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3-b. Signatures infrarouges du changement de spin

Cette forte différence structurale entre les deux complexes MnBz+ et MnBz2+ peut être sondée par spectroscopie infrarouge des complexes en phase gazeuse. Les spectres IRMPD dans la gamme 600-1800 cm-1 de ces deux complexes sont donnés sur la Figure 4. L’accord avec les spectres d’absorption infrarouge calculés pour les deux complexes dans leur état de plus basse énergie est tout à fait remarquable. Les deux spectres infrarouges sont dominés par les bandes ν11 et ν19. Comme on pouvait s’y attendre, la bande ν11, observée à 673 cm-1 dans

III. Caractérisation du changement de spin du Mn+

le benzène libre, est très décalée vers le bleu dans MnBz2+ où elle est observée à 813 cm-1. Comparée aux autres complexes di-benzène cationiques étudiés en phase gazeuse, le décalage observé (+140 cm-1) est le plus prononcé de toute la première série des métaux de transition. Ce décalage vers le bleu est du même ordre de grandeur que celui observé dans CrBz2 (+120 cm-1) [29], complexe neutre à 18 électrons iso-électronique du complexe cationique MnBz2+. Le fait que le décalage soit légèrement supérieur pourrait peut-être être attribué à la contribution des interactions électrostatiques Mn+-Bz renforçant les liaisons associées, même s’il est difficile d’analyser une si petite différence (20 cm-1).

0 0.3 0.6 0 80 160 600 1000 1400 1800 Mn(Bz)+ 1464 ν19 744 ν11 738 1471 Int. Calc. (km/mol) Efficacité IRMPD 0 0.6 1.2 0 40 80 600 1000 1400 1800 Mn(Bz)2+ 1437 813 (épaul. 833) 814 1452 911 ν1 914 Efficacité IRMPD ν11 ν19 Int. Calc. (km/mol) Energie de photons (cm-1 )

Figure 4 - Spectres IRMPD (rouge) et théoriques (bleu) des complexes MnBz+ (haut) et MnBz2+ (bas) dans la zone 700-1800 cm-1. Les bandes de dissociation observées sont des bandes de vibration du benzène.

Le décalage vers le rouge de la bande ν19 de MnBz2+ est également prononcé, puisque l’on observe cette bande à 1437 cm-1, au lieu de 1486 cm-1 dans le benzène. Comparé aux autres positions observées pour les autres complexes di-benzène des cations de la première série de transition (1421-1472 cm-1), on aurait pu s’attendre à un décalage plus marqué de la bande ν19 de MnBz2+. Il semblerait donc que le décalage vers le bleu de la bande ν11 soit un meilleur indicateur infrarouge de la force de l’interaction métal-benzène.

Ch4 - Spectroscopie IRMPD pour sonder Spin et Coordination en chimie organométallique Le spectre IRMPD du complexe CrBz2+, présentant formellement 17 électrons autour du métal, a également été enregistré. Il est intéressant d’observer que le décalage de cette bande ν11 pour ce complexe (+106 cm-1) soit moins prononcé que celui de MnBz2+ (140 cm-1), mais supérieur à ceux observés pour les autres complexes di-benzène des cations de la première série de transition (59-96 cm-1). Ceci n’est pas surprenant puisque le cation Cr+ possède cinq électrons de valence, et la configuration électronique de la couche d du pseudo-octaèdre CrBz2+ dans son état fondamental doublet de spin est donc (t2g)5(eg)0, ce qui est très favorable pour les liaisons Cr+-Bz, mais moins que dans le complexe MnBz2+ qu présente une configuration électronique de type (t2g)6(eg)0.

Comme nous l’avons dit plus haut, l’analyse des modes de vibrations de basse énergie des complexes bis-benzène peut être délicate. Le spectre d’absorption infrarouge calculé pour la structure D6h de MnBz2+ présente trois bandes infrarouges dans la gamme 900-1100 cm-1. L’analyse des modes normaux correspondants indique qu’il s’agit des bandes ν10 (933 cm-1), ν1 (999 cm-1) et ν18 (1039 cm-1). L’intensité associée au mode dégénéré ν10 (14 km/mol) est supérieure à celle de ν1 (2 km/mol) et du mode dégénéré ν18 (6 km/mol). Compte tenu de la position de la bande IRMPD observée (911 cm-1), nous proposons d’assigner cette bande au mode normal ν10. Il est à noter que M.A. Duncan et ses collaborateurs [28] ont observé une bande IRMPD pour certains complexes entre 945 et 996 cm-1, et ces auteurs ont systématiquement assigné cette observation au mode normal ν1. Dans le cas présent de MnBz2+, on observe un signal IRMPD 935 cm-1, nettement plus faible que celui à 911 cm-1, qui pourrait peut-être être attribué à ν1 calculée à 999 cm-1. En revanche, aucun signal n’est observé en correspondance avec la bande ν18.

Les spectres IRMPD des complexes mono-benzène CrBz+ et MnBz+, comme tous les autres complexes mono-benzène étudiés par M.A. Duncan et collaborateurs, à l’exception de VBz+, ne présentent que deux bandes. On peut attribuer ces observations aux modes normaux ν11 et ν19, respectivement à 721 cm-1 et 1425 cm-1 dans le cas de CrBz+, et 738 et 1464 cm-1 dans le cas de MnBz+. D’après les calculs de chimie quantique, l’addition d’un seul benzène sur ces cations métalliques ne donnent pas lieu à un changement de spin et ces deux complexes présentent donc une structure d’énergie minimale C6v, CrBz+ et MnBz+ présentant respectivement un état électronique 6A1 et 7A1. Compte tenu de la configuration électronique des cations métalliques Cr+(d5) et Mn+(s1d5), l’interaction M+-Bz est faible dans les deux cas et les décalages des deux bandes observées sont faibles par rapport à leur position dans le

IV. Caractérisation du changement de coordination 6→ 4 du benzène

benzène isolé (ν11 à 673 cm-1 et ν19 à 1486 cm-1). Les décalages vers le bleu observés pour la bande ν11 pour ces deux complexes (48-65 cm-1) sont les plus faibles de tous les complexes mono-benzène de la série des cations de la première série de transition. Ainsi, comme dans le cas des complexes di-benzène CrBz2+ et MnBz2+, le décalage vers le bleu de la bande ν11

semble être un très bon indicateur de la force de la liaison M+-Bz.

La largeur à mi-hauteur (fwhm) des bandes ν11 et ν19 des complexes MnBz+ et MnBz2+, est de 30 cm-1, c’est-à-dire la même que celle observée pour les autres complexes des cations de la première série de transition par M.A. Duncan et ses collaborateurs. Ceci est intéressant car nos conditions expérimentales sont très différentes des leurs. Dans notre cas, les complexes mono- et di-benzène sont formés par échange de ligand (Chemical Ionisation), alors que les complexes de Duncan et al. sont en revanche formés par ionisation laser de complexes neutres au sein du piège, et ces précurseurs neutres sont synthétisés en amont grâce à la vaporisation laser du métal dans un jet pulsé d’argon contenant une fraction de vapeur de benzène à température ambiante [28]. Le fait que les largeurs des bandes soient identiques suggère que les ions formés dans l’une et l’autre des deux expériences présentent une énergie interne du même ordre de grandeur.

Un dernier point mérite d’être signalé concernant les complexes bis-benzène. Du côté bleu de la bande ν11 (813 cm-1) du complexe MnBz2+, on observe un épaulement à 833 cm-1. Le même type d’observation peut être fait sur le spectre IRMPD de TiBz2+. Compte tenu de la faible différence d’énergie entre les conformations éclipsée (D6h) et décalée (D6d), il ne serait pas surprenant que cet épaulement, propre aux complexes bis-benzène, soit dû à un dédoublement de la bande ν11 provoqué par la rotation quasi-libre des deux ligands benzène autour de l’axe M+-Bz.