de consultation des patients, d’accès aux médicaments et aux traitements. On sait que de sérieux efforts en ce domaine ont été consentis par les autorités brésiliennes ces dernières décennies, aiguillonnées au demeurant par les impératifs constitutionnels, sans pour autant que le passif en santé publique ait pu être résorbé et alors que l’évolution démographique le rend chaque année plus important. Le gel des dépenses publiques de santé décidé récemment, entre autres mesures, pour contribuer à l’ajustement des finances de l’Etat va contraindre les politiques publiques portant sur ce secteur en portant l’effort sur l’efficacité du système plus que sur son accroissement physique.

Logement

L’enquête auprès des ménages a mis en évidence, entre autres réalités, la fréquence des déménagements de ces familles et le taux élevé du statut de propriétaire de leur logement. Ces familles semblent donc, globalement, échapper aux mauvaises conditions d’habitat relevées par maintes enquêtes et par maints recensements officiels sur l’ensemble du pays : déficit numérique, insalubrité, vétusté, carences des services connexes (assainissement, pavement ou asphaltage des rues, etc.). On aura cependant noté le désir de plusieurs familles de trouver un logement plus grand et/ou mieux équipé ou encore de déménager dans des quartiers jugés plus tranquilles en terme de sécurité publique voire d’envisager un transfert dans des villes de l’intérieur pour échapper aux vicissitudes de la grande agglomération. Enfin on a constaté que dans l’hypothèse d’un retour à meilleure fortune – manifestée ici par un éventuel accroissement du revenu – l’achat d’un bien immobilier figure nettement en tête des

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perspectives des familles interrogées. Ainsi, même si elles sont certainement mieux loties que les populations plus pauvres et si leurs vœux et besoins sont moins urgents et pressants que ces dernières, les familles de la classe moyenne ne sauraient être oubliées des actions entrant dans le cadre d’une politique publique du logement, que celle-ci soit impulsée par les autorités centrales ou celles des Etats fédérés et des municípios. Enfin, intensif en main d’œuvre, le secteur de la construction pourrait aider à diminuer le chômage.

Couverture sociale

Si elles sont presque toutes assurées au moins auprès d’un régime de base d’assurances sociales, on a vu que les familles interrogées profèrent de nombreuses et profondes critiques sur la gestion des organismes publics de sécurité sociale : erreurs, retards, détournements, mauvaise utilisation des fonds, etc. Ces récriminations, qui rejoignent en fait le chœur de reproches formulés par l’ensemble de la société brésilienne, interpellent d’évidence les pouvoirs publics sommés de rendre plus transparents et plus efficients les divers systèmes de couverture sociale même si les personnes enquêtées ne se font guère d’illusion sur la volonté et sur la capacité des autorités compétentes à mettre en œuvre des réformes sincères et efficaces. Mais avec la crise affrontée par le pays, l’abandon de régimes d’assurances privées et le déport automatique de nombre de familles de la classe moyenne vers les régimes publics accroîtront inévitablement leurs doléances et augmentera les attentes à l’égard d’une gestion plus rigoureuse et mieux adaptée des dispositifs publics de couverture sociale.

Impôts et cotisations

Sur ce point les réactions aussi vives que critiques enregistrées auprès des familles de la classe moyenne prolongent et amplifient les réprobations exprimées en matière de couverture sociale. Les impôts et cotisations sont unanimement jugés exorbitants et non compensés par des services publics de qualité. Cependant les présentes difficultés financières de l’Etat brésilien rendent peu probables pour ne pas dire impossibles les allègements espérés ou la régénération des services.

Crédit

On a précédemment rappelé dans l’étude que le Brésil a connu, au détour des années 2008- 2010 une véritable explosion du crédit. La crise économique qui a fait suite à la période de croissance et qui a donné lieu à une progression massive du chômage, à la fermeture de nombreux petits établissements et à la chute des revenus a eu pour conséquence que de nombreuses familles, notamment celles de la classe moyenne, déjà passablement endettées ont basculé dans le surendettement au regard des moindres ressources désormais disponibles. Une partie d’entre elles éprouvent de graves difficultés de remboursement comme l’attestent les registres officiels des incidents de paiement des achats et de règlements des dettes. Des mesures publiques peuvent être arrêtées pour soulager les familles les plus exsangues via par exemple des allongements des délais de remboursement. Des actions spécifiques pourraient aussi être mises en œuvre pour éviter un phénomène de fuite en avant consistant pour des ménages à contracter de nouveaux prêts aux fins de rembourser des prêts antérieurs. Au-delà, la réduction de la pression financière exercée par les situations d’endettement et de sur- endettement dépendra du taux d’intérêt directeur (SELIC) défini par la Banque Centrale en fonction du niveau d’inflation. Une baisse de celle-ci, constatée ces derniers mois, doit faire diminuer les taux d’intérêts à condition que les établissements financiers et autres organismes

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de crédit répercutent mécaniquement ces baisses au profit des ménages, ce qui n’est pas toujours et nécessairement le cas.

Transports

Le fait qu’ils ont pu recourir jusqu’ici à des moyens de déplacement privés n’empêche pas que les ménages de la classe moyenne émettent des opinions très négatives sur les transports publics jugés insuffisants, lents et finalement coûteux. L’utilisation de véhicules privés, par un effet de composition, produit des résultats contre-productifs car elle tend à accroître les encombrements urbains et à rendre, pour tous, les déplacements plus lents et plus pénibles. Les systèmes de transports publics urbains – de la responsabilité des municípios – doivent sans aucun doute faire l’objet de politiques visant leur indispensable amélioration en nombre, en confort, en fréquence, en sécurité et leur meilleure intégration entre eux (par ex. généralisation du ticket unique valide sur l’ensemble des lignes dans un délai de déplacement déterminé).

Sécurité publique

Les mauvaises conditions de sécurité dans l’espace public sont dénoncées à la quasi- unanimité par les répondants qui ne se distinguent pas de ce point de vue des dénonciations des autres couches de population. Ce domaine est caractérisé par de profondes contradictions. L’état déplorable de la situation et son évolution jugée en perpétuelle dégradation rendent indispensable l’adoption de politiques et actions ad hoc énergiques et continues et cependant peu crédibles dans l’esprit de la classe moyenne tant l’impéritie historique des pouvoirs publics dans ce secteur ou la faible efficacité des mesures lorsque celles-ci sont prises et mises en œuvre désespèrent les personnes interrogées. Mais le désenchantement ambiant ne saurait justifier l’absence de politiques publiques dans ce domaine très complexe, qui ne se limite évidemment pas à la recherche du seul ordre public pour éradiquer la violence, et où les défis sont immenses.

Vie politique, corruption

Ces deux domaines peuvent être associés lorsqu’ils sont envisagés sous le rapport des politiques publiques et dans la mesure où ils provoquent chez les enquêtés autant de plaintes que de désespérance à les voir amendés. Une réforme politique partielle est en cours de discussion entre l’Exécutif et le Législatif visant à une meilleure représentativité des élus. Mais elle est loin de répondre aux propositions et attentes beaucoup plus exigeantes formulées tant par l’Association brésilienne des avocats que par le Ministère public. Comme, en outre, cette réforme relève, in fine, de la compétence du Congrès et qu’on voit mal les parlementaires réduire volontairement et pleinement les libertés et libéralités sur lesquelles ils prospèrent, il est douteux que les changements dans ce secteur soient de nature à satisfaire les attentes majoritaires de la population. Quant à la corruption, aussi généralisée dans sa pratique qu’unanimement dénoncée par les personnes interrogées – et au-delà, par la population brésilienne dans son ensemble – les politiques de lutte ou à tout le moins d’endiguement pourtant fortement souhaitées par les ménages enquêtés laissent ceux-ci dubitatifs et désabusés.

Au final de ce rapide inventaire on peut s’autoriser à formuler les deux observations suivantes. Les domaines dans lesquels des politiques publiques sont implicitement ou explicitement attendues ne sont pas nouveaux puisqu’ils rappellent les mêmes domaines

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évoqués depuis longtemps au Brésil et que confirment maintes enquêtes d’opinion bien antérieures à la présente étude. C’est reconnaître à la fois l’inertie des actions entreprises et la récurrence renouvelée des doléances et des attentes. En second lieu l’actualité et l’authenticité de celles-ci montrent que la période de croissance est loin d’avoir réduit les difficultés rencontrées dans ces mêmes domaines et il est raisonnable de s’interroger sur les possibilités, dans les circonstances présentes de crise économique et de déficits budgétaires, de voir arrêtées et mises en œuvre certaines des politiques publiques évoquées ici. Peut-être les autorités brésiliennes compétentes entendront-elles la célèbre formule de Beaumarchais dans

Le Barbier de Séville : …« la difficulté de réussir ne fait qu’ajouter à la nécessité

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