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Battage et vannage

Dans le document Le fonio, une céréale africaine (Page 87-90)

Après quelque temps de stockage sous abri près des habitations ou au champ, les gerbes de fonio ont partiellement séché. Le battage, qui consiste à séparer les grains des tiges, peut alors être réalisé. Pour les fonios hâtifs qui servent d’aliment de soudure aux paysans, impatients de consommer le fruit de leur première moisson, le battage est lancé très rapidement après la récolte. Mais, en général, la durée de stockage et de séchage des gerbes avant battage est d’une semaine à quinze jours ou plus. Dans les zones semi-arides du Burkina Faso ou du Mali, où la grande récolte a lieu vers la fin septembre, le fonio qui a été trans-porté près des habitations est battu durant la première décade du mois d’octobre. Dans les zones subhumides, le battage des meules de fonio laissées aux champs est généralement réalisé à partir de la mi-octobre, alors qu’en Moyenne Guinée le battage des fonios tardifs récoltés en novembre est souvent repoussé jusqu’à la fin du mois de décembre ou même après.

Les aires de battage, qu’elles soient au champ ou proches des habita-tions, sont toujours préparées avec soin pour éviter autant que possible de polluer les grains par diverses impuretés du sol (sables, cailloux). Ces aires sont généralement réalisées en terre battue et enduites avec de la bouse de vache mélangée à de l’argile et elles ne sont que très rarement bétonnées. À proximité des habitations, elles sont parfois recouvertes de nattes ou de bâches plastiques.

Le battage manuel est communément réalisé à l’aide de bâtons rigides ou parfois de baguettes plus souples. Il est en général effectué par des groupes d’entraide villageoise qui travaillent tour à tour pour les pro-priétaires des champs, qui ont alors la charge de les nourrir durant les journées entières que peut durer l’opération. Cette activité laborieuse est pratiquée par les hommes ou par les jeunes gens qui peuvent à cette occasion montrer leur résistance à l’effort. Dans certaines régions, le bat-tage revêt encore un caractère festif où des chants, accompagnés par des tambours et des balafons, permettent de rythmer l’effort (figure 4.7.). Dans la région d’Orodara dans le sud-ouest du Burkina Faso, les grands chantiers de battage peuvent mobiliser plus d’une cinquantaine de personnes. Le battage manuel reste productif et nécessite environ 15 à 20 hommes-jour par hectare. C’est, après le fauchage, l’opération agri-cole qui requiert le plus de main-d’œuvre (Vall et al., 2007).

En 1940, Denise Paulme a décrit le battage du fonio au pays dogon : « Quatre ou cinq jours après la moisson, sur l’ordre du plus âgé d’entre

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eux, tous les jeunes gens du quartier, filles et garçons qui n’ont pas encore eu d’enfant, viennent la nuit battre le fonio que les femmes ont disposé en tas dans le champ. Le travail est obligatoire et nul ne peut s’y soustraire sans devoir payer au plus âgé des travailleurs une amende de cinq cents cauris, qui permettra d’acheter de la bière de mil au marché suivant. Tandis qu’à l’aide de bâtons coudés qui font office de fléau, ses camarades battent les tiges sur une aire durcie, un jeune homme joue de la trompe. Les jeunes filles sont chargées du vannage et jettent contre le vent le mélange de balle et de grain. Le fonio battu est ensuite mis dans des sacs en peau de chèvre, que l’on va remettre au propriétaire du champ. Celui-ci remercie les travailleurs ; dans le courant de la saison sèche, il offrira du mil à ceux qui ont battu son grain, à raison d’une mesure par sac de grains battus. Les jeunes filles transformeront le mil en bière, que les jeunes gens partageront : c’est le po bunu konyo, la bière pour le fonio battu. »

Dans d’autres zones, afin de limiter les dépenses, le battage est réalisé par les membres de la famille. Le suivi d’une opération de battage « au bâton », dans le village de Darsalam proche de Labé en Guinée, a permis de vérifier quelques données sur ce type de battage familial. Une aire de 20 à 25 m², recouverte de bâches en plastique, est uti-lisée par un groupe de cinq personnes constitué de quatre femmes et d’un homme. On libère habituellement une douzaine de gerbes par

Figure 4.7.

personne avec des gerbes pesant en moyenne 600 g. Un monticule d’une soixantaine de gerbes est ainsi édifié au centre de l’aire de battage. Puis, munis d’un bâton souple d’un mètre dans chaque main, les cinq opérateurs tournent, en rythme, autour du tas en frappant les gerbes qu’ils retournent périodiquement avec leurs pieds. Les mesures réalisées au cours de l’opération ont montré que les grains représen-taient 40 % du poids des gerbes (les 60 % restant étant les pailles) et que le débit du battage manuel était de 7 à 10 kg de grains par heure et par personne (ce débit peut atteindre 15 kg/h si le battage est réalisé par de jeunes hommes). Mais ce travail, très harassant, nécessite de fréquentes périodes de repos au cours du battage.

Le battage traditionnel peut également être réalisé par piétinement ou foulage au pied. En prenant appui sur une barre horizontale ou sur des bâtons, les femmes ou les enfants frottent alors les gerbes, une à une, entre leurs pieds pour séparer les grains de la tige. Là aussi, le travail peut être rythmé par des chants et les « batteuses » dansent sur le fonio (voir cahier de photos couleur).

Une fois battues, les grandes pailles sont récupérées manuellement et servent le plus souvent à l’alimentation du bétail. Le mélange de grains et de menues pailles qui reste sur l’aire de battage est ensuite placé dans des paniers tressés sommairement qui jouent le rôle de tamis et permettent de retenir les impuretés grossières, tout en laissant le bon grain et les impuretés fines tomber dans une bassine de récupération. Enfin, à l’aide de vans ou de tamis, les femmes ou les personnes âgées finissent par séparer les impuretés fines du bon grain.

Cette pratique de battage est encore aujourd’hui en tout point iden-tique à celle décrite en 1905 par L. Renoux et P. Dumas : « On peut fouler le fonio deux jours après la récolte. Le grain a fini de recevoir de la tige tout ce qu’elle peut lui donner ; la maturité est complète. Il ne faut pas prolonger beaucoup le délai pour les premiers fonios. Si l’on attend plus de huit jours quand ils sont en meule, on trouve le grain envahi par le mycélium, quelques précautions qu’on ait prises. Le foulage se pratique sur une aire recouverte de nattes ou de peaux de bœuf. L’ouvrier, debout, les mains appuyées sur une barre, froisse entre les pieds les bottes une à une, sans les délier d’abord. Quand les graines se sont plus ou moins détachées, il délie, piétine encore, secoue et passe à une autre botte. Ce travail peut être fait par les enfants. Dans les écoles, les élèves doivent au karamoko (maître d’école) le foulage de son fonio. À cause des glumes qui lui restent adhérentes, le grain du fonio conserve l’humidité. On l’étend au soleil en couches

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minces, qu’on laisse bien sécher. L’indigène achève le nettoyage de son produit en lui imprimant des mouvements de va-et-vient sur une peau ou dans un van. Ses corps étrangers se rassemblent à la surface. En somme, c’est un véritable vannage. Nous remarquerons que le foulage du fonio par la méthode indigène est une opération longue. Nous l’avons vu pratiquer très rapidement au moyen d’une petite batteuse, munie de secoueurs qui supprimaient en même temps le vannage. Quand le grain est bien sec, ce qui se reconnaît à la facilité avec laquelle il glisse dans les doigts, on l’enferme dans des sacs en jonc ou dans des corbeilles en bambous. »

En raison de sa pénibilité, le battage est l’opération pour laquelle les hommes souhaiteraient pouvoir bénéficier de services adaptés. Dans quelques très rares cas, le battage des gerbes est réalisé par dépiquage à l’aide d’un tracteur. Mais cette technique, relativement coûteuse (10 000 FCFA/ha, soit 15,2 €/ha), peut être à l’origine de pertes par enfouissement de grains dans le sol. Même si dès 1905 L. Renoux et P. Dumas faisaient déjà référence au battage mécanique du fonio, ce n’est que très récemment que la recherche a mis au point des batteuses à fonio qui peuvent être construites localement et qui pourraient connaître une plus large diffusion (voir chapitre 6).

Dans le document Le fonio, une céréale africaine (Page 87-90)