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12 LE BANQUET OU LE TRANSFERT

Dans le document Le transfert, de Freud à Lacan (Page 179-200)

TROISIEME PARTIE Lacan : le transfert entre interprétation et répétition

12 LE BANQUET OU LE TRANSFERT

Selon Lacan, le psychanalyste a un antécédent historique : c’est Socrate. Lacan prend appui sur Le Banquet de Platon pour montrer que Socrate fait une manœuvre digne d’un analyste, dans la mesure où, lorsque Alcibiade lui déclare son amour, il le renvoie à un autre : Agathon. C’est un bon exemple de « désir de l’analyste », même si cet exemple n’épuise pas

complètement ce concept de Lacan. Mais dans tout cas, nous voyons qu’il ne s’agit pas d’un « contre-transfert » ni de l’expression de « sentiments » : Socrate « interprète » à Alcibiade dans le sens de lui dévoiler l’objet de son désir.

Qu’est-ce que Le Banquet de Platon ? Laissons répondre un philosophe : « Le Banquet est donc le récit d’un récit, fait sur la route de Phalère à Athènes par un fidèle disciple de Socrate, Apollodore, à son ami Glaucon, et rapporté par le même Apollodore quelque jours après à plusieurs de ses amis, riches bourgeois qui ne sont pas étrangers aux choses de l’esprit. On a demandé à Apollodore, d’un côté comme de l’autre, le récit qu’il tient lui-même

d’Aristodème de la fameuse soirée chez Agathon, bien des années auparavant. Que s’est-il dit, demande le premier Glaucon, à cette réunion où Agathon, Socrate et Alcibiade parlèrent avec d’autres des choses de l’amour ? »383. Le Banquet est, en effet, l’éloge que l’on fait d’Eros, le dieu de l’amour. La plupart des personnages présentés par Platon dans ce dialogue, évoquent à leur manière ce qu’est Eros. Plus précisément, nous avons au total huit personnages : selon quelques commentateurs, quatre expliquent ce que Eros n’est pas (Phèdre, Pausanias,

Eriximaque et Aristophane) et quatre encore expliquent ce qu’est Eros : Agathon, Socrate, Diotime et Alcibiade384. Ceci indique déjà une belle asymétrie dans la distribution des personnages de ce dialogue.

Il faut soulever d’emblée ce qui est annoncé par Lacan dès le début de son séminaire sur le transfert : « le secret de Socrate sera derrière tout ce que nous dirons cette année du

transfert »385. Il ne s’agit donc pas de l’étude érudite d’une œuvre classique, mais l’exemple même de ce qu’est le transfert, à la manière de Freud lorsqu’il affirme « l’exemple est la chose même ». Socrate dit ne rien savoir, sauf sur les choses de l’amour. Or, l’amour est au commencement de l’analyse : « au commencement était l’amour »386. Il est intéressant de voir

383 Mattéi, J.-F., Platon et le miroir du mythe, Paris, P.U.F., 1996, pp. 291-292. 384 Reale, G., Eros, dèmone mediatore, Rizzoli, Milano, 1997, pp. 23-24. 385 Le transfert, op. cit., p. 16

comment Lacan voit les choses, par exemple, au niveau des premières expériences de la psychanalyse, à savoir celle d’Anna O. Lacan met les points sur les i : ce n’est pas la peine d’insinuer qu’il y avait un « contre-transfert un peu marqué » de la part de Breuer envers Anna : « Il est clair que Breuer aima sa patiente »387 ! Autant donc situer les choses ainsi : dans cette relation thérapeutique il était question d’amour. Par ailleurs, nous avons déjà traité de l’amour dans le transfert et vu comment le transfert implique nécessairement l’amour au point que, pour Freud, l’amour de transfert est un amour véritable. Pour Lacan ce sera l’amour qui imite le transfert et non l’inverse.

Mais, il y a une précision à faire lorsqu’il s’agit de la psychanalyse. Pour le dire d’un mot, nous ne ferons pas comme Breuer. Non seulement par le fait que nous n’allons pas refuser l’amour manifesté éventuellement dans le transfert, mais surtout par le fait que, au contraire, nous allons nous en servir : « A la différence de Breuer, et quelle qu’en soit la cause, la démarche qu’adopte Freud fait de lui le maître du redoutable petit dieu. Il choisit, comme Socrate, de le servir pour s’en servir. Là, à ce s’en servir, de l’Eros (…) commencent pour nous les problèmes. Car s’en servir pour quoi ? »388.

Il est clair qu’il ne s’agit pas ici de « charité thérapeutique », au sens de vouloir le bien d’autrui, car cette charité-là implique, par définition, l’agressivité. Vouloir le bien d’autrui suppose qu’on connaît ce qui est bien pour l’autre : cela implique vouloir accommoder l’autre (le patient) à un bien-être universel dont il ne veut pas. Lorsqu’il s’agit de l’amour tel qu’il est traité dans Le Banquet, il est question, presque en permanence, de la beauté des corps et, à partir de là, des rapports entre aimé et aimant. L’aimé est celui qui est beau. Par contre, l’aimant se trouve dans une autre position, c’est plutôt celui qui sacrifie quelque chose de son image à partir du moment où il manifeste un manque. De surcroît, il n’est pas obligé d’être beau, bien au contraire : c’est ainsi que la laideur de Socrate le place naturellement comme étant l’aimant. Mais c’est là où Le Banquet apporte du nouveau, car cette laideur s’avère ne pas être un obstacle à l’amour : c’est la raison pour laquelle le transfert (et l’amour) se différencient de toute « intersubjectivité ». On peut aimer chez l’autre quelque chose d’autre que ce qu’il est. Par ailleurs, dans l’un de ses séminaires, Lacan affirme qu’il n’est pas bon d’être beau lorsqu’on est psychanalyste. Et dans le Séminaire sur le transfert il est même catégorique : « l’analyse est la seule praxis où le charme soit un inconvénient »389. Il s’agit clairement d’un message adressé aux psychanalystes, car le risque qu’ils encourent est de

387 Le transfert, op. cit., p. 17 388 Le transfert, op. cit., p. 18 389 Le transfert, op. cit., p. 23.

croire que « c’est pour eux » que le patient tombe sous le charme. C’est peut être « pour eux », mais pas « à cause » d’eux. De surcroît, le charme de l’analyste généralement ne fait que se confondre avec le bien dont nous parlions tout à l’heure.

La situation analytique est une situation artificielle (« c’est la situation la plus fausse qui soit »390), pour la simple raison que l’amour qui naît de la rencontre analytique est à l’opposé de l’amour sexuel « précarisé », caractéristique de nos sociétés (Freud appelle cette situation « le rabaissement de la vie amoureuse »). Ce rabaissement est proscrit dans la situation analytique, ce qui fait que la sexualité, comprise comme « échange sexuel » entre partenaires, manque. Et c’est précisément ce « manque » d’échange sexuel qui vide, qui va à l’encontre du remplissage sexuel moderne. Pour reprendre les termes de Lacan « Rompant avec la tradition qui consiste à abstraire, à neutraliser, et à vider de tout son sens ce qui peut être en cause dans le fond de la relation analytique, j’entends partir de l’extrême de ce que suppose le fait de s’isoler avec un autre pour lui apprendre quoi ? – ce qui lui manque »391. C’est pour cette raison d’ailleurs que Le Banquet est exemplaire, car on voit comment on passe du « sens commun » des dires sur l’amour au ratage essentiel de ces dires (à partir du moment où ils répondent à un manque), en passant par la confrontation imaginaire, typique du ravage

amoureux (car c’est aussi ce qui se passe dans le fameux dialogue entre Socrate et Alcibiade). Mais ce n’est pas tout. Si nous insistons, en suivant Lacan, sur le manque dont il est

question dans le sexe (ce n’est pas pour rien que Lacan a pu avancer qu’il n’y a pas de

« rapport sexuel ») c’est parce que c’est à partir d’un certain sacrifice, d’une perte, qu’on peut apprendre ce qui nous manque. Et c’est dans et par le transfert que ce manque adoptera un visage : celui de l’aimant. Ainsi, Lacan affirme : « Situation encore plus redoutable [la situation analytique], si nous songeons justement que de par la nature du transfert, ce qui lui manque, il va l’apprendre en tant qu’aimant »392. Nous l’aurons compris : si changement subjectif il y a dans une analyse, il se produit lorsque le sujet passe, mute, d’une position d’aimable (voire d’aimé) à une position d’aimant, à qui il manque forcément quelque chose. Nous percevrons d’ailleurs, dans cette perspective de Lacan, quelques résonances de

« l’analyse avec et sans fin » de Freud, où la fin de l’analyse passe par une subjectivation de la castration.

Quant au Banquet, nous avons déjà évoqué les huit personnages qui le composent et l’importance capitale des « quatre derniers ». Ajoutons à cela l’importance encore plus

390 Le transfert, op. cit., p. 25. 391 Le transfert, op. cit., p. 25. 392 Le transfert, op. cit., p. 25.

capitale qu’aura l’entrée en scène d’Alcibiade (car il transgresse toutes les règles du jeu) et le dialogue qui le confronte à Socrate. Lacan tire profit de cette irruption d’Alcibiade, dans la mesure où il considère que « nous allons le prendre, disons, comme une sorte de compte rendu de séances psychanalytiques. C’est effectivement de quelque chose comme cela qu’il s’agit »393. En effet, au milieu des discours sur l’amour, apparaît une mise en acte de l’amour : à savoir le couple de l’aimé et l’aimant. Quel est le sens donné par Lacan à ce couple ? Voici les formules : l’aimant est celui qui désire (et à qui, donc, il manque quelque chose) ; l’aimé, par contre, est celui qui a quelque chose. Mais il faut encore une précision : le désir de l’aimant, comme tout désir, est « désir d’autre chose » que l’objet désiré (l’aimé, en

l’occurrence) – ce dernier apparaît ainsi comme étant inadéquat. Selon Lacan, Le Banquet est la mise à nu de cette conjonction entre le désir d’autre chose et l’objet, par définition,

inadéquat. Ce phénomène doit nous servir à comprendre ce qui se passe dans le transfert : d’une part, il y a bel et bien une « répétition »- le transfert peut être conçu comme un

phénomène presque automatique-, mais dans le même temps, ce n’est pas l’objet du désir qui saurait « causer » cet amour, ce phénomène – inadéquation de l’objet.

Eros mieux orienté

Mais pourquoi cette inadéquation de l’objet deviendrait-elle un thème si central dans le transfert ? Pour la simple raison qu’il est le thème psychanalytique par excellence :

l’inadéquation foncière entre la pulsion et son objet. Le transfert garde un rapport étroit avec cette question, c’est pourquoi une analyse se fait autour du transfert, c’est-à-dire autour, d’une part, d’une identification à l’objet du désir qui soutient la demande et, d’autre part, du « désir de l’analyste », qui tend à fracturer cette identification afin de faire correspondre la demande à l’objet de la pulsion – seule vraie « cause » du transfert. Socrate, dans ce dialogue avec Alcibiade, manœuvre – c’est la thèse de Lacan – la demande de ce dernier vers un autre objet que l’objet spéculaire (Socrate lui-même, en l’occurrence).

C’est Platon le premier à avoir une vision transcendantale de l’amour, - soit ce que certains auteurs, comme Halperin, appellent l’ironie platonicienne394. Cette ironie concernant l’amour rend évident le fait que l’érotique dont il est question n’est nullement sexuelle, au sens physique, mais qu’elle est transcendantale : « L’attirance érotique n’est pas physique

393 Le transfert, op. cit., p. 38.

[chez Platon], elle est métaphysique : elle se porte sur un objet qui reste insaisissable »395. L’auteur suit de toute évidence Lacan, mais sans le nommer : « Les ironies de l’amour sont nombreuses. Mais elles se ramènent toutes à un seul paradoxe : l’objet de l’amour n’est pas ce que tu crois (…) Ce que tu cherches dans l’amour n’est pas ce que tu désires (…) Il n’y a pas d’objet particulier qui corresponde à ton amour »396. C’est ainsi que Halperin voit le Banquet comme l’exemple de la transcendance de l’amour, ce qui lui fait dire que dans le rapport d’Alcibiade à Socrate il s’agit d’un « éros mal orienté ». Nous ne pouvons qu’être d’accord avec lui, à ceci près que la leçon consiste à dire qu’éros est toujours mal orienté. A tel point, que le pari de Lacan ce sera de dire que, dans la psychanalyse et par le transfert, pour une fois, éros pourrait être mieux orienté.

Reprenons la question des personnages et du thème ici discuté : quel genre de dieu est Eros ? Les premiers quatre personnages feraient, si l’on peut dire, fausse route : ils disent ce qu’Eros n’est pas vraiment. Autant dire qu’ils passent à côté du dévoilement qui se produira dans les dialogues des quatre derniers personnages. Si nous lisons un commentateur du Banquet, car il y en a beaucoup, comme G. Reale, nous apprenons ceci : on ne peut rien comprendre à ce qui se passe dans le dialogue si nous n’acceptons pas l’existence d’un jeu de masques entre les quatre principaux personnages (Agathon, Socrate, Diotime et Alcibiade). Plus précisément, il distingue deux moments essentiels à saisir : le premier est le jeu

entrecroisé de masques qui se produit entre Socrate, Agathon et Diotime. En effet, après le discours d’Agathon, Socrate commence à l’interroger au sujet d’Eros et de sa supposée beauté. Si nous aimons ce qui nous manque et si Eros aime la beauté, donc Eros manque de beauté. De cette manière, Socrate oblige Agathon à reconnaître la contradiction de ses propres arguments. La phrase décisive est ainsi la suivante : « Je risque fort, Socrate, d’avoir parlé sans savoir ce que je disais » (201b), ce qui serait une espèce de « rectification subjective » après avoir été confronté par Socrate. Mais on ne pourra pas faire l’économie, d’une

explication minimale à propos des « développements dialectiques » avancés par Socrate sur la question du manque : ce n’est pas rien que d’avancer qu’on aime ce dont on manque. C’est introduire rien moins que le manque lui-même dans le discours sur l’amour, en ouvrant ainsi, si l’on peut dire, la voie de l’inadéquation de la pulsion à son objet.

395 Halperin, op. cit., p. 23.

La plupart des commentateurs, comme c’est le cas de Reale397, avancent l’explication suivante : puisqu’on était chez Agathon pour fêter le prix qu’il avait obtenu le jour précédent au concours d’auteurs tragiques, Socrate ne pouvait pas dire au poète célébré que ce qu’il soutenait sur l’amour n’était que banalités. La plupart des auteurs soutiennent l’idée que c’est pour cela que Platon fait répondre à Diotime à la place de Socrate – sauf Lacan. En effet, reprenons la question des masques et de ce premier moment de tension entre Socrate et Agathon, qui conduira, disions- nous, à cette sorte de « rectification subjective » chez le poète tragique : « Je risque fort, Socrate, d’avoir parlé sans savoir ce que je disais ». Selon Reale, les trois premiers personnages (Socrate, Agathon et Diotime) entretiennent un subtil jeu de masques qui se joue, en réalité, à deux personnages principaux : Socrate et Agathon. Bref : le questionnement que Socrate adresse à Agathon deviendra par la suite, vu que Socrate doit rester cordial avec ce dernier, la réponse donnée par Diotime à Socrate. Par exemple, Socrate semble naïf face à Diotime, mais il ne s’agit, en réalité, que de la naïveté d’Agathon envers Socrate.

Ce jeu entrecroisé pourrait s’écrire comme suit : Agathon : Socrate

Socrate Diotime

Ce qui veut dire : la naïveté d’Agathon face à Socrate correspond à la naïveté de Socrate face à Diotime ; ou encore : Agathon est à Socrate ce que Socrate est à Diotime398. Reale écrit : « Socrate (…) rapporte au premier plan la confrontation dialectique, en faisant semblant d’être lui-même interpellé par Diotime, exactement de la même manière qu’Agathon a été réfuté par lui : « elle me réfutait exactement par ces arguments qui m’ont servi à moi pour réfuter Agathon » »399.

Il est ici intéressant de voir en quoi Lacan n’est pas d’accord avec cette interprétation : il n’est pas sûr que Platon n’ait pas eu d’autre choix que d’introduire Diotime, femme et étrangère, pour répondre à Agathon. En effet, s’agissant de Platon, il aurait suffi de peu à Socrate pour se débrouiller avec son Agathon : « Une chose est là faite pour nous frapper. Ayant introduit ce que j’ai appelé tout à l’heure le coin de la fonction du manque comme constitutive de la relation d’amour, Socrate parlant en son nom s’en tient là. Et c’est poser une

397 Mais aussi de Léon Robin, parmi d’autres.

398 Comme nous l’avons dit, L. Robin soutient la même hypothèse, cf. Le Banquet, Notice, pp. XXV-XXVI. 399 Reale, op. cit., p. 156 (notre traduction).

question juste que de se demander pourquoi il se substitue l’autorité de Diotime. Mais aussi cette question, c’est la résoudre à bien peu de frais que de dire que c’est pour ménager

l’amour propre d’Agathon. Si les choses sont comme on nous le dit, Platon n’aurait qu’à faire un tour tout à fait élémentaire de judo (…) puisque Agathon dit expressément – Je t’en prie, je ne savais pas ce que je disais, mon discours est ailleurs. Mais ce n’est pas tant Agathon qui est en difficulté, que Socrate lui-même »400. La question est donc complexe, aussi pour Socrate : disons que son propre savoir touche à une limite et c’est lorsqu’il y a une limite au savoir cohérent (épistémè), qu’on passe la main à Diotime et qu’apparaît le mythe de la naissance d’Eros comme seule réponse aux élucubrations des différents personnages sur le dieu de l’Amour.

Est-ce que pour parler de l’amour il faut laisser la parole à une femme, qui plus est, une étrangère ? Ce qui importe, ne l’escamotons pas, est « le point sur lequel a porté sa question [celle de Socrate] »401. La clé se trouve en effet dans le déplacement que produit Socrate lorsqu’il accentue, non la place de l’aimé (éromenos), mais celle de l’aimant (erastes). De cette manière, c’est bel et bien l’aimant qui peut témoigner du manque dans l’amour, et nullement l’aimé. Lacan ponctue le changement qui se produit dans le texte, où Socrate passe de l’amour au désir, lorsqu’il dialogue avec Agathon402. Bien évidemment, il ne s’agit pas de faire valoir l’existence d’une distinction lacanienne (par exemple, celle de la demande et du désir) dans le texte platonicien. Il s’agit de pointer le fait que l’accent se déplace et passe de l’amour, qui concerne surtout l’aimé, au désir, qui implique notamment la position de l’aimant (érastes). Cette introduction, « un peu rapide » selon Lacan, faite par Socrate lorsqu’il évoque le désir à la place de l’amour, est possible grâce à la méthode socratique, méthode que l’on pourrait appelait avec Lacan « du signifiant » (il s’agit, naturellement, de la dialectique socratique). Socrate procède par couples d’opposition, différence et négativité, à la manière de Saussure : un terme ne vaut pas en lui-même, mais en fonction du rapport avec les autres. Lisons le style même de cette partie du dialogue entre Agathon et Socrate : [199c – 200a].

« Je trouve, mon cher Agathon, que tu es fort bien entré en matière en disant qu’il faut montrer d'abord quelle est la nature de l'Amour, et ensuite quels sont ses

effets. J’aime tout à fait ce début. Voyons donc, après tout ce que tu as dit de beau et de magnifique sur la nature de l'Amour, dis-moi encore : l'Amour est-il l'amour

400 Le transfert, op. cit., p. 142. 401 Le transfert, op. cit., p. 143.

de quelque chose, ou de rien ? Et je ne te demande pas s’il est fils d'un père ou d'une mère, car la question serait ridicule. Mais si, par exemple, à propos d’un père, je te demandais s’il est ou non père de quelqu’un, ta réponse, pour être juste, devrait être qu’il est père d'un fils ou d’une fille : n'en conviens-tu pas ? - Oui, sans doute, dit Agathon. - Et il en serait de même d’une mère ? - Agathon en

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