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3. Description d’un cas particulier : le Vino de la Costa de Berisso

3.1. Histoire de la production de vin et de son déclin

3.1.1. Berisso: quelques éléments d’histoire

Si la naissance du premier village argentin construit par les colons européens (Buenos Aires) remonte au XVIèmesiècle, l’émergence de Berisso est relativement récente et elle est indissociable de l’histoire de la ville de La Plata.

L’occupation de l’espace dans la zone du Gran Buenos Aires débute avec la fondation de la ville de Buenos Aires et l’apparition de petits centres peuplés sur les voies de communication vers le nord, l'ouest et le sud (La Plata: una obra de arte, 1983).

En 1580, Juan de Garay, aventurier espagnol, arrive au port de Buenos Aires, et commence le peuplement et la répartition et subdivision des terres.

À cette époque-là, la région est vouée au travail rural, notamment à l’élevage. À partir de son indépendance (9 juillet 1816), alors qu’à l’étranger les autres pays se trouvent en difficulté économique, l’Argentine développe une politique commerciale de libre-échange, notamment avec la Grande-Bretagne, mais aussi avec le Brésil, Cuba et les Etats-Unis. Le produit d’exportation par excellence est la viande de bœuf salée. D’autres produits, par exemple le cuir, sont exportés principalement vers les pays européens.

Les relations internationales accroissent l’industrialisation de la région, où l’on construit de nombreux saladeros5. Avec le port, lessaladerosattirent des masses de main d’œuvre ouvrière qui vont occuper les quartiers de Buenos Aires.

La décennie de 1860 représente le point culminant de l’activité. Mais les mauvaises conditions hygiéniques contribuent à la diffusion de maladies comme l’épidémie de choléra en 1868 et la fièvre jaune en 1871. En cette même année, la maladie fait fuir les producteurs de Buenos Aires. Parmi eux, Juan Berisso, un jeune homme d’origine génoise, se transfère avec son frère Luis là où aujourd’hui surgit la ville qui a pris son nom (Duarte, 2003). Juan Berisso établit deuxsaladeros, autour desquels le peuplement de la région s’intensifie.

Berisso acquiert son indépendance par rapport au district de La Plata en l’année 1957. Pour cette raison, les données concernant Berisso sont à rechercher dans les écrits à propos de l’histoire de la capitale voisine.

La ville de La Plata est fondée le 19 novembre 1882, en tant que nouvelle capitale de la province de Buenos Aires, qui de son côté renonce à cette désignation pour devenir la capitale fédérale. La décision de construire une nouvelle ville, dans laquelle s’établissent les pouvoirs provinciaux, située à une distance relative de Buenos Aires, est un enjeu important pour les dirigeants politiques de l’époque et a des conséquences fondamentales sur l’occupation spatiale.

Ainsi, pendant les années 1880, ces terres deviennent des lieux de résidence de fonctionnaires, administrateurs etc., et des lieux destinés à leur approvisionnement d’aliments frais.

Toute la région de la côte du Río de la Plata se peuple grâce à une immigration massive, celle qui touche l’Argentine à la fin du XIXème siècle. Une majorité de ces immigrés s’établit dans la zone

5 Les saladeros sont des lieux où l’on procède à saler la viande pour la conserver. Puisque ce terme n’a pas de traduction satisfaisante en langue française, on le retrouvera en Espagnol dans le texte.

urbaine, attirée par l’accroissement des premières activités industrielles (les saladeros, l’industrie frigorifique, et le port). Un plus petit nombre d’immigrés d’origine espagnole, italienne et portugaise notamment, s’installent dans les aires plus oubliées de ces juridictions. Ils établissent desquintas6, dans lesquelles ils disposent des flux des crues périodiques du Río de la Plata. Les parcelles autour de la zone urbaine sont réservées à la production jardinière et fruitière. Les régions plus lointaines sont destinées aux chacras, c’est-à-dire à la production agricole mineure: volaille, céréales, et autres.

C’est dans les localités de Ensenada et Berisso, plus précisément dans les régions de la côte du Río de la Plata, que se développe une production vitivinicole.

L’industrie des saladeros n’est pas destinée à durer longtemps. A la procédure de conservation de la viande sous sel, se substitue celle de la congélation. Pour le dire avec les mots d’un historien de Berisso: «El frío derrotó la sal7». L’industrie frigorifique s’installe au début du XXème siècle. En 1904, surgit la The La Plata Cold Storage Company Limited, qui trois ans plus tard se transforme en Compañía Swift de La Plata. En 1915, surgit une deuxième industrie, le Armour (Barba, 2003).

Ces deux établissements, les plus grands d’Amérique du Sud, connaissent leur activité maximale entre 1940 et 1947. Pendant cette période, ils emploient entre 10'000 et 12'000 ouvriers. Ce succès représente un attrait pour l’arrivée d’un nouveau flux migratoire: les populations frappées par la misère et la guerre quittent l’Europe et débarquent sur les côtes argentines.

En 1950, Armour etSwiftdeviennent l’International Packer Limited, qui s’associe en 1968 à Deltec Panamerica. Cette dernière absorbe les deux usines et décharge sur Swiftle poids de l’insolvabilité de Armour. L’année suivante,Armour ferme et passe son personnel àSwift, qui à son tour voit clore ses portes en 1983 (Filgueira, 2002).

Swift etArmour sont deux noms fort récurrents dans les discours des locaux. Le souvenir de ces deux industries est resté vif dans la mémoire des gens et a laissé une emprise indélébile dans la ville.

L’histoire de l’industrie frigorifique marque une époque fleurissante pour Berisso, pendant laquelle ses habitants avaient de quoi gagner leur vie. Les travailleurs avaient des tournus de huit heures, les établissements restant ouverts jour et nuit. Les premiers immigrés venaient seuls, sans famille, et logeaient dans lesconventillos, des sortes d’hôtels qui louaient des chambres aux nouveaux arrivés. On

6 Ce mot est employé en Argentine et Uruguay pour désigner un potager ou un terrain d’extension variable destiné à la culture de légumes pour la consommation familiale ou à des fins commerciales.

7 «Le froid mit en échec le sel » (Luís Guruciaga, communication personnelle)

entend souvent parler descamas calientes8: les ouvriers terminaient de travailler et allaient se coucher dans un lit tout juste libérée par la personne suivante qui à son tour partait au travail.