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1.3.3.2.(b) Réserves quant au modèle proposé par Dik

La confrontation du modèle hiérarchisé de Dik avec les données du birman nous amène à faire les remarques suivantes et à proposer quelques modifications à ce modèle.

• A propos de la frontière entre modalités de niveau (1) et (2) :

Tout d’abord, les notions de permission, d’obligation, ou de possibilité, se situent d’après le modèle de Dik à la fois au niveau (1) et au niveau (2). Or, ces notions, à la différence de la capacité

(cf. exemple (1.40) ou du désir, ne nous semblent pas directement liées à l’agent du procès, i.e. elles ne

dépendent pas de l’agent du procès mais bien d’une contrainte ou de circonstances extérieures. En d’autres termes, la permission, l’obligation et la possibilité, sont à notre sens toujours des modalités de niveau (2) (M2) (cf. exemples (1.41) et (1.42)).

D’après Dik toujours, les modalités (M2) sont opératoires au niveau de la prédication étendue au même titre que les modalités « objectives épistémiques » (M3). Or, ces deux types de modalités ne s’appliquent pas d’après nous au même élément : les premières concernent l’évaluation du procès en termes de normes, les secondes expriment une évaluation de la probabilité du procès par le locuteur. Les modalités (M2) et (M3) doivent donc être distinguées.

Illustrons notre propos.

En (1.40), l’auxiliaire ôiux= /naiN/ marque la capacité de l’agent (ou du participant principal) à faire l’action décrite dans le procès. C’est clairement un morphème modal de type (M1).

(1.39) tiu^m$él:mH,k hiuarx=k awicItWx=:érCiut,kiu [B2/13] To£ maNTa`le Ma Ka£ ho-qæyiN-Ka£ qæ-wi-si-`twiN ye sho Ta Ko (1P).PLUR Mandalay LOC. TOP autrefois artésien-puits-eau dire PVF:R OBJ

rp=kWk= nv=:nv=:kél:kBè su.:ôiux==t,p?

yaq-kwêq `nê-`nê-Kæ`le Ka£ `bê

`¢oN naiN

Ta

Pa

quartier ê.peu-ê.peu petit TOP seulement utiliser AUX:capac. PVF:R PV:POL.

Dans le Mandalay de notre époque, peu de quartiers seulement pouvaient (avaient la possibilité de) utiliser l'eau des puits artésiens.

(litt. Dans notre Mandalay, autrefois, peu de quartiers seulement avaient la possibilité de utiliser l'eau des puits artésiens.

En (1.41) comme en (1.42), la possibilité de faire le procès est exprimée par le morphème r /ya£/ ; cette possibilité est liée à une contrainte extérieure (contrainte géographique ou évaluation du procès exprimé en termes d’un système moral, d’une norme sociale).

L’agent du procès en (1.41) va avoir la possibilité de voir l’effondrement de terrain. C’est inhérent à sa position géographique — en allant au Mont Popa, on s’approche du lieu du sinistre — et non à sa qualité d’agent du procès. Il ne s’agit donc pas de l’expression d’une modalité (M1) mais bien d’une modalité (M2). D’autre part, la possibilité dans cet exemple est bien attribuable à un participant du procès, il ne s’agit pas ici d’une évaluation par le locuteur des possibilités de réalisation de l’événement, i.e. d’une modalité de type (M3).

(1.40)

ém® k–. t, étW^ r mÚ <

[A1/33]

mye cwaN

Ta

twe£

ya£

terre s’enfoncer dans PVF:R rencontrer AUX:’GET’ PVF:IR.

(Tu) pourras voir l’effondrement de terrain.

ou (Il te sera possible de voir l’effondrement de terrain)

(litt. Tu pourras rencontrer le fait que la terre s’est enfoncée de haut en bas)

De même, en (1.42), la contrainte, quoique imposée par l’extérieur (norme socio-culturelle), concerne encore l’agent du procès de ‘dormir’ sans être de son fait (modalité (M2)). En outre, l’expression de cette contrainte n’a rien à voir avec l’évaluation de la proposition par le locuteur.

(1.41)

aip=liu^mrBU: <

[A4/114]

qêiq

lo£

ya£

`Phu

dormir SUB NEG AUX:’GET’ PVF:NEG

[Mon amie va s’inquiéter] (Je) ne peux pas dormir (ici).

En (1.43), la possibilité concerne la proposition entière et non le procès décrit par la constellation verbale ; il s’agit ici d’évaluer la possibilité qu’a la proposition d’être réalisée ou de se réaliser, i.e. d’évaluer sa probabilité. Cette probabilité — ou modalité (M3) — est exprimée par la particule verbale lim=; /lêiN£/, mais aussi par la PVF marquée pour l’IRRÉALIS mÚ /mê/.

(1.42)

aKu aKYin=mH, miu:miu: c, Pt=énlim=;mÚ <

[C/MYS]

qækhu£ qæ-chêiN Ma `mo`mo sa

phaq ne

lêiN£ mê

maintenant moment LOC Momo lettre, textelire AUX:inac.cc PV:prob.PVF:IR.ass

En ce monent, Momo est probablement en train de lire (un texte).

L’exemple (1.44) montre que des modalités internes au procès (M2) et des modalités liées à une prédication étendue (M3) peuvent aussi apparaître simultanément.

(1.43) ...

ém:KWn=:étWkiulè mx=: siT,:rlim=;mÚ <

[B4/16]

`me-`KhwaN-Twe

Ko

`lê

questionner-discours-PLUR OBJ aussi

`miN

¢i£

`tha

ya£

lêiN£

2SG (fam) connaître AUX:résult. AUX:’GET’ PV:prob. PVF:IR.

Tu devras connaître [et retenir] aussi les questions [que...] (Il te faudra connaître (et retenir) les questions...)

(litt. Tu auras probablement à connaître (et retenir) aussi les questions...

En résumé, n’étant pas satisfaite le la hiérarchisation des modalités (M1, M2, et M3) selon Dik, nous nous proposons de revoir la frontière entre ses trois niveaux de modalité (cf. la

définition de la modalité proposée en § 1.3.4).

• Sous-types dans la catégorie de la modalité « objective épistémique »

- L’apparition simultanée de plusieurs morphèmes modaux épistémiques dans les énoncés birmans nous incite à postuler, à la différence de Dik, deux sous-catégories modales au niveau de la modalité « objective épistémique » (niveau propositionnel). Le birman marque en effet systématiquement la réalisation ou factualité (« actuality ») (RÉALIS vs. IRRÉALIS)154 du procès ; il a par ailleurs à sa diposition des morphèmes grammaticaux (cf. exemple (1.43))155 ou des structures syntaxiques (cf. exemples (1.45-46)) pour affiner son évaluation quant à la probabilité ou à la certitude de ce procès.

154 La notion de factualité (« actuality ») quoique secondaire dans la définition de la modalité Epistémique selon Dik, est

fondamentale en birman. C’est en effet, une des rares notions grammaticales obligatoirement marquées dans cette langue (cf.

§ 3.3.2.2, p.239 sur les éléments grammaticaux obligatoires du SV biman). Ainsi dire si le procès est avéré ou envisagé,

réalisé ou hypothétique (RÉALIS vs. IRRÉALIS) est un paramètre obligatoire à remplir avant toute référence à une probabilité ou une certitude quant à sa réalité. Cette bipolarité entre procès ‘actuel’ vs. ‘non-actuel’, i.e. avéré ou envisagé, est exprimée au moyen des Particules Verbales Finales (PVF).

155 Dans l’exemple (1.43), le morphème lim=; /lêiN£/ diminue la probabilité de voir le procès réalisé. Ce doute quant à la

(1.44)

sU dI k,: wÚ ék,x=: wÚ mÚ <

[C/HNTH]

¢u

di

`ka

`K©N wê

3SG DEM voiture acheter PTC acheter PVF:IR

V. PTC V. PVF:IR

Il va peut-être acheter cette voiture

(1.45)

aKu sU Tmx=:c,:én tun=:pè P®c= mÚ <

[C/HNTH]

qækhu£

¢u thæ`miN-`sa ne

`ToN `bê

phyiq mê

maintenant 3SG riz- manger AUX:inac.cc SUB:tps PP:excl survenir PVF:IR.ass

[...V.NOM.]prop survenir-PVF:IR.ass Il doit/devrait être en train de manger maintenant.

(litt. Il surviendra/sera le moment où il était en train de manger)

Nous proposons donc de diviser la catégorie modale de niveau (2), dite ‘objective épistémique’ chez Dik, en deux sous-catégories modales regroupant respectivement les morphèmes permettant : (a) l’expression de l’actualité du procès, (b) l’expression de la probabilité de réalisation de ce procès (cf. § 1.3.4.3, p. 70).

• L’exclusion des modalités de phrase du domaine de la modalité

- La dernière réserve que nous ferons quant au cadre d’analyse proposé par Dik concerne les ‘modalités de phrase’ ou niveau de la « force illocutoire ». Il nous semble nécessaire de les prendre en compte dans le cadre d’une théorie de la modalité, car elles sont indiscutablement liées au locuteur tout comme les modalités (M3) et (M4).

Ces modalités de phrase étant pour certaines clairement marquées en birman, et parfois amalgamées à d’autres modalités156 comme le montre l’exemple (1.46) suivant, il nous semble judicieux de les traiter dans le cadre de cette approche de la modalité.

Les modalités de phrase « assertive » et « interrogative » sont respectivement exprimées dans les énoncés (a) et (c) de l’exemple ci-dessous. Elles apparaissent amalgamées à la PVF marquée pour la factualité (RÉALIS).

(1.46) a. ...

piux=Ciux=tè;h,étW akun=lu.: ép:liuk=tÚ <

[C]

paiN-shaiN Tê£

ha-Twe

qæ-koN-`loN

posséder REL:R chose-PLUR toutes

`pe

laiq

donner AUX:term. PVF:R.ass

[J’asserte que] (il) a donné toutes les choses qu’il possédait.

156 En birman, l’expression de ces « illocutions » ou types de phrases entraîne des modifications morphologiques

b. ...

piux=Ciux=tè;h,étW akun=lu.: ép:liuk=t, ép?;én+ <

[A3/19]

paiN-shaiN Tê£

ha-Twe

qæ-koN-`loN

posséder REL:R chose-PLUR toutes

`pe

laiq

Ta

P©£

donner AUX:term. PVF:R PP:excl PDS:excl.

(Il) a donné toutes les choses qu’il possédait, (tu sais) ?!

c. ...

piux=Ciux=tè;h,étW akun=lu.: ép:liuk= (s) l,: <

[C]

paiN-shaiN Tê£

ha-Twe

qæ-koN-`loN

posséder REL:R chose-PLUR toutes

`pe

laiq

(¢æ)

157

`la

donner AUX:term. PVF:R.QST PP:QST

A-t-(il) donné toutes les choses qu’il possédait ?

1.3.3.2.(c) Conclusion

Nous retiendrons cependant de ce modèle l’idée de ‘strates successives’ dans la modalité et celle de modalités opérant à différents niveaux. Nous reprendrons aussi à notre compte l’idée du lien entre « polarité » et modalité « objective épistémique » ébauchée par Dik (1997/1 : 242158) et clairement posée par d’autres fonctionnalistes (Van valin et LaPolla, 1997 : 41).

1.3.4.

Définition de la modalité utilisée dans ce travail

Notre conception de la modalité suivra celle de Dik, pour qui les notions modales interviennent à différents niveaux de l’énoncé. Mais à la différence de cet auteur, nous postulons cinq (et non quatre) niveaux d’application de la modalité ; nous nous proposons en effet de répartir sur trois niveaux les modalités appartenant au niveau (1) et (2) de Dik, et de prendre en compte les modalités énonciatives (niveau (4) chez Dik) (cf. Tableau (35) récapitulatif des modalités en birman, p. 438).

• Le premier niveau (A) est interne au procès et concerne les participants de ce dernier. Il correspond à une partie seulement du niveau (1) de Dik, et ne comprend que les modalités de capacité et de désir159.

157 La PVF marquée pour la modalité RÉALIS en énoncé interrogatif disparaît en birman vernaculaire et n’apparaît avec cette

forme atone que dans les textes, voire en langage soutenu (cf. § 3.3.2.2, Tableau (20) , p. 241).

158 Dik (1997/1 : 242) :  « Polarity may be regarded as the logical extremes of Epistemic modality ... » (souligné par nous). 159 Chez Auwera & Plugian (1998 : 80-81), ce niveau est appelé « Participant-internal ».

• Nous introduisons ici le niveau (B) où il sera question de normes, de contraintes sur la réalisation d’un procès. Les modalités relevant de ce niveau nous semblent à la fois externes au procès et internes à la prédication Ce niveau regroupe des modalités qui chez Dik relevaient du niveau (1) et du niveau (2), i.e. des modalités (M1), (M2) (cf. Tableau (9) , p. 64).

• Le niveau (C) concerne la réalité du procès, i.e. sa factualité et/ou sa probabilité d’être réalisé, et comprend les modalités (M3) de Dik.

• Le niveau (D) concerne le degré d’implication du locuteur, son engagement quant à la valeur de vérité du procès exprimé, et l’origine (ou source de l’information) de cet engagement. C’est le niveau des modalités Subjectives

• Le dernier niveau (E), ou niveau Énonciatif, concerne le discours. C’est le domaine de la proposition actualisée et évaluée dans une situation d’interlocution. Sont traitées à ce niveau les notions classiques du déclaratif, de l’impératif ou de l’interrogatif, ainsi que l’exclamation et la politesse.

Chaque niveau est le lieu d’expression de plusieurs notions modales — quelquefois regroupées en catégories modales — que nous allons maintenant détailler.

1.3.4.1.

Les modalités opérant au niveau (A) ou la « Potentialité Inhérente »

Les notions modales opérant à ce niveau sont le désir, la capacité.

Elles sont internes au procès car elles sont le fait d’un des participants à celui-ci.

Elles sont difficilement compatibles (sémantiquement) entre elles, et seront exprimées en birman par des verbes subordonnés, i.e. des auxiliaires (AUX), ou des particules verbales (PV).

1.3.4.2.

Les modalités opérant au niveau (B) ou le niveau « déontique »

Nous avons souhaité créer un niveau supplémentaire pour des notions modales que nous n’avons pas pu considérer comme inhérentes au procès, i.e. attribuables au(x) participant(s) de l’action, mais qui ne sont pas liées non plus à une évaluation de la connaissance par le locuteur du procès. Les notions modales exprimées à ce niveau sont la possibilité, la permission, la nécessité, l’obligation. Une partie d’entre elles correspondent aux modalités (M2) de Dik et renvoient à ce que l’on nomme traditionnellement les « modalités déontiques » définies comme relevant de la nécéssité ou de la possibilité — cf. les définitions proposées par Lyons (1977 : 823) ou Chung & Timberlake

(1985 : 246-47), et notre récapitulatif sur les notions véhiculées par la modalité Déontique en § 1.3.2.3a, p. 45).

Extérieures au procès, tout en le concernant directement, elles sont le reflet de normes légales, morales, sociales appliquées à un procès. L’expression de ces normes peut correspondre sémantiquement à une contrainte imposée (obligation, nécessité) ou à un choix accordé (possibilité, permission) au(x) participant(s) du procès à propos de celui-ci.

Cependant, ne participant pas directement à la relation établie entre le verbe et les participants, mais qualifiant le procès dans son ensemble, ces modalités seront considérées comme internes à la proposition.

Un morphème en birman semble regrouper un grand nombre des valeurs modales exprimables de ce niveau. Il s’agit du morphème r /ya£/ (cf. § 4.3.1, p. 309).

1.3.4.3.

Les modalités opérant au niveau (C) ou niveau de l’ « Epistémico-factuel»

Les modalités du niveau (C) sont l’expression de l’évaluation par le locuteur, de la réalité d’un événement, voire de sa probabilité de réalisation. Il s’agit donc pour le locuteur

(1) d’une part  de se prononcer sur la factualité (« actuality ») de l’événement décrit par la proposition ou de le nier,

(2) d’autre part de nuancer son jugement en indiquant la probabilité que cet événement a de se réaliser.

Ces modalités Épistémico-factuelles s’expriment toutes au niveau de la proposition et correspondent en partie à ce que de nombreux linguistes avant nous ont appelé « modalités épistémiques ». Ce terme recouvrant selon les auteurs une ou plusieurs des notions suivantes (degré de probabilité, évaluation de la factualité, source de l’information, évaluation du contenu propositionnel, jugement sur la valeur de vérité, etc...)160 nous avons hésité à le reprendre pour désigner l’ensemble des modalités de niveau (2). Nous avons finalement décidé de réserver le qualificatif d’ÉPISTÉMIQUE

aux modalités qui traitent du degré de probabilité de réalisation de l’événement. Les modalités

ÉPISTÉMIQUES forment ainsi une sous-catégorie de nos modalités Épistémico-factuelles, au même titre que les modalités traitant de la factualité (« actuality ») du procès (modalités RÉALIS et IRRÉALIS) ou de sa non-réalisation (polarité).

1.3.4.4.

Les modalités opérant au niveau (D) ou modalités « Subjectives »

Les modalités appliquées à la proposition se divisent en deux catégories : la catégorie des modalités Évaluatives161 par lesquelles le locuteur donne son opinion à propos du procès, et celle des

160 Pour plus de détails sur les notions véhiculées par le terme Épistémique, se reporter à notre récapitulatif e en § 1.3.2.3a

(p.  44). Voir aussi Frawley (1992 : 407).

161 Nos modalités Subjectives sont à mettre en rapport avec les modalités de discours (« Discourse modalities ») au centre du

modalités Evidentielles (« Evidential ») (Mod.EVID) par lesquelles le locuteur précise la source des informations contenues dans la proposition qu’il énonce.