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Les bactéries marines algicides

3. Les bactéries marines algicides

Les interactions négatives entre les diatomées et les bactéries sont connues depuis de nombreuses décennies. Ces bactéries ont deux façons d’interagir avec la cellule hôte : par contact direct nécessitant une mobilité de la cellule bactérienne et un système d’attachement à la cellule hôte comme des protéines et des polysaccharides, soit de façon indirecte par la détection de molécules dans le milieu environnant, ou chimiotactisme, mais aussi par l’excrétion de composés extracellulaires comme les protéases (Amin et al., 2012; Lee et al., 2000; Mayali and Azam, 2004). Les bactéries en associations négatives avec les diatomées appartiennent principalement aux groupes des Bacteroidetes et des Gammaproteobactéries, impliquant un nombre limité de genres (Amin et al., 2012; Mayali and Azam, 2004; Meyer et al., 2017). La liste ci-dessous des bactéries inhibant la croissance des diatomées est non exhaustive, mais représentative de la diversité de ces interactions, en terme de taxons, de spectres d’hôtes ou encore de mode d’action.

Au début des années 1990, la bactérie Cytophaga sp. (phylum des Bacteroidetes) isolée au Japon lors du déclin du bloom de Skeletonema costatum, avait la capacité de tuer S. costatum, d’autres diatomées comme Ditylum brightwellii, Thalassiosira sp., et également le raphidophyte Chattonella antiqua (Mitsutani et al., 1992). L’action de cette bactérie était une attaque directe, nécessitant un contact physique entre la bactérie et ses hôtes.

Quelques années plus tard, des bactéries marines également isolées à partir des eaux côtières du Japon et appartenant au genre Pseudoalteromonas (anciennement Alteromonas, classe des gammaproteobactéries, phylum Proteobacteria) ont montré des lyses cellulaires importantes sur les diatomées S. costatum, Thalassiosira sp., Eucampia zodiacus et sur le raphidophyte C. antiqua, mais étaient sans effet sur D. brightwelli (Kato et al., 1998). Lee et al. (2000) se sont penchés plus particulièrement sur la souche Pseudoalteromonas A28 et ont démontré qu’une molécule de type sérine protéase qu’elle secrétait était responsable de la lyse algale.

En opposition à ces bactéries à large spectre, la souche SR-14 de l’espèce Alteromonas colwelliana, isolée dans les eaux de Corée du Sud, avait un effet algicide très ciblé sur des espèces de Chaetoceros, mais sur aucune autre espèce de Bacillariophyta (Kim et al., 1999). Plus récemment, les souches, EC-1 d’Alteromonas sp. et EC-2 de Maribacter sp. (famille des Flavobacteriaceae, phylum Bacteroidetes), isolées de la station d’observation à long-terme L4 de Plymouth (Manche occidentale), montraient une forte pathogénicité sur Skeletonema sp. (Wang et al., 2016). Là encore, l’activité lytique de ces deux bactéries serait due au relargage de composés algicides extracellulaires. Ces études ne font qu’ajouter les diatomées comme hôtes potentiels des bactéries des genres Pseudoalteromonas et Alteromonas, déjà recensées comme exerçant un fort pouvoir algicide sur de multiples taxons phytoplanctoniques (Mayali and Azam, 2004).

INTRODUCTION

39 Quatre isolats bactériens incluant Halobacillus sp. (famille des Bacillaceae, phylum des Firmicutes), Muricauda sp. (Flavobacteriaceae, Bacteroidetes), Kangiella sp. (Gammaproteobactéries, Proteobacteria) et Roseivirga sp. (famille des Flammeovirgaceae, Bacteroidetes), jusque-là jamais encore décrits comme algicides vis-à-vis des diatomées, ont été rapportés comme tuant également S. costatum, augmentant ainsi considérablement la diversité de bactéries pathogènes associées à cette espèce (Shi et al., 2013). Associées à une même espèce hôte, ces quatre bactéries présentaient des modes d’action différents. En effet, Halobacillus sp. induisait la lyse cellulaire via la libération d’un composé actif, tandis que les trois autres bactéries pathogènes attaquaient directement S. costatum.

D’autres bactéries algicides ont été décrites telles que l’espèce Saprospira sp. souche SS98-5 (Bacteroidetes) isolée au Japon tuant Chaetoceros ceratosporus (Furusawa et al., 2003) ou encore l’espèce Kordia algicida (Flavobacteriaceae) lysant S. costatum, Thalassiosira weissflogii et Phaeodactylum tricornutum, mais sans effet sur Chaetoceros didymus (Paul and Pohnert, 2011, 2013). Les actions algicides de ces deux bactéries ont été bien étudiées. Saprospira sp., qui a une action directe, se dirige vers son hôte via un mécanisme de glissement (« gliding motility »), s’attache et provoque la lyse cellulaire par la formation de micro-tubules. Comme Pseudoalteromonas A28, K. algicida produit une sérine protéase qui détruit ses hôtes. L’excrétion de cette molécule n’est pas dépendante de la densité de l’hôte, mais densité-dépendante de K. algicida. Ces résultats suggèrent un phénomène de communication dit de quorum sensing (QS) entre les bactéries (Paul and Pohnert, 2011). Récemment, un autre type de molécule impliqué dans la mortalité des diatomées a été mis en évidence. La bactérie Chitinimonas prasina souche LY03 (Betaproteobacteria) était capable de détecter la présence de son hôte par chimiotactisme, de s’attacher au frustule via son flagelle et de produire puis libérer une chitinase ciblant la chitine présente dans cette matrice inorganique et menant ainsi à la mort de Thalassiosira pseudonana (Figure 0-15) (Li et al., 2016). Cette étude a montré que seules les diatomées possédant de la chitine dans leur frustule comme T. pseudonana, T. weissflogii, C. muelleri et S. costatum étaient impactées par cette bactérie, contrairement à la diatomée sans chitine Phaeodactylum tricornutum.

Déterminer le mode d’action des bactéries algicides est important pour mieux comprendre les interactions biotiques au sein des communautés planctoniques à plus large échelle. En effet, selon son mode d’action et les molécules algicides impliquées, le spectre d’hôte d’une bactérie sera plus ou moins large. Les bactéries algicides ont le potentiel de contrôler les dynamiques de leurs hôtes et ainsi d’influencer les successions phytoplanctoniques. Toutefois, l’importance (fréquence des infections, nombre de bactéries impliquées) de ces contrôles n’a, à notre connaissance, jamais été quantifiée dans le milieu naturel.

INTRODUCTION

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Figure 0-15. Image en microscopie électronique à transmission de Chitinimonas prasina souche LY03 sur son hôte

Thalassiosira pseudonana. A. Contrôle sain. B à F : Interactions à 6, 12, 24, 48 et 72h respectivement. Les flèches

OBJECTIFS

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