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4.1) Polyphonie et scénographie dans les romans djebariens et mianoiens

Tiré du mot grec poluphônia qui étymologiquement signifie multiplicité de voix ou de sons, le mot « polyphonie » est à l’origine utilisé dans le vocabulaire de la musique. C’est à Mikhaïl Bakhtine que l’on doit l’introduction de ce concept en littérature. Il l’emploie dans ses analyses consacrées aux romans de Dostoïevski, La Poétique de Dostoïevski où se précise d’ailleurs l'emprunt métaphorique du terme au domaine musical : « Tout le roman polyphonique est entièrement dialogique. Les rapports dialogiques s'établissent entre tous les éléments structuraux du roman, c'est-à-dire qu'ils s'opposent entre eux, comme dans le contrepoint2 ». C’est à partir de l'analyse des textes de Dostoïevski que Bakhtine élabore une théorie de l’esthétique polyphonique du roman qui est centrée sur la constitution dialogique de la narration. Il en arrive à la conclusion que les constructions narratives des romans de Dostoïevski perpétuent et entretiennent les divergences qui composent tout échange entre deux ou plusieurs individus, s’appuyant ainsi sur une structure dialogique. Ce que M. Bakhtine nomme la « structure dialogique » du roman polyphonique n’est en fait qu’un espace discursif où les consciences et les points de vue hétérogènes, voire contradictoires, font partie d'un même ensemble3.

À la suite de M. Bakhtine, Oswald Ducrot4 s’est intéressé aussi à ce concept en mettant l’accent sur « la présence de voix différentes à travers une même énonciation, sur la pluralité des énonciateurs accomplissant des actes illocutoires, sur les diverses attitudes du locuteur vis- à-vis de ces énonciateurs5 ». La polyphonie chez lui requiert la présence dans une énonciation de deux types d’instances, à savoir : les énonciateurs et les locuteurs. Le locuteur peut mettre

2 Mikhaïl Mikhaïlovitch Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, trad. Isabelle Kolitcheff, Paris, éd. du Seuil, 1970,

p. 77.

3 Alain Rabatel, « La dialogisation au cœur du couple polyphonie/dialogisme chez Bakhtine », Revue Romane,

John Benjamins Publishing, vol. 41, n° 1, 2006, p.69.

4 La différence entre M. Bakhtine et O. Ducrot est que l’un s’est intéressé aux textes littéraires et l’autre à des

énoncés plutôt isolés. L’un considère la présence de plusieurs instances énonçantes à l’intérieur d’une énonciation alors que l’autre suppose l’allusion dans un énoncé unique à plusieurs contenus.

5 Oswald Ducrot est cité par Mirna Velcic-Canivez, « La polyphonie : Bakhtine et Ducrot : Bakhtine et Ducrot »,

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en scène dans son énoncé des positions distinctes de la sienne6 ». Au sujet des énonciateurs il les désigne comme :

Des êtres intradiscursifs censés s'exprimer à travers l'énonciation d'un locuteur. Ils peuvent être identifiés et relèvent alors de diverses formes de discours rapporté. Ils peuvent être non identifiés, mais cependant identifiables si l’interlocuteur parvient à reconstruire la source de ces opinions. Ils seront cependant le plus souvent non identifiables. Enfin, ces mêmes énonciateurs peuvent manifester des points de vue sans que, pour autant, on puisse leur attribuer des mots précis7.

Les énonciateurs sont donc généralement en charge des discours rapportés, ils font entendre une diversité de points de vue. La polyphonie fait intervenir une pluralité des modes d'énonciation au sein d'un même récit, qui peut se superposer ou se mêler. Il y a une multiplicité dans la prise de parole et l'énonciation navigue entre différents énonciateurs ou narrateurs. Au lieu d’émaner d’une seule instance, d’une seule source, le texte semble se diversifier. Nous sommes alors face à un auteur, un narrateur, mais aussi plusieurs locuteurs. C’est à travers les niveaux de langue, les idiolectes, les sociolectes mis en valeur par l’auteur qu’on arrive à identifier cette polyphonie. On peut donc dire que le concept de polyphonie renvoie à deux acceptions. Il est le fait qu’un auteur décide d’imiter la diversité des voix et des discours, mais aussi, selon une approche textuelle, le fait qu’au sein d’une même narration plusieurs voix se superposent8.

En nous référant aux textes à l’étude, nous interrogerons la possibilité d’établir un lien entre mémoire polyphonique et mémoire collective. En d’autres termes, toute mémoire polyphonique serait-elle nécessairement collective ? Sachant que la mémoire collective est la mémoire que partage une communauté de personnes, elle participe à la cohésion sociale dudit peuple. Il s’agira donc de repérer quelle voix s’exprime, à partir de quel lieu ou espace et à quel moment. Ceci nous conduira à nous intéresser à la scène d’énonciation mise en place par les textes puisque selon Dominique Maingueneau, chaque discours construit ou élabore sa scène d’énonciation, le texte étant en effet la trace d’un discours où la parole est mise en scène.

6 Dominique Maingueneau, Nouvelles tendances en analyse du discours, Paris, Hachette, 1987, p. 54. 7 Oswald Ducrot, Le dire et le dit, Paris, Les Éd. de Minuit, 1984, p. 204.

8 Nous avons par exemple les énoncées ironiques ou les reprises des stéréotypes, les adages populaires etc. Nous

139 4.1.1) La structure des romans : une construction hétérogène

La multiplicité des voix dans les textes d’Assia Djebar et de Léonora Miano est pour ainsi dire permanente du fait déjà de leur intérêt pour les voix des oubliés, mais aussi à cause des différents actants à qui elles donnent la parole, dès lors que plusieurs visions s’expriment dans leurs œuvres. L’Amour, la fantasia et Les Alouettes naïves chez Djebar brillent par ce procédé où les voix narratives se multiplient et parfois même se confondent : il y a d’un côté la narratrice qui évoque ses souvenirs d’enfance, puis les archives revisitées des soldats français et les témoignages des femmes algériennes qui interviennent pour raconter leur histoire. Il en découle ainsi une organisation du roman en trois actes. Dans la première partie « La prise de la Ville ou L’amour s’écrit », la narratrice fait chaque fois des allers-retours entre ses souvenirs d’enfance et l’histoire de la conquête d’Alger qu’elle revisite. Le même scénario s’observe dans la deuxième partie « Les cris de la fantasia », où la narratrice évoque simultanément son adolescence trouble et son amour pour le français, une langue qu’elle reçoit, un siècle plus tard, au prix de la barbarie exercée sur son peuple. Il en est de même pour la troisième partie, où elle fait, cette fois, entendre côte à côte son histoire intime et les témoignages des femmes de sa tribu à qui elle cède la parole tour à tour : « la troisième personne du récit historique, la première personne de l’autobiographie, celle aussi du témoignage et celle des citations […] Le texte est littéralement encadré par la métaphore de l’opéra, qui repose sur des voix9 ».

Mais chez Djebar le récit se développe aussi en deux temps, par un système de montage alterné comme au cinéma avec des flashbacks. Dans Les Alouettes naïves, nous avons la même organisation en trois parties : « Autrefois » qui fait entendre plusieurs voix narratives, narration multiple donc : celle d’Omar et celle d’un narrateur extradiégétique ; puis le deuxième volet « Au-dela ». Une trentaine de pages sur les quatre cent quatre-vingt-douze qui composent le texte, axées exclusivement sur le couple Nfissa et Rachid, raconté par l’auteur qui se dévoile : « Mais je suis là moi, l’auteur, non l’imitateur, qui suit en boitillant la même route ; je m’efforce de me coller contre elle pour la surprendre ou la trahir. » (AN p.183). Ces quelques pages qui n’ont rien à faire là, selon les mots de l’autrice, car, en marge de l’éclatement des autres personnages du roman, elles font penser à un couple de danseurs qui, dans une fête, se mettent à l’écart pour s’offrir une valse à l’abri du tumulte ; enfin la troisième partie « Aujourd’hui » reprend la valse entre la voix d’Omar et celle du narrateur extradiégétique.

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Dans ce roman, l’autrice rentre dans l’intimité des personnages, qu’elle fait parler à la première personne. Telle une historienne ou un metteur en scène, Assia Djebar divise et organise ses romans en trois grandes parties dont chacune contient des chapitres. Cette structure semble faire échos aux trois temps de l’histoire10 ou aux trois actes d’une pièce de théâtre classique. L’élément structurel en trois parties a toujours organisé l’écriture djebarienne depuis

La Soif, son premier roman où déjà le récit se faisait à la première personne.

Le troisième texte, Le Blanc de l’Algérie, échappe en revanche à cette configuration en trois parties, mais ne laisse pas moins entendre plusieurs voix, exhumées par la narratrice qui remonte les époques. Du fait de cette écriture exprimant plusieurs voix, Mounira Chatti dira qu’Assia Djebar « est une écrivaine libre et nomade. Elle est une voix francophone habitée par les autres langues de l’Algérie ˗ l’arabe dialectal, le berbère, l’arabe classique. Quêteuse de silence, des non-dits et de blessures d’hier et d’aujourd’hui, elle édifie une œuvre polyphonique où résonnent divers sons11 ». Ici, elle fait parler les disparus, elle va même jusqu’à parler « la langue des morts » et ils sont nombreux. Elle remonte le temps par « Trois journées » découvre des vies arrachées puis « La mort inachevée » de ceux qui ont porté l’Algérie dans leur cœur et sont morts pour elle. Ce roman n’obéit peut-être pas comme les deux autres au découpage en trois parties, mais le récit en l’occurrence nous fait voyager dans trois périodes de l’histoire de l’Algérie : celle de la guerre de libération, celle de l’après indépendance et celle de la guerre civile. Cette organisation des romans favorise l’expression de ceux et celles qui ne peuvent plus ou pas se raconter et devient un moyen de faire passer les mémoires et les visions multiples. Elle met en scène une écriture à plusieurs influences culturelles et à plusieurs sons, car elle :

[…] se situe donc dans un contexte culturel hybride. Elle oscille entre la sphère de la culture française, dans laquelle sont ancrées son intellectualité, son éducation et sa formation et la culture arabo-musulmane qu’Assia Djebar a toujours qualifiée de “culture de sa sensibilité”12.

Aussi la structure des romans djebariens se nourrit-elle de plusieurs influences : la musique, le théâtre, l’historiographie, le cinéma. Certaines de ses influences se justifient par sa formation

10 Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, 9. éd, Paris, A. Colin,

1990. Dans sa préface l’auteur souligne être : « arrivé à une décomposition de l’histoire en plans étagés. Ou, si l’on veut, à la distinction, dans le temps de l’histoire, d’un temps géographique, d’un temps social, d’un temps individuel. » p.11.

11 Mounira Chatti « Assia Djebar, la voix des autres », Nouvelles Études Francophones, vol. 30 n°. 1, 2015, p.2. 12 Salimi Kouchi Ebrahim, « L’essence polyphonique de l’écriture Djebarienne : stratégie esthétique et

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d’historienne d’abord, mais aussi par son désir réprimé d’une carrière cinématographique13 dans son pays, et son union avec le poète algérien Malek Alloula qui participera à la réalisation de son film « La Zerda ou les chants de l’oubli (1982).

Chez Léonora Miano, la structure des romans est variable. Tels des astres éteints se divise en cinq actes encadrés par une « Intro : Come Sunday » et une « Outro : Come Sunday » pris en charge par la voix de la mendiante du métro à qui Amok fait le récit de sa vie. Le roman dispose de chapitres qui ne portent pas de titre et sont simplement renseignés par des chiffres romains et se structure autour de références musicales qui titrent chacune des parties. Chaque partie est titrée en référence à un morceau de jazz ou de soul qui exprime le mal-être noir ou renseigne l’idée générale de la séquence. Dans Habiter la frontière, elle justifie son attachement à cette musique parce que « Le jazz est cette esthétique qui mêle harmonieusement des univers apparemment antagonistes. » ( p.17) Justement, dans Tels des astres éteints, les antagonismes foisonnent, mais ils nous sont effectivement « harmonieusement » transmis par la voix off de la narratrice. Cette organisation tel un album musical que confirme la « Bande-son » insérée à la fin fait entendre plusieurs voix. L’intitulé des chapitres14 traduit une « stratégie textuelle dite “de la double voix” », trait d’écriture qu’Henry Louis Gates Jr., « identifie comme un signe propre à l’esthétique littéraire noire et qu’il nomme signifying15. » Le signifiying s’intéresse à la double-voiced, une approche narrative inscrite dans le culte Yuruba la représentation de la divinité Esu le dieu à deux bouches. C’est une théorie qui permet de lire le mélange des traditions africaines et afro-américaines dans les œuvres afro-américaines sur l’esclavage.16 Sous cette influence littéraire afro-américaine, la narration à l’intérieur des romans de Miano

13 Après ses quatre premiers romans, Djebar marque une pause et se lance dans le cinéma. Dans son entretien avec

Laure Adler, elle exprime ce qu’elle a vécu comme un rejet « ils ne voulaient pas de vous » demande Laure Adler, « voilà, exactement, je l’ai bien compris […] Alors ça c’est une blessure qui a fait que je suis revenue [à la littérature] que j’ai compris à ce moment-là, que je n’avais qu’une seule chance ou au moins, en étant écrivaine francophone avec des éditeurs à Paris, je pouvais continuer ce que j’avais à dire. » Pourtant, à l’extérieur, ses films sont reconnus et primés (« La Nouba des femmes du mont Chenoua » obtient le prix de la critique internationale à Venise en 1997 et « La Zerda ou les chants de l'oubli » le prix du meilleur film historique au Festival de Berlin en 1983). C’est suite à ce rejet qu’elle revient à l’écriture après dix ans d’interruption et publie Femmes d’Alger

dans leur appartement (1980), puis L’Amour, la fantasia…

14 Les chapitres ont pour titre « Afro Blues », « Straight Ahead », « Angel Eyes », « Round Midnight » « Come

Sunday » qui selon l’autrice correspondent aux thèmes abordés par les personnages.

15 Sylvie Laurent, « Le “tiers-espace” de Léonora Miano romancière afropéenne », Op cit., p.15.

16 Dans son texte The signifiying Monkey A theorie of Afro-American Litérary criticism, New-York, Oxford

University Press, en 1988, il écrit : « Slave narratives make "the white written text speak with a black voice, [which] is the initial mode of inscription of the metaphor of the double-voiced. » (p.131) Les récits d’esclavage mettent en scène des textes écrits par les blancs alors que s’exprime une voix noire, c’est le lieu de l’inscription de la métaphore de la double voix (ma traduction).

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se fait à plusieurs voix, mais elle est déléguée à un seul narrateur extradiégétique17 qui fait office de voix off. Tel un chorus du théâtre antique cette voix off assiste aux souffrances des personnages victimes du destin et se charge de nous transmettre et commenter leurs actions ; ou bien pour reprendre les mots de l’autrice, la vox off joue le rôle d’une « pythie » qui « introduit et clos l’ensemble » (TAE p.405) ; elle encadre les cinq parties de la tragédie, celle des trois personnages et plus largement celle du peuple noir. La voix expose au lecteur, par alternance, les pensées les plus intimes des trois personnages principaux tout en convoquant d’autres figures de l’Histoire noire :

Un tel travail, sans impliquer pour autant l’effacement de toute mémoire, témoigne, tout au contraire, des hantises d’une conscience diasporique dont la texture plurielle se tisse à travers la recherche de passerelles entre les pratiques artistiques. De sorte, l’œuvre en quête de totalité réfracte la densité des voix, émanant de lieux pluriels, qui cohabitent en elle18.

En revanche, Les aubes écarlates offre une autre organisation musicale, le texte s’apparente à un gospel, plus proche de la Slave Narrative, avec ses récits qui se chevauchent dans une alternance entre couplets et refrains : le chapitre « Exhalaisons », s’apparentant aux refrains et donnant à entendre le « nous » des voix des déportés qui n’ont jamais atteint l’autre rive, inaugure le texte ; puis intervient « Latérite », récit centré sur Ayané et raconté par un narrateur extérieur à la diégèse. Ce chapitre est suspendu pour qu’intervienne « Embrasement » pris en charge cette fois par Epa, personnage-narrateur, qui relate son séjour avec les rebelles ; le récit d’Epa est encadré par les « Exhalaisons » ; puis « Latérite » se poursuit et s’achève avant que n’intervienne l’acte final : la « Coulée » clôturant le roman à travers le récit axé cette fois sur Eputa, personnage habité par plusieurs entités. Décrivant la structure de ses romans, Miano précise :

J’utilise le jazz, musique métisse par excellence, pour la construction de mes romans, bien que de manière différente à chaque fois : la polyphonie, la circularité, la répétition, la recherche d’un phrasé précis... sont autant de procédés que j’emprunte au jazz [...] Dans ce roman néanmoins, les personnages ont été traités comme les instruments d’un orchestre. Chacun a sa voix, sa sensibilité. Le monologue d’Epa est un chorus vocal19.

17 La mendiante au chapeau retrace pour le lecteur l’histoire que lui a narrée Amok.

18 Catherine Mazauric, « Débords Musicaux Du Texte : Vers Des Pratiques Transartistiques De La

Désappartenance (Léonora Miano, Dieudonné Niangouna). » Nouvelles Études Francophones, vol. 27, no. 1, 2012, p. 99. JSTOR, www.jstor.org/stable/24245380. Accessed 22 Jan. 2020.

19 Georgia Makhlouf, « Léonora Miano : “ J’écris dans l’écho des cultures qui m’habitent” » [en ligne], L’Orient

Littéraire, publié en décembre 2009. Source :

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Son esthétique romanesque influencée par la musique fait dire à Catherine Mazauric que ses œuvres « interrogent très démonstrativement parfois l’élaboration problématique d’identités construites à partir de plusieurs espaces —entre lesquels, sans doute, les musiques forment les passerelles les plus sûres20. » Mais il y a aussi ce besoin de connecter les « expériences noires ». C’est pourquoi les exhalaisons qui se glissent entre chaque récit font penser au Negroe Spiritual faisant entendre la voix des âmes oubliées qui attendent d’être libérées de l’errance. Enfin, avec relativement la même thématique que Les Aubes écarlates sur la déportation, La Saison de

l’ombre a une configuration en cinq actes : « Aurore fuligineuse », « Dire de l’ombre », « Voies

d’eau » « Terre de capture » et « Derniers temps ». Le roman a un début que l’on pourrait qualifier d’in media res. Il s’ouvre en effet directement sur des femmes Mulongos mises à l’écart du village. La suite du récit consistera à comprendre ce qu’il s’est passé la nuit où les fils de ces femmes ont disparu et ce qu’ils sont devenus. Le lecteur est entrainé dans une enquête qui lui permettra de découvrir le coupable du drame avant les personnages du roman. La trame suit plutôt une évolution non chronologique, la narration met en scène plusieurs tableaux de façon simultanée ; les récits s’interrompent et ces interruptions sont signalées, en l’occurrence, par des blancs de pages qui montrent le passage à un autre tableau.

Là aussi le texte est polyphonique, car Bana, le petit garçon que rencontre Eyabe dans sa quête de vérité, le justifie par son nom qui désigne le pluriel : « Mère, celui-ci est une multitude tu le sais bien » (SO p.168). Mais la polyphonie se situe aussi au niveau des différents récits pris en charge par la narratrice extradiégétique qui, parfois, use du « on » pour joindre sa voix ou sa vision à celle des personnages : « À quoi l’espace habité par les humains ressemblera-t-il, lorsque l’on ne saura plus que la méfiance ? » (SO p.132) La question pointe les rapports entre Subsahariens, mais également entre ces derniers et les peuples de l’extérieur.

Selon Emmanuel Mbégane Ndour, « le roman déploie également une éthique et une

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