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V.B

Suspensions : influence de la superpositon

V.B.1 Introduction

Les suspensions de particules non colloïdales dans les fluides newtoniens sont des systèmes par- ticuliers et encore peu connus. Nous savons que le comportement macroscopique d’une suspension concentrée sera non-newtonien, mais le lien avec les interactions entre les particules n’est pas clai- rement expliqué.

Figure V.5 – Rappel des résultats obtenus au chapitre pré- cédent sur une suspension concentrée à 40 % soumise à des oscillations de rotation et d’écrasement.

Nous avons mené une série d’ex- périences pour comparer les résultats de mesures effectuées en rotation à celles effectuées en écrasement (cf pa- ragraphe IV.B, page 118). Nous avons alors montré que la viscosité dépend fortement de l’amplitude de la con- trainte oscillante imposée. Cet effet est mesurable, et similaire, en rota- tion et en écrasement. Les résultats sont rappelés dans la figure V.5.

Nous savons en outre que sous ci- saillement les suspensions se struc- turent. La répartition des particules ne sera plus isotrope, une direction

sera privilégiée. Cette anisotropie a été étudiée, entre autres, par Parsi et Gadaga-Maria [72], dont les résultats sont présentés dans la figure V.6. Les auteurs soumettent une suspension semblable (sphères solides, non-colloïdales, concentrée à 40 %) à un cisaillement simple et mesurent la fonction de distribution de paires.

Figure V.6 – Mise en évidence de l’anisotropie des suspensions visqueuses, extrait de l’article de Parsi et Gadala-Maria [72].

Ces résultats prouvent l’existence d’une direction privilégiée dans la distribution des particules sous le cisaillement. Parsi et Galada-Maria ont mis ceci en évidence par de l’imagerie, nous pensons qu’avec notre test de superposition d’écoulements perpendiculaires nous pouvons observer des effets d’anisotropie macroscopique par comparaison des mesures dans deux directions orthogonales. On cherche, s’il existe, l’effet d’un cisaillement stationnaire sur la mesure en oscillations, l’un des deux étant dominant et fixant la structure du matériau.

V.B.2 Présentation de l’expérience

V.B.2.a Principe

Nous utilisons ici une suspension légèrement plus concentrée, avec 45% en volume de billes de polystyrène de diamètre 80 µm dans l’huile Silicone 550. La préparation a été décrite au paragraphe III.A.2. Nous utilisons du papier de verre P180 dont la taille moyenne des grains est de 82 µm, correspondant exactement à la taille des billes et évitant donc le glissement. Les données seront toutes corrigées par la distance équivalente du papier de verre (voir paragraphe III.E page 95 et les résultats du paragraphe IV.A.2.a.ii page 108).

Étudions d’abord cette suspension en cisaillement simple de rotation. Nous appliquons une rampe croissante et décroissante de taux de cisaillement de rotation et nous mesurons la viscosité apparente en continu. Le résultat est tracé dans la figure V.7.

Figure V.7 – Viscosité de rotation après la superposition. En trait plein la mesure de viscosité effectuée par une rampe décroissant de taux de cisaillement de rotation en cisaillement simple.

Cette suspension est rhéofluidifiante. Bonnoit et al. ([14] et [15]) trouvent le même type de ré- sultat. Nous gardons de côté cet effet pour interpréter les résultats des expériences que nous allons décrire.

Pour tenter de mesurer le caractère anisotrope des suspensions sous écoulement, nous appliquons la séquence suivante (voir schéma de la figure V.8) : partant de l’état de repos, nous imposons des oscillations verticales à l’aide de la platine de translation jusqu’à l’obtention d’une mesure propre et stationnaire de la viscosité (vingt secondes sont nécessaires). Ensuite, nous ajoutons un cisaillement de rotation constant. Après vingt secondes de superposition, nous coupons les oscillations verticales et ne gardons que la mesure en rotation pour finir. Ceci permet d’obtenir une mesure de la viscosité en oscillations d’écrasement seulement ηsq et en cisaillement stationnaire de rotation seulement ηrot

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pour chaque échantillon. Il sera aussi plus facile de suivre l’influence d’un écoulement sur l’autre en suivant pour chaque échantillon les deux viscosités.

Oscillations squeeze 40 sec Cisaillement rotation 40 sec Temps 0 20 40 60

Figure V.8 – Schéma de la séquence de superposition oscillations d’écrasement et cisaillement stationnaire de rotation.

La fréquence des oscillations verticales est gardée constante, égale à 1 Hz. Nous choisissons deux valeurs pour leurs amplitudes : 2, 23 µm et 3, 25 µm. Ce qui correspond à des amplitudes de dé- formation d’écrasement égales à 0, 0249 et 0, 0363 respectivement et des amplitudes de taux de déformation égales à 0, 156 s−1 et 0, 228 s−1 respectivement. Le taux de cisaillement de rotation

prendra sept valeurs différentes choisies entre 0, 0081 s−1 à 8, 14 s−1. Avec ces choix, des expériences

verront la rotation dominer, d’autres l’écrasement, et entre les deux un mélange complexe que nous tenterons d’analyser.

V.B.2.b Expérience typique

Nous mesurons la force et le couple en continu lors de l’expérience. La figure V.9 présente la va- leur de la force dans le cas d’une expérience où l’on impose une amplitude de variation de l’altitude de la platine égale à 3, 25 µm avec une fréquence égale à f = 1 Hz, donc une amplitude du taux de cisaillement d’écrasement égale à ˙γsq = 0, 228 s−1, et un taux de cisaillement de rotation égal à

˙γrot = 0, 1 s−1. La valeur de la force brute est tracée en trait noir tandis que son amplitude calculée

par les séquences Scilab (avec des fenêtres glissantes de FFT) est tracée en trait rouge. Le couple est tracé en vert

Figure V.9 – Tracé du couple et de la force en fonction du temps dans le cas d’une expérience avec une amplitude verticale de 0, 00325 mm et un taux de cisaillement de rotation égal à 0, 1 s−1 sur

On mesure qualitativement l’influence de l’écoulement stationnaire sur l’écoulement oscillant. Les deux écoulements ne sont pas indépendants l’un de l’autre, la réponse de la suspension dans une direction dépend du cisaillement dans l’autre direction, contrairement au cas des fluides newtoniens simples. Nous allons calculer des viscosités dans chacun des cas et pour toutes les valeurs de taux de cisaillement de rotation et d’écrasement, pour tenter de quantifier cette différence et comprendre son origine.

V.B.3 Résultats

V.B.3.a Mesure en écrasement

Nous faisons varier les taux de cisaillement de rotation et d’écrasement comme mentionné précé- demment. Les amplitudes de la force de chacune des expériences sont tracées dans la figure V.10a. Les carrés représentent les expériences pour lesquelles l’amplitude du taux de cisaillement d’écra- sement est égale à 0, 156 s−1 et les ronds à 0, 228 s−1. Les couleurs varient en fonction du taux de

cisaillement de rotation imposé selon la légende.

Connaissant l’amplitude de la force, l’amplitude des déplacements de la platine et le déphasage entre les deux signaux, on peut calculer la viscosité mesurée par ces oscillations, appelée viscosité d’écrasement. C’est ce qui est fait dans la figure V.10b en utilisant la même légende que la figure (a). Lorsque seules les oscillations verticales sont présentes dans le fluide, nous mesurons la même viscosité, à quelques imprécisions près, variant de 2, 6 P a.s à 2, 9 P a.s sans raison particulière (le seul paramètre ajustable, l’amplitude des déformation, n’explique pas cette variation). Par contre, lorsque le cisaillement de rotation est ajouté, le fluide réagit différemment dans la direction de l’écrasement. Nous pouvons diviser la réponse du fluide en trois parties.

1. Quand le taux de cisaillement de rotation est très faible, plus petit que le taux de cisaillement d’écrasement maximal ( ˙γrot= 0, 0081 s−1< 2π · γsq= 0, 156 dans le cas de l’expérience illus-

trée par des carrés noirs), la viscosité d’écrasement reste la même, la rotation ne perturbe pas la mesure.

2. Puis quand le taux de cisaillement de rotation augmente, et reste du même ordre de grandeur que celui d’écrasement, la viscosité en écrasement augmente (expériences tracées en rouge, vert et bleu foncé). Cette viscosité est plus faible quand la déformation d’écrasement est plus élevée (pour une même couleur, les ronds sont sous les carrés). Les oscillations d’écrasements sont perturbées par la rotation.

3. Enfin, quand le taux de cisaillement de rotation est grand devant celui d’écrasement (bleu clair, rose et jaune), la viscosité d’écrasement redescend après avoir atteint un maximum (lors de l’expérience tracée en bleu clair). La dépendance en ˙γsq n’est plus marquée, il n’y a que

quelques fluctuations.

Ceci semble confirmer le premier résultat évoqué précédemment : contrairement aux fluides newto- niens, la suspension newtonienne ne répond pas de manière isotrope à une sollicitation complexe. La réponse en écrasement présentée ici semble provenir de la combinaison des deux écoulements. Pour expliquer cela, nous allons nous intéresser à la viscosité mesurée en rotation par le cisaillement stationnaire.

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(a) Amplitude de la force pour différentes expériences sur la suspension à 45%.

(b) Viscosité d’écrasement. Légende dans la figure (a). En insert, les viscosité mesurées pour ˙γsq= 0, 228 s−1 en fonction du taux de cisaillement de rotation.

Figure V.10 – Résultats en écrasement des superpositions d’oscillations verticales et cisaillement stationnaire de rotation.

V.B.3.b Mesure en rotation

Intéressons nous désormais à la réponse en rotation. Nous traçons dans la figure V.11 la viscosité de rotation mesurée au cours des expériences pour lesquelles l’amplitude du taux de déformation d’écrasement était égale à ˙γsq= 0, 228 s−1 (les couleurs changent en fonction du taux de cisaillement

de rotation appliqué selon le même code que précédemment, voir la légende).

Figure V.11 – Viscosité de rotation durant l’expérience.

Nous observons que lorsque le taux de cisaillement de rotation est élevé (ici, quand ˙γrot >

0, 814 s−1, correspondant aux expériences dont les résultats sont tracés en bleu clair, rose et jaune), la viscosité de rotation est la même qu’il y ait superposition des deux écoulements ou juste le ci- saillement simple de rotation : l’oscillation n’est pas perturbatrice. Dans les autres cas, la viscosité de rotation est plus faible quand il y a superposition que quand il n’y a que la rotation.

Avant d’étudier la phase de superposition, comparons la mesure de viscosité en rotation à la fin de chaque expérience (lorsqu’il n’y a que le cisaillement simple) à la mesure effectuée par une rampe de rotation seule et présentée précédemment. Nous traçons la viscosité des derniers points de chaque courbe présentée dans la figure V.11 en fonction du taux de cisaillement imposé avec le même code couleur et nous ajoutons la mesure effectuée par la rampe de rotation (en trait plein). Les résultats sont présentés dans la figure V.12.

Figure V.12 – Viscosité de rotation après la superposition. En trait plein la mesure de viscosité effectuée par une rampe décroissant de taux de cisaillement de rotation en cisaillement simple.

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Les résultats sont satisfaisants. La mesure en cisaillement simple après la superposition redonne la valeur mesurée par la rampe de cisaillement simple de rotation : si les oscillations perturbent donc le comportement en rotation, ce phénomène est réversible.

V.B.4 Interprétation des résultats lors de la superposition

La première étape de l’analyse de la superposition consiste à comparer directement les mesures de viscosité en rotation et en écrasement lorsque les deux sollicitations sont présentes. C’est ce que nous faisons dans la figure V.13 en traçant le rapport ηsq

ηrot en fonction du taux de cisaillement de rotation

imposé. Les points en carrés noirs correspondent aux expériences effectuées avec ˙γsq= 0, 156 s−1 et

les points en ronds rouges avec ˙γsq = 0, 228 s−1.

Figure V.13 – Viscosité d’écrasement divisée par la viscosité de rotation pendant la superposition. Pour les trois derniers points, le rapport vaut approximativement un : la viscosité mesurée par les oscillations d’écrasement est identique à la viscosité mesurée par le cisaillement stationnaire de rotation. Ces trois points correspondent aux expériences pour lesquelles la viscosité mesurée en rotation est identique en superposition ou rotation seule (cf courbes bleu clair rose et jaune dans la figure V.11).

On en déduit deux résultats importants. D’une part, les oscillations ne modifient pas la mesure en rotation. C’est ce dernier écoulement qui fixe la structure, celle-ci n’est pas perturbée par l’écou- lement d’écrasement. D’autre part, le matériau semble isotrope puisque les valeurs sont identiques dans les deux directions orthogonales. La baisse de la viscosité mesurée par les oscillations verticales dans la figure V.10b lorsque ˙γrotaugmente correspond donc simplement à la baisse de la viscosité en

cisaillement simple due au caractère rhéofluidifiant de la suspension présenté au début de l’étude. Dans les autres expériences, lorsque les taux de cisaillement des deux expériences sont semblables, les résultats ne sont pas identiques dans les deux directions et on peut penser à première vue qu’il y a anisotropie, qu’un écoulement favorise une structure qui n’est pas semblable dans toutes les directions.

Pour mieux comprendre cet effet, nous traçons les résultats d’une manière différentes dans la figure V.14. Sont alors tracées les mesures effectuées en cisaillement simple stationnaire de rotation (fin de la troisième partie de la séquence, ronds pleins), en oscillations seules d’écrasement (première

partie de la séquence, carrés pleins) et les deux mesures rotation et écrasement en superposition (deuxième partie de la séquence, respectivement ronds vides et carrés pleins).

Figure V.14 – Comparaison des différentes mesures de viscosité : par le cisaillement simple de rotation, les oscillations en écrasement et la superposition des deux sollicitations.

Nous ajoutons en pointillé vertical la ligne représentant l’amplitude du taux de cisaillement des oscillations d’écrasement. Nous distinguons clairement les trois zones évoquées précédemment :

– Quand le taux de cisaillement de rotation est élevé, pour les trois derniers points (bleu clair, rose et jaune), nous retrouvons les résultats précédents : la rotation domine et fixe la structure. Les oscillations d’écrasement ne la modifie pas et la mesure est isotrope.

– Quand le taux de cisaillement de rotation est faible, pour le premier point (noir), la rotation ne perturbe que très faiblement la mesure en écrasement puisque la viscosité d’écrasement en superposition est très proche de celle obtenue lorsque seules les oscillations sont présentes. La valeur mesurée en rotation est différente, nous tenterons de l’expliquer.

– Quand les taux de cisaillement sont semblables (rouge, vert, bleu foncé), le mélange est trop complexe pour être totalement compris.

Pour tenter de comprendre mieux les deux derniers cas, revenons aux résultats présentés dans le paragraphe IV.B (page 118) à propos des mesures de viscosité en oscillations. Nous avions remarqué qu’à une telle amplitude de déformation (γsq ≈ 0, 03), la mesure en oscillations est inférieure à la

mesure en cisaillement stationnaire, ce qu’on relie à des différences de microstructure. Il est donc normal que la viscosité mesurée en écrasement oscillatoire diminue : plus la part de l’écrasement dans l’écoulement de superposition augmente, plus la mesure en écrasement en superposition tend vers la mesure quand seul l’écrasement est présent.

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l’écrasement est clairement dominant. Elle semble alors prendre la valeur mesurée à un taux de cisaillement de l’ordre de grandeur du taux de cisaillement moyen appliqué en oscillations (donner exactement cette valeur reste délicat). Cela semble dire que les oscillations sont sensibles à autre chose que le cisaillement stationnaire, ce qui pourrait être des ouvertures de contact lors du shear reversal, comme suggéré par Blanc et al. [13], tandis que le cisaillement permanent ne serait sensible qu’à une structure moyenne fixée par le taux de cisaillement.

Ceci montre l’intérêt de la technique pour chercher les comportements anisotropes. Il faut conti- nuer le travail en augmentant la fraction volumique, et si possible sur des suspensions non rhéoflui- difiantes.

Résultat important :

- Dans cet écoulement de superposition sur les suspensions, nous avons montré que lorsque l’écoulement principal est continu, il fixe la structure et l’écoulement secondaire donne la même mesure de viscosité, y compris en oscillations, le matériau répond de manière isotrope.

- En revanche, quand l’écoulement principal est oscillatoire, le cisaillement continu ne donne pas nécessairement la même viscosité que les oscillations, ce qui semble montrer que ces deux types de sollicitation sont sensibles à des aspects différents de la microstructure des suspensions.