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Le rôle clé de la phénologie de fructification a été souligné à maintes reprises par les recherches concernant la zoochorie et la frugivorie sous les tropiques (Snow, 1966; Snow et Snow, 1971; Fleming, 1985; 1986; Tutin et Fernandez, 1993 ; Garber et Kitron, 1997). Le nombre de graines dispersées sous les arbres isolés et leur composition spécifique sont étroitement liées pour une période donnée au nombre et à la composition spécifique des fruits disponibles par l’intermédiaire du comportement alimentaire des animaux frugivores. La plupart des graines apportées sous les arbres sont des espèces zoochores apportées des espaces forestiers alentours (Robinson et Handel, 1993). De plus, la phénologie de fructification de nombreuses espèces forestières tropicales est hautement conditionnée par la saisonnalité - en particulier le régime pluviométrique - (Janzen, 1967; Tutin et al., 1991; Tutin et Fernandez, 1993; White et al., 1995),

53 Cela nous a conduit à penser que le nombre de graines allogènes était certainement sous-estimé.

contrairement à d'autres espèces (pionnières par exemple) qui produisent continuellement des fruits (Whitmore, 1990; Tutin et al., 1991; White et al., 1993; White, 1994). Pour ces raisons et parce que les variations pluviométriques - intra et extra saisonnières - sont très marquées pour la zone équatoriale, il était primordial de comprendre quelles pouvaient être les variations saisonnières de la pluie de graines sous les arbres isolés. L'effet de la saisonnalité apparaît être extrêmement complexe, bien que très marqué, à la vue des variations dans la pluie de graines zoochores et anémochores pendant les deux années de récolte.

(1) La pluie de graines anémochores

La pluie de graines anémochores est plus élevée et diversifiée pendant les deux saisons sèches que pendant les deux saisons des pluies, ce qui est en accord avec le mode de dispersion anémochore qui voit son efficacité décroître pendant les périodes de pluies. Pendant les périodes sèches, le vent transporte les graines loin des arbres mères pour coloniser d'autres sites, réduisant ainsi la compétition interspécifique au pied des arbres parents. De nombreuses graines d'espèces d'arbres pionniers à longue durée de vie (Terminalia superba et Ceiba pentandra) ont été également observées pendant les périodes de transition entre saison des pluies et saison sèche (fin de la période sèche), moment où les vents violents sont fréquents (Swaine et Hall, 1983) ce qui améliore l'efficacité de dispersion de ces graines. Ces orages de fin de saison sèche sont un bon moyen de dispersion pour les graines anémochores des arbres pionniers, à travers de larges espaces balayés par les vents au moment où les opportunités de création de trouées sont les plus élevées (Swaine et Hall, 1983). Cette augmentation de la pluie de graines anémochores a été observée à la fin de la période sèche, au Brésil, dans les forêts tropicales d'altitude (Jackson, 1981). Dans la réserve gabonaise de la Lopé, où le diagramme ombro-thermique est très semblable à celui de la vallée du Ntem, White (1995) observe les mêmes tendances avec une augmentation du nombre de graines dispersés par le vent, pendant la petite saison sèche ainsi qu'à la fin de cette saison lors de la transition vers la petite saison des pluies (janvier-février).

D'autre part, le nombre moyen de graines anémochores et autochores augmente la deuxième année de prélèvement qui correspond à la deuxième année du cycle de culture. Après la première année, le dernier sarclage fait suite à la récolte de l’arachide (Carrière, pers. obs.). C'est à ce moment que la banque de graines du sol et les graines apportées par le vent, et plus particulièrement celles d’espèces herbacées comme Chromolaena odorata et arbustives telles que Solanum scabrum (ainsi que d'autres Asteraceae et Poaceae), commence à germer. Ces herbacées pionnières possèdent en général de grandes capacités d'établissement après les cultures, car elles demeurent plus compétitives dans ces conditions ouvertes (Uhl et al., 1988; Nepstad et al., 1991).

Ces espèces parviennent rapidement à maturité, ce qui explique leur présence accrue et quasi nouvelle dans les collecteurs lors de la deuxième année. Ce phénomène montre à nouveau l'importance du micro-site ombragé des arbres isolés sans lequel les parcelles en jachères seraient rapidement envahies par les herbacées pionnières, entraînant un blocage de la succession, ce qui n'est pas le cas en présence des arbres isolés (Carrière et McKey, soumis).

(2) La pluie de graines zoochores

Un des principaux résultats de cette étude montre que les trois-quarts de la pluie de graines zoochores appartiennent à une seule espèce, M. cecropioides. Conformément à son statut de pionnière, M. cecropioides émet un très grand nombre de graines tout au long de l'année (Swaine et Whitmore, 1988). La pluie de graines de cette espèce est omniprésente à travers les différentes saisons de prélèvement. Cette espèce pionnière est répandue sous les tropiques humides en Afrique dans tous les types d'aires perturbées (chablis, recrus post-agricoles, bordures de routes). Son mode de dispersion zoochore non spécialisé (oiseaux, écureuils, chauves-souris, rongeurs, singes et hommes [Gautier-Hion et al., 1985; White et Abernethy, 1996]) ainsi que sa phénologie de fructification relativement constante, lui confèrent un mode de dispersion extrêmement efficace.

Cela est confirmé par une pluie de graines importante et constante observée sous les arbres isolés.

En revanche, ses exigences en luminosité ainsi qu'un taux de mortalité élevé dû aux phénomènes de compétition (Janzen, 1970), expliquent sa diminution en densité dans les recrus secondaires plus âgés (Swaine et Hall, 1983). De même, les conditions d'ombrage sous les arbres isolés empêchent l’établissement cette espèce malgré sa dispersion massive, (Carrière et McKey, soumis), laissant place à d'autres pionnières à longue durée de vie.

La pluie totale de graines zoochores montre des variations saisonnières importantes liées à la disponibilité en fruits dans les forêts avoisinantes. Ces variations en terme de nombres d'espèces traduisent des variations du nombre d'espèces en cours de fructification dans les forêts adjacentes et susceptibles d'être dispersées pour une période donnée. Les résultats sur la phénologie de fructification obtenus sont en accord avec ceux obtenus par White (1995) au Gabon où l'agencement des saisons est similaire. On peut donc dire que les pics de fructification sont corrélés avec les pics de dissémination des graines zoochores, avec des maxima pendant la petite saison sèche (janvier-février) ainsi que pendant les saisons de transition qui suivent et précèdent la petite saison sèche (décembre et mars). D'autre part, les minima de production au Gabon et de dispersion sous les arbres isolés au sud du Cameroun se situent en avril-mai et juillet-août et correspondent respectivement à la petite saison des pluies et la grande saison sèche (White et al., 1995; Carrière et McKey, soumis). Cette forte corrélation entre les rythmes de fructification et de

dispersion montre que les arbres isolés assurent un contact étroit entre les champs et les portions de forêts adjacentes. Le nombre de graines déposées est fonction du nombre de visites par les animaux disperseurs, tels que les oiseaux et les chauves-souris principalement. Si la discontinuité entre les champs et la forêt diminue grâce aux arbres épargnés par les Ntumu, il semblerait en revanche que le transit des graines entre la forêt et les champs soit assuré par un nombre relativement restreint d'espèces d'animaux (Cardoso Da Silva et al., 1996 ; S. Carrière & M.

Raymond, pers. obs). Les oiseaux observés (Tableau IV-7) sont pour la plupart frugivores (Mackworth-Praed et Grant, 1973; Urban et al., 1988; Carrière et McKey, soumis ; S. Carrière & M.

Raymond, pers. obs.) et toutes utilisent des habitats primaires et secondaires. Ceci facilite le passage de graines de forêts primaires vers les espaces ouverts, favorisant ainsi la reconquête des jachères par des espèces forestières.

Tableau IV-7 : Liste non exhaustive des oiseaux frugivores observés dans les champs et les jachères dans le sud du Cameroun (S. Carrière & M. Raymond, pers. obs.; Mackworth-Praed & Grant, 1973; Urban et al. 1988).

(3) Impact de la présence humaine

L'impact de la présence humaine intervient de manière précoce et à deux reprises dans le processus de régénération :

1. Elle diminue le nombre de visites par les animaux disperseurs sur les arbres isolés dans les champs (l'homme pourrait effrayer certains oiseaux54) et donc intervient sur le nombre de graines dispersées, comme le montrent les résultats ;

2. Le moment du dernier sarclage effectué par les femmes lors de la récolte de l’arachide, conditionne le moment pendant lequel la banque de graines du sol pourra s'exprimer.

54 D'autres études ont montré que le nombre de visites par les oiseaux dans des pâtures encore utilisées était plus faibles que dons les pâtures abandonnées (Cardoso Da Silva et al., 1996).

Famille Genre et espèce Régime

alimentaire Habitat

ACCIPITRIDAE Gypohierax angolensis Frugivores et

carnivores Forêt primaire et secondaire COLUMBIDAE Treron australis Frugivores et

granivores Forêt primaire et secondaire PSITTACIDAE Poicephalus gulielmi

Psittacus erythacus

Frugivores et

granivores Forêt primaire et secondaire Forêt primaire et secondaire MUSOPHAGIDAE Touraco macrorynchus

Corythaeola cristata

Frugivores

Frugivores Forêt primaire et secondaire Forêt primaire et secondaire BUCEROTIDAE Tockus fasciatus

Tropicanus albocristatus

Tous deux frugivores et insectivores

Forêt primaire et secondaire Forêt primaire et secondaire Ceratogymna atrata

Bycanistes cylindricus

Frugivores

Frugivores Forêt primaire et secondaire Forêt primaire et secondaire PYCNONOTIDAE Andropadus virens Frugivores Forêt primaire et secondaire

Stegidocichla latorostris Ixonotus guttatus

Tous deux frugivores et insectivores

Forêt primaire et secondaire Forêt primaire et secondaire

La présence de l’homme dans les champs est quasi quotidienne (surveillance active et passive contre les prédateurs) pendant la période du nettoyage du champ, du semis, des sarclages et de la récolte de l'arachide au cours de laquelle un dernier sarclage est effectué55. Cette période dure environ 6 mois qui correspondraient aux six premiers mois pendant lesquels les collecteurs de graines ont été posés (Annexe 5). Au moment où la présence des hommes s'estompe peu à peu, le dernier sarclage a lieu, correspondant au moment de la récolte de l'arachide.

Cette période est cruciale dans l'établissement des plantes, car les graines déposées à partir de ce moment sous les arbres isolés ainsi que certaines graines viables de la banque du sol peuvent germer sous les futures plantes cultivées qui suivront le champ d’arachides. L'augmentation de la pluie de graines à ce moment peut fournir des conditions appropriées pour l'établissement des espèces des stades avancés de la succession dont les graines ont, en général, un faible pouvoir de dormance.