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Appartenir à un réseau a des avantages et des inconvénients. L’origine peut être politique, économique. Je voulais savoir quel était l’avantage de la personne qui recevait le migrant ? Retire-t-il des bénéfices ?

[Andrew Hardy]

Pour répondre à cette question, je parlerais du terme quê hương. Ce terme est lié à toute une identité, au pays natal, au village d’origine (home en anglais). On ne parle pas tellement de quê hương lorsque l’on y est mais dès qu’on s’en éloigne. Il y a un élément de nostalgie, des liens réels ou imaginés car on parle d’un quê hương que l’on ne connaît parfois même pas. Cette culture a généré des poèmes, des chansons comme « Quê hương là chùm khế ngọt » (Le pays natal est une carambole sucrée) – il s’agit d’ailleurs d’un exemple bien curieux car je pense que pour beaucoup de Vietnamiens, la carambole amère est délicieuse, celle qui est sucrée n’est pas très bonne ! La chanson commence ainsi. Elle se termine sur un propos beaucoup plus inquiétant : celui ou celle qui n’a pas la nostalgie du pays natal ne peut devenir un bonne personne.

Par cette profonde pénétration des éléments culturels et identitaires, le réseau prend un aspect quasiment idéologique. Cela crée une sorte d’espace social doté d’une très grande flexibilité. Si on est encore dans sa province, le quê hương est le village ; si on quitte la province, le quê hương devient la province. Le lien peut être

entièrement imaginé mais l’élément affectif du quê hương implique que lorsqu’une personne arrive, elle est naturellement aidée. Il est évident aussi que la personne qui arrive et qui reçoit de l’aide est redevable. C’est un peu ce que l’on retrouve dans le village sous la forme de l’entraide (maison à construire, mariage à organiser).

Lê Thu Hương

Dans mes recherches sur les Vietnamiens en Malaisie, j’ai remarqué que la discrimination est une manière de créer de la cohérence sociale et ethnique à l’intérieur du territoire. Les Vietnamiens sont ceux qui mangent de la viande de chien et qui coupent les arbres ; les Chinois sont les prostituées ; les Indonésiens sont les feignants. Mais je ne vois pas le même phénomène dans les régions où les Kinh se sont installés.

[Andrew Hardy]

Les relations người kinh/ người dân tộc (Vietnamiens / ethnies minoritaires) sont très diverses. Dans la province de Bình Định, j’ai rencontré un vieux Vietnamien qui a participé pendant la guerre américaine à la persuasion des minorités ethniques pour qu’ils prennent position du côté communiste. Pendant cinq ans, il a essayé de se faire accepter par la communauté. Il a vu, m’a-t-il dit, que les missionnaires français s’attiraient vers eux l’amitié et la loyauté des minorités, ils s’est alors dit qu’il pouvait le faire aussi. Après trois ans, une dame lui a dit « vous êtes un Vietnamien très curieux, hors norme » car vous n’avez pas un seul des « 4 maux » des Vietnamiens (voler, mentir, draguer et un autre oublié ici). Ce jour-là il a compris qu’il avait réussi sa mission. Cet exemple fait ressortir une chose : il ne s’agit pas d’une relation fondée sur un antagonisme fondamental, une opposition ethnique. Il faut historiciser la relation et étudier les comportements des uns envers les autres.

Pour les migrants vietnamiens en Malaysia, la situation est différente. De manière générale, si vous allez à l’étranger, vous allez rencontrer un élément de crainte de l’étranger dans chaque communauté. Dans le cas des Vietnamiens en Asie du Sud- est, des années 1975-1980, on pouvait lire dans les journaux des pays concernés que la peur du « péril rouge » en Asie du Sud-Est portait non sur l’URSS ni sur les Khmers rouges mais bien sur les boat people vietnamiens qui arrivaient dans le but précis de fuir ce même communisme.

[Michel Bruneau]

Une raison essentielle pour les Malais était aussi de faire venir les Vietnamiens pour créer une pluralité ethnique parmi les migrants notamment Indonésiens.

La migration de type Nam tiến ou de type chinois est une migration qui s’accompagne d’une pression démographique et d’une territorialisation, une migration à but territorial plus ou moins organisé par l’État avec des phénomènes spontanés.

[Andrew Hardy]

Je ne suis pas certain que le Nam tiến soit le résultat d’une pression démographique. Il faudrait à mon avis revenir sur les tensions entre les politiques de l’État et les mouvements spontanés. Je pense qu’il y a d’autres processus en cours.

Nguyễn Thị Hà Nhung

Je ne vois pas beaucoup les Vietnamiens à Khon Kaen où je réside dans le cadre d’un master. Les étudiants vietnamiens ne sont pas nombreux. Ils se concentrent dans le département d’agronomie, ils sont boursiers du gouvernement thaï. En fait, les gens ne disent pas qu’ils sont Vietnamiens. Au début, on m’a prise pour une Japonaise puis le comportement a changé. Je ne comprenais pas pourquoi les gens disaient qu’ils n’aiment pas les Vietnamiens. Des migrants des années 1940- 50 parlent encore vietnamien mais ce n’est pas le cas des nouvelles générations. Il y a douze ans, la citoyenneté a été accordée aux Vietnamiens de Thaïlande mais la reconnaissance par la communauté pose encore problèmes. On étudie beaucoup le vietnamien dans les universités de Thaïlande. Des amis métis me disent qu’ils veulent venir et connaître le Việt Nam. La discrimination existe encore mais les signes sont encourageants.

Journée 5, matinée du vendredi 25