• Aucun résultat trouvé

La modalité et ses corrélats en birman, dans une perspective comparative

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La modalité et ses corrélats en birman, dans une perspective comparative"

Copied!
473
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: tel-00185069

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00185069

Submitted on 5 Nov 2007

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

perspective comparative

Alice Vittrant

To cite this version:

Alice Vittrant. La modalité et ses corrélats en birman, dans une perspective comparative. Linguis-tique. Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis, 2004. Français. �tel-00185069�

(2)

Ecole Doctorale C

OGNITION

, L

ANGAGE

, I

NTERACTION

Formation S

CIENCES DU

L

ANGAGE

N° attribué par la bibliothèque

|

_

|

_

|

_

|

_

|

_

|

_

|

_

|

_

|

_

|

_

|

THESE

pour obtenir le grade de

Docteur en Sciences du Langage

Discipline: Linguistique Générale

présentée et soutenue publiquement

par

Alice VITTRANT

le 10 décembre 2004

La modalité et ses corrélats

en birman

dans une perspective comparative

(Volume 1)

*

Directeur de thèse

Mme Martine MAZAUDON

Jury

Madame Denise BERNOT, Professeur Émérite, INALCO Madame Colette GRINEVALD, Université Lyon-2 Madame Brenda LACA, Université Paris-8

(3)

DANS UNE PERSPECTIVE COMPARATIVE

SOMMAIRE

Volume I

Tableau : Classification des langues de la famille tibéto-birmane ... IV-V Carte : Les principaux groupes ethnolinguistiques de Birmanie...VI Liste des abréviations... VII Conventions de notation et de présentation...VIII Remerciements ...IX

Introduction  ...1

1. Références théoriques et terminologie ...3

2. Caractéristiques générales du birman...83

3. Le syntagme verbal birman ...139

4. La modalité dans les énoncés verbaux en birman...291

5. Conclusion ...441

Bibliographie ...443

Table des matières...461

Tables des tableaux et figures...470

Volume 2

ANNEXES : 1. Exemples illustratifs des chapitres 3 et 4 ...1

2. Textes du corpus A et B : A propos du Mont Popa (texte A1)...31

L’achat d’un billet à Léo Express (texte A2) ...55

Le pèlerinage aux quatre pagodes (texte A4, extraits)...71

A propos de la cérémonie du Shinbyu (texte A5)...87

Les Koyingyis (texte B2, extraits)...101

Un noble esprit (texte B3) ...113

(4)
(5)
(6)

1(P) première personne 2(P) deuxième personne 3(P) troisième personne acc aspect Accompli AdvER Adverbialiseur (ADV) adverbe affirm. affirmation ASP. aspect

ass. assertion du locuteur attendu procès attendu (« expected »)) AUX: auxiliaire

bénéf. bénéfactif capac. capacité (modalité) cause cause

CIT particule de citation CLF classificateur COMP comparatif conatif aspect conatif

confir. assentiment (confirmation) requis cont. aspect continuatif

const.visuel constatif visuel (modalité évidentielle) CVS construction verbale en série

DEM. démonstratif

DEM:anaph. démonstratif anaphorique DEM.dist démonstratif lointain détrim. détrimentiel dir. directionnel emph. emphase

empat. empathie, compassion du locuteur erratiq. erratique

euph. euphonique (pour le rythme sonore) éval(uat). modalité appréciative (évaluation) EVID modalité évidentielle

excl. exclamation EXP. expression exh. aspect exhaustif

expér. marque de l’expérience déjà acquise fact. factitif

fam familier fem féminin F.P. femme parlant FUT temps futur gén. général H.P. homme parlant IMP impératif IMP.inclus. impératif inclusif impat. impatience du locuteur

inac.cc. aspect inaccompli - concomitant (valeur de progressif ou de statif)

inchoat. inchoatif (aspect) inclus. inclusif.

inop. caractère inopiné du procès insist. insistance du locuteur INTERJ. interjection

IR. modalité IRREALIS

itér. itératif (aspect) LOC locatif

miratif modalité evidentielle mirative MRQ marque(ur)

néces. nécessité (modalité) NOM nominaliseur ou déverbatif P. proposition

parf. aspect parfait (acc.résult.) PDS particule de discours (exclamative)

perm. permissif

PLUR/plur. marque de pluriel nominal / verbal POL politesse

PP particule de fin de phrase prob. probabilité (notion modale de la) possib. possibilité (notion modale de la) prosp. aspect prospectif

PRS temps présent PS temps passé PTC. particule

PTC.disc. particule discursive

PV:envie particule verbale exprimant le désir, l’envie de l’agent de la proposition

PVF particule verbale finale

PVF IR.QST particule verbale finale interrogative marquée pour la modalité IRREALIS

PVF:R.QST. particule verbale finale interrogative marquée pour la modalité REALIS

PV particule verbale

QST question ou marque de l’interrogation QST:tot. question totale (ou fermée)

QST:part. question partielle (ou ouverte) QTT (aspect) quantitatif

QUOT marqueur modal exprimant le discours rapporté (« quotative »)

R. modalité REALIS

REL:R relateur véhiculant une modalité REALIS

REL:IR relateur véhiculant une modalité IRREALIS

résult. aspect résultatif

S. source de l’action (« ablatif » ou « nominatif »)

simult. simultané SG singulier

SN syntagme nominal

SoA state of affair

SUB subordonnant SUPERL. superlatif SV syntagme verbal spt spacio-temporel suffitif évaluation de la quantité tps temporel, temps TOP topique V. verbe

(7)

• Lorsque nous ferons référence à des concepts (ou notions sémantiques) généraux à valeur

universelle ou trans-linguistique, le terme utilisé commencera par une majuscule — i.e. temps

Passé, modalités Intermédiaire, Evidentielle, aspects de Phase, de Perspective. En revanche,

les sous-catégories ou valeurs particulières de ces notions générales seront notées par des

petites capitales — i.e. catégories modales du

MIRATIF

, de l’

EPISTEMIQUE

, catégories

aspectuelles du

TERMINATIF

, du

RESULTATIF

.

• Les étiquettes ou appellations traditionnelles données à certaines formes dans des langues

particulières seront citées entre guillemets, i.e « l’imparfait » du français, ou le « preterit » de

l’anglais, tout comme les utilisations particulières de certains termes courants.

• Nous indiquerons d’autre part par des italiques les termes exprimés dans une langue autre

que le français, comme par exemple tense en anglais.

• Pour finir, nous garderons la notation utilisée par les auteurs, lorsque nous les citons. Ainsi,

le terme ‘épistémique’, qui, dans notre terminologie est une sous catégorie modale notée

EPISTEMIQUE

, pourra apparaître en bas de casse s’il est utilisé de manière différente par un

auteur que nous citons.

notion générale ou catégorie hyperonyme

sous-catégorie ou catégorie hyponyme

appellation traditionnelle terme d’origine étrangère

modalité

Evidentielle

MIRATIF

« subjonctif »

deontic modality

PRESENTATION DES EXEMPLES EN BIRMAN

(2.1)

kYmsUxÚKYx=: cit=pUlim=;mÚ <

[A4/113]

cæma

¢æîê`ChiN sêiq-pu

lêiN£

1SG.(F.P.) ami(e) ê.inquiet PV:prob. PVF:IR.ass

Mon amie va sûrement s’inquiéter.

• La première ligne est écrite en birman.

• La deuxième ligne représente la transcription phonologique.

• La troisième ligne représente le mot-à-mot ; la liste des abréviations en lettres

capitales faisant référence à des notions grammaticales est donnée ci-dessus.

• La quatrième ligne représente la traduction française de l’énoncé.

• Une cinquième ligne peut parfois apparaître pour proposer une traduction plus littérale

de l’énoncé.

• Nous ajoutons, si cela se justifie, une ligne de commentaires qui apparaîtra entre

crochets.

• Le premier sigle à droite sur la première ligne correspond au type de corpus (A, B ou C) et au texte cité. Le numéro apparaissant après le séparateur est celui de la phrase dans le texte cité.

(8)

Mes plus sincères remerciements vont, tout d’abord, à ma directrice de thèse, Madame

Martine Mazaudon, pour avoir accepté de diriger mes recherches. Je lui suis très

reconnaissante de m’avoir fait profiter de ses connaissances linguistiques, de sa rigueur

scientifique, de sa disponibilité de tous les instants, et de m’avoir soutenue tout au long de

mon parcours linguistique.

J’exprime également ma profonde gratitude à Madame Denise Bernot et Monsieur Nicolas

Tournadre, pour leurs conseils éclairés et les nombreuses discussions stimulantes que nous

avons eues à propos du birman… et de la modalité !

Je tiens aussi à remercier Madame Colette Grinevald et Madame Brenda Laca pour leurs

suggestions précieuses et leur intérêt pour mon travail.

Je suis extrêmement reconnaissante au LACITO et plus particulièrement à sa directrice Zlatka

Guentcheva, à Françoise Péeters et Anne Behaghel-Dindorf pour leur aide matérielle et

morale.

Je dois aussi beaucoup aux professeurs du Département Sciences du Langage de l’Université

Paris 8, qui m’ont prodigué conseils et encouragements tout au long de ma scolarité.

Mais ce travail n’aurait pu voir le jour sans l’aide, le soutien et l’amitié de tous mes

informateurs birmans. Qu’ils en soient sincèrement remerciés.

Merci à Madame Yin Yin Myint, pour m’avoir enseigné avec tant de patience les rudiments

de la langue birmane.

Merci encore à Khin Hnit Thit Oo et Myat Sandar pour avoir répondu à toutes mes questions

avec gentillesse et patience.

Merci surtout à Mo Mo Oo pour sa bonne humeur et sa joie de vivre.

Enfin, je remercie ma mère et ma sœur pour leur relecture attentive du manuscrit.

Un grand merci encore à ma famille, à tous mes amis linguistes et non-linguistes pour leur

soutien et leurs encouragements tout au long de ce travail.

(9)

Références théoriques et terminologie :

Les notions de temps, d'aspect et de modalité ou TAM

Le temps, l'aspect et la modalité sont généralement conçus comme des opérations qui ancrent, dans un contexte temporel et situationnel, l'information exprimée par un énoncé. Qu'il s'agisse de situer la prédication sur l’axe du temps et par rapport à la situation d'énonciation, de donner son point de vue sur le déroulement de cette prédication ou encore d'exprimer une opinion quant à la validité de l'information présentée.

Tense, aspect and mood1 are all categories that further specify or characterize the basic

predication, which can be referred to as the event. (Chung & Timberlake, 1985 : 202)

De nombreux linguistes — Lyons (1977 : 816), Slobin & Aksu (1982 : 186), Givón (1984 : 65, 272), Chung & Timberlake (1985 : 202), Confais (1990), Bybee et al (1994 : 47, 49), Fleischman (1995 : 519), Le Querler (1996 : 13, 18), Payne (1997 : 233-34)2, Bhat (1999 : 8), Tournadre (2002 : 9)3, Tournadre (2004) etc. — ont noté les liens privilégiés qu'entretenaient certaines notions qui ne peuvent être étudiées indépendamment les unes des autres. C’est le cas du temps, de l'aspect et de la modalité, qui s’expriment régulièrement dans les langues par des formes identiques, ou des formes cumulant simultanément plusieurs de ces valeurs.

1 Sur la distinction et l’emploi des termes « mode » (mood) et « modalité », voir ci-dessous § 1.3.2.3b (p. 46). 2 Payne (1997 : 233) : « Tense, aspect and mode are sometimes difficult to tease appart. »

3 Tournadre (2002 : 9) : « Il arrive en effet constamment que la même forme verbale véhicule une valeur aspectuelle dans un

(10)

The variations that have been observed among languages concerning the representation of tense, aspect and mood derive primarily from the fact that the three categories are closely interconnected. (Bhat, 1999 : 93)

D'autres catégories interagissent aussi avec les catégories de temps-aspect-modalité (dorénavant TAM). Pour le domaine verbal par exemple, Comrie signale des interactions entre aspect et voix (1976 : 84sq., 1981a)4, Payne entre TAM et valence verbale (1997 : 235) et d’autres auteurs font état de relations étroites entre TAM et polarité dans des langues très diverses (cf. Givón, 1984 :

271)5. Givón (1984 : 65, 271) comme Frawley (1992 : 389-390) et Payne (1997 : 235)6, notent encore que les catégories TAM peuvent aussi être étroitement liées, par des amalgames morphologiques par exemple, avec des faits appartenant au domaine nominal, i.e. le système casuel, la catégorie de nombre7.

« It is also common for tense-aspect-modality morphemes to merge with other verb inflections — particularly grammatical agreement — into portmanteau (joint) morphemes. » (Givón, 1984 : 65)

Pour finir, Fuchs note la profonde imbrication « des marques aspectuelles avec d'autres marques, que ce soit au niveau même des formes (amalgames d'aspect et de temps, d'aspect et de voix, ou d'aspect et de négation) ou au niveau des contraintes syntagmatiques ». (Fuchs, 1978 : 9)

1.1.

La catégorie notionnelle du temps et son expression

dans les langues

Les études concernant le temps et son expression dans les langues sont nombreuses. Il serait hors propos d’en faire ici un historique. Nous nous contenterons de citer quelques travaux importants sur le sujet, qui nous le rappelons, est fondamentalement lié au thème de notre travail, i.e. la modalité.

1.1.1.

Repérage de l’événement dans le temps

Les événements (état, procès, processus...) se produisent dans le temps et sont donc susceptibles d'un repérage. Pour comprendre correctement un énoncé, il faut être capable d'identifier le moment où l'événement (E) décrit s'est produit et comprendre s'il s'est déroulé avant, après, en même temps que d'autres événements décrits dans le discours qui serviront de points temporels de référence (R).

4 Voir aussi Hopper (1982 : 5), DeLancey (1982 : 167).

5 Givón (1984 : 271) : « TAM markers may eventually fuse into portmanteau with each other, with negation markers,... »  6 Payne (1997 : 235) : « It is not uncommon for tense/aspect/mode system of a language to interact in a significant way with

other seemingly distinct subsystems such as nominal case marking or participant reference. [...] In other languages tense/aspect and/or mode markers may be fused with person markers. »

7 Payne (1997 : 235) cite une langue austronésienne, le ‘seko padang’, qui utilise un système de marquage casuel nominatif/

accusatif sur les verbes au présent et marquées pour l’aspect non-perfectif (« non-perfective aspects ») et un système ergatif/ absolutif dans les phrases contenant un temps passé ou un aspect perfectif.

(11)

En partant du modèle de Reichenbach, nous nous attacherons à définir les relations nécessaires au repérage temporel d’un événement. Ceci nous amènera à aborder les notions de temps relatif et de temps absolu souvent utilisées par les linguistes pour nommer différents types de repérage temporel.

1.1.1.1.

Le modèle de Reichenbach

Le modèle de Reichenbach (1947) est un travail de référence lorsque l’on parle du temps (Harder (1994 : 61), Louis de Saussure (1998 : 43), Cinque (1999 : 81), Laca (2002 : 5-8), etc.). Reichenbach part du principe que le temps grammatical exprime tout d'abord une temporalité calculée en termes d’antériorité, de simultanéité ou de postériorité entre le moment de l’énonciation (S) ou

« time of (S)peech » et le moment de l’événement (E) ou « time of (E)vent ». Mais, comme cela ne

suffit pas à expliquer toutes les nuances que l'on trouve dans les systèmes verbaux de certaines langues où il y a plus de trois temps (i.e. le français), Reichenbach postule l’existence d’un autre paramètre à prendre en considération, qu'il note moment de référence (R) ou « Reference time »8. Cela lui permet par exemple, d'expliquer le paradigme du « Plus-que-parfait » en français pour lequel le procès est décrit comme ayant eu lieu antérieurement à un moment de référence donné (par le contexte), moment lui-même antérieur au moment de l'énonciation. En positionnant l'événement (E), le moment de référence (R) et le moment de l'énonciation (S) les uns par rapport aux autres sur la ligne du temps, il construit un sytème temporel à neuf temps fondamentaux supposés universels.

Nous ne nous attarderons pas davantage sur ce modèle temporel relativement critiqué — cf.

Comrie (1981b), Vikner (1985), Louis de Saussure (1998) — nous retiendrons seulement qu’un

système à trois ‘points temporels’ peut s’avérer utile pour représenter et définir d’autres notions, comme la distinction entre temps ‘absolu’ et temps ‘relatif’, comme la notion aspectuelle de « concomitance », i.e. une certaine relation entre l’événement décrit et le moment de l’énonciation (S) ou le moment de référence (R).

1.1.1.2.

Temps « relatif » et temps « absolu »

Du modèle de Reichenbach, il est possible de dériver la distinction entre temps « relatif » et temps « absolu » Cette distinction, que l’on retrouve chez de nombreux auteurs comme Comrie (1976)9, Givón (1984 : 273-74), Chung & Timberlake (1985 : 203)10, Comrie (1985 : 36, 56, 122)11,

8 Reichenbach n’est pas le premier à proposer une approche systématique de l’interprétation temporelle associant trois

variables. Le précurseur dans ce domaine est Beauzée, un grammairien français de la fin du XVIIIe siècle. Pour plus de détails sur les relations entre ces deux approches, on peut se reporter à l’article de Louis de Saussure dans l’ouvrage dirigé par Moeschler (1998).

9 Comrie (1976 : 2) : « ... instead of the time of some a situation being located relative to the present moment, it is related to

(12)

Cohen (1989 : 15), Hengelved (1989 : 136), Frawley (1992 : 340), Bhat (1999 : 14), etc., parfois avec d’autres noms (cf. Smith 1991)12, a trait à la relation d’ordre établie entre (E) le moment de

l’événement, (R) le moment de référence et (S) le moment d’énonciation (Frawley, 1992 : 340)13. Cette relation d’ordre va générer deux types de situations :

(1) Le moment de référence (R) coïncide avec le moment de l’énonciation (S) et l’événement (E) est situé par rapport à R/S — on parle alors de temps absolu.

(2) Le moment de référence (R) précède (ou suit) le moment de l’énonciation (S) et l’événement (E) est situé par rapport à ce (R) ≠ (S) — on parle ici de temps relatif14.

La distinction entre ces deux relations temporelles est importante, les langues n’exprimant pas ces deux types de relation de la même manière. La Langue des Signes Française (LSF) en est un bon exemple. La présence de ces deux ‘temps’ est superbement illustrée par l’utilisation de deux espaces de ‘signage’ différents (axe sagittal vs. axe horizontal), respectivement pour l’expression temporelle absolue vs. relative d’un événement15.

Placer (signer) un événement sur l’axe sagittal indiquera sa référence au moment d’énonciation. Ainsi, en LSF le signe [AUJOURD’HUI] est situé très près du corps, tandis que les signes indiquant le futur comme [DEMAIN], [PLUSTARD], ou la marque du futur proche [V A] « sont tous effectués avec un mouvement rectiligne vers l’avant du corps du locuteur. Ceux qui indiquent le passé [...] s’effectuent au contraire vers l’arrière du corps du locuteur16 » (Cuxac, 2000 : 263). Par contre, le locuteur (ou le signeur) qui situe un événement sur une ligne horizontale devant lui (axe horizontal) l’inscrit dans une chronologie d’événements — qu’il aura pris soin de préciser dans son discours17.

10 Chung & Timberlake (1985 : 203) : « Tense systems (or subsystems) in which the speech moment serves as the tense

locus are traditionally called absolute tense. »

11 Comrie (1985 : 36) : « The term absolute tense is a traditional, though somewhat misleading term, that has come to be

used to refer to tenses which take the present moment as their deictic center. »

12 Smith (1991 : 145) emploie pour parler de ces deux ‘temps’ les termes d’orientation fixe (fixed orientation) et flexible

(flexible orientation).

13 Frawley, (1992 : 340) : « Absolute and relative tense derive from the choice of a temporal reference point. »

14 Comrie (1985 : 36) note que le terme de « absolu » n’est pas très bien choisi car « strictly speaking, absolute time

reference is impossible, since the only way of locating a situation in time is relative to some already established time point. »

15 Ceci est vrai d’autres langues des signes. comme la Langue des Signes du Brésil (Dos santos Souza, 1998 : 40-44).

16 Tout en gardant le même axe sagittal pour indiquer la référence au moment de l’énonciation, certaines langues des signes

— comme la Langue des Signes Chinoise ou la Langue des Signes Urubu Kaapor (indiens du Brésil) — positionnent le futur qui est inconnu et que l’on ne peut pas voir, vers l’arrière du corps et le passé qui lui est connu et donc perceptible, vers l’avant (Dos Santos Souza, 1998 : 40).

17 Pour une description plus complète de la construction de la référence temporelle en LSF, on peut se reporter à Cuxac

(13)

1.1.2.

Le marquage du temps dans les langues

Les langues ont à leur disposition plusieurs stratégies pour indiquer le moment où a lieu un événement. Elles peuvent utiliser (1) des expressions lexicales complexes comme « Cinq jours après

le départ de Paul... », (2) des mots du lexique comme « hier, demain,... », ou encore (3) un ensemble

de catégories grammaticales présentes habituellement dans le groupe verbal (Comrie, 1985 : 8).

La majorité des langues combinent ces différents types d’expression pour la localisation temporelle. Mais certaines langues, comme le birman, choisissent de ne pas marquer la référence temporelle au sein des catégories grammaticales du groupe verbal, c’est-à-dire de ne pas grammaticaliser le temps et d’indiquer quand a lieu un événement au moyen du lexique (adverbe), et/ou d’une expression syntaxique (circonstant, proposition subordonnée...).

Notée par Comrie (1976 : 6)18, cette absence de « temps grammatical » a aussi été signalée par Lyons (1977 : 687) à propos du chinois, du malais et de l’hébreu classique, et bien d’autres après lui. Elle est souvent mentionnée dans les travaux sur le TAM — cf. Comrie (1985 : 50), Palmer (1986 :

5), Smith (1991 : 137, 146), Bertinetto (1994 : 114), Bhat (1999 : 15, 97).

Languages may use different types of devices for representing the temporal location of events. The occurrence of tense markers is only one of them. For example, there can be 'tenseless' languages, i.e. languages in which the notion of temporal location does not get grammaticalized. (Bhat, 1999 : 15)

Cette absence de temps grammatical est corroborée par de nombreuses analyses (et ré-analyses19) linguistiques portant sur des langues particulières, et des travaux typologiques sur la morphologie du TAM20. On peut se reporter (entre autres) aux descriptions du kammu (langue de la famille môn-khmer) par Svantesson (1994 : 266), du ainu par Refsing (1994 : 312), du bisu et du meiteilon (langues tibéto-birmanes) respectivement par Xu (1999 : 195) et Singh (1999 : 154-155), ou encore aux « tenseless languages » citées par Comrie (1985 : 50sq.).

18 Comrie (1976 : 6) : « Many languages lack tenses, i.e. do not have grammaticalized time reference, though probably all

languages can lexicalise time reference, i.e. have temporal adverbials that locate situations in time. » Notons que Benveniste (1965-réed.1974 : 69) faisait déjà remarquer qu’« une confusion assez répandue est de croire que certaines langues ignorent le temps. [...] L’organisation paradigmatique propre aux formes temporelles de certaines langues, notablement des langues indo-européennes, n’a ni le droit ni en fait le privilège exclusif d’exprimer le temps.»

19 Certaines langues qui ont été décrites comme ayant un système de marqueurs temporels, se sont révélées être des langues

sans catégorie de temps à la lumière des travaux sur le temps et l’aspect de ces trente dernières années. Comrie (1985 : 51) explique ainsi que les morphèmes « soi-disant » temporels du birman (voir aussi Bernot 1980) ou du dyirbal sont en fait des morphèmes modaux. Quant à Li (1991), il montre que malgré une littérature abondante sur le système temporel du hmong, cette langue n’a pas de « temps » (grammaticalisé) et marque plutôt des différences aspectuelles. De même, Refsing (1994 : 314-316) et Singh (1999) remettent en cause la présence de marqueurs temporels dégagés par leurs prédécesseurs dans les langues sur lesquelles ils travaillent.

20 Bybee (1985 : 31) fait remarquer, à propos des catégories marquées morphologiquement dans le syntagme verbal, que le

temps n’est grammaticalisé que dans la moitié des langues qu’elle a utilisées pour son étude, loin derrière des catégories comme l’aspect (74%) et le mode (68%).

(14)

The question now arises whether there are any languages which make neither of these distinctions [present/futur or past/non-past], i.e. which lack absolute tense altogether. [...] Indeed there are some languages. (Comrie, 1985 : 50)

Remarquons au passage que cette non-grammaticalisation du temps est très répandue dans le sud-est asiatique — Li (1991 : 25), Svantesson (1994 : 266), Matisoff (1998 : 172), et particulièrement bien attestée dans les langues sino-tibétaines.

1.1.3.

Définissons le temps

1.1.3.1.

Le rapport entre temps et aspect

As the term ‘tense’ is traditionally employed, it covers, not only what is here classified as tense, but a range of other time-related distinctions which are nowadays subsumed, by linguists at least, under the term ‘aspect’. (Lyons, 1977 : 687)

La difficulté à séparer nettement les notions de temps et d’aspect voit sans doute son origine dans la morphologie des langues indo-européennes, et plus particulièrement des langues romanes (Comrie, 1976 : 94sq.). Ces langues, traditionnellement à la base des études linguistiques, présentent le plus souvent des marques temporelles non-distinctes des marques aspectuelles. Les formes verbales y amalgament temps, aspect, mode, personne, nombre, etc.

Les deux notions sont aussi conceptuellement reliées : elles ont toutes deux trait à la référence temporelle. Le temps (grammatical) situe l’événement sur l’axe temporel, le localise directement ou indirectement par rapport au moment de l’énonciation. Tandis que l’aspect s’intéresse aux phases de l’événement auxquelles se réfèrent l’assertion. Il illustre la perspective choisie par le locuteur21 pour qualifier la structure temporelle interne de l’événement.

Ce qui est exprimé par Comrie de la façon suivante :

Aspect is not concerned with relating the time of the situation to any other time-point, but rather with the internal temporal constituency of the one situation ; one could state the difference as one between situation-internal time (aspect) and situation-external time (tense). (Comrie, 1976 : 5)

Mais ce qui, pour de nombreux auteurs, permet de différencier les catégories de temps et d’aspect, c’est le caractère déictique de la première, opposée au caractère non-déictique de la seconde (Guentcheva, 1990 : 19). Le temps, catégorie déictique (Comrie 1976 : 5)22, relie les événements à un

21 Dubois & al (1994 : 53) en donne la définition suivante : « L’aspect est une catégorie grammaticale qui exprime la

représentation que se fait le sujet parlant du procès exprimé par le verbe (ou par le nom d’action) ».

22 Comrie (1976 : 5) : «  Tense is a deictic category, i.e. locates situations in time, usually with reference to the present

moment, thought also with reference to other situations. » Sur la nature déictique du temps, voir aussi Lyons (1977 : 682 sq.), Comrie (1985 : 14), Bhat (1999 : 14).

(15)

« ici-maintenant » de référence, au contraire de l’aspect (Comrie, 1976 : 5)23 qui lui ne s’intéresse pas à la localisation temporelle de l’événement mais à sa durée, son instantanéité, son commencement ou sa fin, i.e. aux différents moments constitutifs de l’événement. L’aspect, qui ne tient pas compte du positionnement du procès par rapport à un moment de référence, est une catégorie non-déictique.

A system which relates entities to a reference point is termed a deictic system, and we can therefore say that tense is deictic. (By contrast, aspect is non-deictic, since discussion of the internal temporal constituency of a situation is quite independant of its relation to any other time point.)  (Comrie, 1985 : 14)

Une remarque s’impose à propos de l’utilisation des qualificatifs de ‘déictique’ et ‘non-déictique’. Il existe une certaine confusion due à l’utilisation par certains linguistes de ces deux termes pour qualifier les temps eux-mêmes et non pour distinguer le temps de l’aspect ; les « temps déictiques » et « temps non-déictiques » deviennent alors des synonymes de « temps relatifs » et « temps absolus » (Bhat, 1999)24.

1.1.3.2.

La définition du temps que nous utiliserons

Aujourd’hui, si l’on se réfère aux définitions proposées par les différents linguistes travaillant sur le temps (ou le TAM) que nous avons pu consulter, il existe un certain consensus sur la catégorie (notionnelle) du temps. Inspirée des propositions de Comrie (1976 : 1-2), Cohen (1989 : 11), Dik (1994 : 32), Payne (1997 : 236), (Tournadre, 2004) et bien d’autres25, nous proposons donc d’utiliser

la définition suivante :

Le temps grammatical est l'expression grammaticale de la relation qui existe entre le moment d’un événement et un certain point de référence, souvent le moment de l'énonciation.

23 Comrie (1976 : 5) : «  Aspect is not concerned with relating the time of a situation to any other time-point. »

24 Certains auteurs comme Bhat (1999 :14) utilisent les termes de déictique et non-déictique à la place de relatif et d’absolu,

arguant que les deux temps en question sont tous deux « relatifs » à un moment dans le temps (i.e. moment de l’énonciation ou autre point de référence) et que seul le temps relatif au temps de l’énonciation est un point de référence déictique car en lien avec ici et maintenant. Voir aussi la note 11 (p. 6) sur la non-pertinence du terme « absolu » pour qualifier le temps d’après Comrie.

25 Voici les définitions proposées par Comrie (1976 : 1-2) : « Tense relates the time of a situation referred to some other

time, usually the moment of speaking. », Cohen : (1989: 11) « [Le temps c'est] la situation chronologique d'un événement par rapport à l'acte par lequel le locuteur énonce cet événement. Cet acte lui-même marque le moment présent, le point autour duquel s'organise la temporalité de l'énoncé », Dik (1994 : 32) « Tense distinctions serve to locate the SoAs [State of Affairs] as designated by the predication at some interval on the temporal axis, with respect ot some reference point TR, which may or may not coincide with the moment of speaking T0 » et Payne (1997 : 236) : « Tense is the grammatical expression of the relation of the time of an event to some reference point in time, usually the moment the clause is uttered ». (Tournadre, 2004) : « Dans la situation normale de communication à l’oral, le repère temporel par défaut correspond au moment de l’énonciation, que l’on désigne souvent conventionnellement par T°. Tout temps déictique <passé>, <présent> ou <futur> est donc calculé par rapport à ce repère énonciatif. » Voir aussi Bhat (1999 : 13), Bybee et al (1994 : 316) Chung & Timberlake (1985 : 203), Moeschler (1998 : 22).

(16)

La catégorie du temps ainsi définie peut prendre trois valeurs de base26 selon que l’événement temporalisé a lieu avant, en même temps ou après le moment de référence choisi sur l’axe temporel. Un énoncé sera au « passé », si l’événement décrit s’est déroulé avant le moment d’énonciation27 ;

l’énoncé sera au « présent » si l’événement décrit se déroule au moment où l’on parle ; l’énoncé sera au « futur » si l’événement décrit est envisagé, et n’a donc pas encore eu lieu au moment de l’énonciation.

Les trois temps de base passé-présent-futur peuvent par ailleurs être « fusionnés» ou « démultipliés », certaines langues ayant un système temporel binaire, tandis que d’autres utilisent la distance relative au point d’énonciation pour établir des degrés à l’intérieur même de ces valeurs de base. Ainsi, les locuteurs de finnois et de hua (langue de Nouvelle Guinée) utilisent un système de référence temporelle à deux valeurs respectivement passé /non-passé et futur /non-futur (Comrie, 1985 : 49)28 ; tandis que les locuteurs de Nkore-Kiga (Bhat, 1999 : 14) ou du Bemba (Givón, 1984 : 301), des langues bantoues respectivement parlées en Ouganda et en Zambie, distinguent par un marquage particulier un événement passé qui s’est déroulé le jour même, d’un événement passé qui s’est produit la veille, d’un événement qui a eu lieu il y a plus longtemps29.

1.2.

La catégorie notionnelle de l’aspect

Le cœur de notre sujet étant la modalité, nous ne traiterons que brièvement de l’aspect et renvoyons le lecteur aux ouvrages de synthèse et articles détaillés proposés par Verkuyl (1972), Comrie (1976), Tedeshi & Zaenen eds. (1981), Mourelatos (1981), Hopper ed. (1982), Chung & Timberlake (1985), Dalh (1985), Cohen (1989), Binnick (1991), Bybee, Perkins & Pagliuca (1994), Koslowska (1998), Lee (2003) et pour une approche dans le cadre de la grammaire générative aux travaux de Zagonna (1990), Stowell (1993) ou plus récemment Gueron, Demirdache et Uribe-Etxebarria dans Laca (2002).

Cependant, et comme nous l’avons déjà dit en introduction à ce chapitre théorique, l’aspect est un corrélat de la modalité de grande importance pour notre étude. En effet, le nombre de marqueurs aspectuels en birman équivaut presque à celui des marqueurs de modalité (Vittrant, 2001). D’autre part, certains morphèmes de cette langue semblent véhiculer des valeurs aspectuelles en même temps que modales, comme par exemple les morphèmes /`¢wa/ et /la/, verbes « aller » et « venir » grammaticalisés. Dans l’énoncé (1.1), le morphème /`¢wa/ a son sens lexical. Dans l’énoncé (1.2) en revanche, il véhicule une valeur aspectuelle d’état résultant. En (1.3), les phrases (a) et (b) ne se

26 Ces trois temps de base sont les plus couramment représentés dans les langues (Comrie, 1976 : 2).

27 Cette description s’applique à des situations simples dont le repère temporel est ‘ici-maintenant’. Les situations présentant

un repère temporel autre que le moment de l’énonciation sont plus complexes. Ainsi le passé antérieur du français marque d’une part que le procès a eu lieu avant le moment de l’énonciation (passé), d’autre part qu’il est situé sur l’axe temporel avant un point de référence autre que le moment de l’énonciation (antérieur).

28 Frawley (1992 : 360-361) insiste sur le fait que le système temporel binaire est plus fréquent que le système à trois termes. 29 Voir aussi le chapitre 4 « Degrees of remoteness » de Comrie (1985).

(17)

distinguent que par la présence des verbes « aller » ou « venir » dans le syntagme verbal ; ceux-ci véhiculent respectivement une valeur péjorative et une valeur laudative, que nous reconnaîtrons comme modales, en plus de leur valeur aspectuelle (cf. § 4.5.2.2a sur ces deux morphèmes, p. 404).

(1.1) Verbe plein

éJ: mH, srk=sI: sW,:ér,x=:tÚ <

[C]

`ze-Ma

¢æyêq.`¢i `¢wa `y©N

marché - LOC. mangue aller vendre PVF:R.ass

(Il) est allé vendre des mangues au marché.

(1.2) Verbe grammaticalisé : valeur aspectuelle d’état résultant

nI sW,: liu^ k,: rp=tÚ <

[C]

ni

`¢wa

lo£

`ka

yaq

ê.rouge AUX:(parf.) SUB:cause voiture arrêter PVF:R.ass

Comme /parce que c’est devenu rouge, la voiture s’est arrêtée. (1.3) a. Verbe grammaticalisé : aspect résultant + valeur modale péjorative/laudative

lU kRI: P®c= sW,: liu^ sU amUar, ép®,x=: sW,: p®I <

[C/UPT]

lu`Ci

phyiq `¢wa

lo£

grand homme devenir AUX:parf. SUB:cause

¢u

qæ-mu-qæ-ya

`py©N

`¢wa

Pi

3SG comportement changer AUX: “aller”(détrim.) PVF:miratif

Comme il est devenu quelqu'un d'important, il a changé de comportement. (avec le verbe « aller » opinion négative du locuteur)

b.

lU kRI: P®c= sW,: liu^ sU amUar, ép®,x=: l, p®I <

lu`Ci

phyiq `¢wa

lo£

grand homme devenir AUX:parf. SUB:cause

¢u

qæ-mu-qæ-ya

`py©N la

Pi

3SG comportement changer AUX:“venir”(laud) PVF:miratif

Comme il est devenu quelqu'un d'important, il a changé de comportement. [avec le verbe « venir » opinion positive du locuteur]

Dans une première partie (§ 1.2.1) nous rappellerons les deux types d’aspect (et leurs caractéristiques) distingués par la majorité des linguistes, à savoir l’aspect lexical (§ 1.2.1.2) et l’aspect grammatical (§ 1.2.1.3), et ce, en dépit d’une absence de consensus sur la définition même de la notion d’aspect (§ 1.2.1.1).

Puis, nous présenterons les travaux dont nous nous sommes inspirée pour notre travail ; nous examinerons ainsi les notions fondamentales développées par Cohen (1989) à savoir la délimitation et

(18)

la concomitance (§ 1.2.2), avant de nous intéresser à la place de l’aspect dans la théorie fonctionnaliste de Dik (1989-réed. 199730, 1994) (§ 1.2.3).

1.2.1.

L’aspect : consensus et divergences

1.2.1.1.

L’ aspect dans les théories linguistiques

Les études grammaticales sur les langues slaves étant à l’origine de la notion d’aspect, le système aspectuel de ces langues a fortement influencé la manière d’aborder la description de cette catégorie dans des langues non-apparentées. Il a même dans les premiers temps servi de modèle... un modèle difficilement généralisable comme le note Cohen (1989).

Le système slave présente cette originalité d’opposer, pour l’expression de l’aspect, des verbes complets différents et non pas des conjugaisons complémentaires dans un même verbe. Cette originalité a constitué dans l’histoire de la linguistique une condition favorable pour l’identification de la catégorie de l’aspect. Mais elle s’est révélée négative pour l’analyse du trait aspectif lui-même. [...] elle lui interdit de se poser en modèle pour l’analyse de faits dans les autres langues. (Cohen, 1989 : 30)

La prise de conscience de l’inadéquation du modèle slave a amené les linguistes à rechercher de nouveaux fondements à la catégorie de l’aspect. Ils se sont attachés à déterminer les caractéristiques universelles associées à cette notion... sans pour autant arriver à un consensus. Car malgré les nombreux travaux sur l’aspect, il n’existe pas aujourd’hui de définition sémantique de l’aspect admise par tous, comme le souligne Dik (1994 : 32)31, mais aussi Guentcheva (1990)32 et Cohen (1989). Les caractéristiques de l’aspect, ce qui relève vraiment du domaine aspectuel, varie selon les auteurs. Ainsi, pour ne citer que quelques travaux en français, Cohen (1989) donne la limitation, l’aboutissement et la concomitance avec l’acte d’énonciation (1989 : 93) comme paramètres essentiels à la notion d’aspect. Confais (1990 : 148-152) met l’accent sur la dimension subjective de l’aspect qui renseigne « sur un stade ou une perspective de déroulement du procès ». Kozlowska (1998), après avoir énuméré les différentes notions se rapportant au domaine aspectuel, à savoir l’aspect, les « classes aspectuelles », et l’Aktionsart, réduit l’aspect proprement dit aux « différentes manières de concevoir la structure temporelle interne d’un événement » (1998 : 101). Pour finir, les différents auteurs de l’ouvrage dirigé par Laca (2002 : 10) définissent, quant à eux,

30 Dorénavant nous ne ferons plus référence à l’édition de 1989 pour cet ouvrage de Dik « The Theory of Functional

Grammar ; the structure of the clause », mais à la dernière édition, celle de 1997.

31 Dik (1994 : 32-33) note que le terme aspect est utilisé pour au moins quatre types de distinctions morphosyntaxiques : (1)

des différences sémantiques lexicalisées (cf. Aktionsart ou State of Affairs selon sa terminologie), (2) l’opposition entre

perfectif / imperfectif héritée de la tradition slave, (3) les différentes phases d’un événement (phasal aspect), (4) la

‘quantification’ du procès (quantitative aspect), i.e. répétition, fréquence du procès.

32 Ainsi, Guentcheva classe les théories sur l’aspect en deux grandes catégories selon qu’elles conçoivent « le temps et

l’aspect comme deux catégories indépendantes » (avec la catégorie aspect définie comme inhérente au procès) ou « le temps et l’aspect comme deux faces d’une même catégorie » (Guentcheva, 1990 : 17).

(19)

l’aspect « grammatical » soit par rapport à la localisation temporelle, soit par rapport à l’aspect lexical (Aktionsart), choisissant d’accentuer les points communs qui existent entre deux de ces trois éléments (i.e. aspect « grammatical », localisation temporelle, aspect lexical).

Cependant et malgré une terminologie divergente, les linguistes semblent s’accorder sur un point, à savoir la nécessité de distinguer (au moins) deux niveaux d’analyse aspectuelle, deux types d’aspect : l’aspect « grammatical » (ou grammaticalisation de l’aspect) et l’aspect « lexical » (ou lexicalisation de différences sémantiques liées à l’appréhension du procès)33. En effet, pour la majorité des auteurs, l’aspect grammatical et l’aspect lexical se manifestent sur deux plans différents, le premier étant exprimé plutôt au niveau de la morphosyntaxe, le second étant véhiculé par la constellation formée par un verbe et ses arguments (Cohen, 1989 : 33)34, (Smith, 1991)35, (Laca, 2002). Reste que là encore, la frontière est difficile à tracer...

There are some difficulties, however, in maintaining this aktionsart-aspect distinction consistently in a cross-linguistic study of languages. One interesting question that has been raised in this connection concerns the correlatability between lexical and grammatical representations on the one hand, and situations and viewpoint on the other. Certain aspectual (viewpoint) distinctions may occur as lexical or derivational distinctions in some languages and as inflectional distinctions in others. Further, the distinction between derivation and inflection may also not be sharp and clear-cut in some languages. In spite of these problems, however, the distinction can be used as a helpful device for a better understanding of the category of aspect. (Bhat, 1999 : 45)

1.2.1.2.

L’aspect lexical

1.2.1.2.(a) Des classes aristotéliciennes à la classification de Vendler

On fait remonter les premières tentatives de classification verbale aux philosophes grecs et plus particulièrement à Aristote. Il est le premier dans la tradition occidentale36 à avoir explicitement

33 Laca (2002 : 9) note que : « cette distinction apparaît sous des terminologies légèrement différentes : point de vue

aspectuel vs. types de situation, [...] aspect vs. Aktionsart, [...], aspect grammatical vs. aspect prédicatif » ou tout simplement aspect « lexical » vs. aspect « grammatical » comme chez Cinque (1999). Nous pouvons encore ajouter à cette liste, les termes d’aspect vs. « modes d’actions » (traduction de Aktionsart) chez Cohen (1989 : 31, 40, 43), d’aspect vs. actionality chez Bertinetto (1994) ou d’aspect (de phase et/ou quantitatif) vs. State of Affairs (SoAs) chez Dik (1994).

34 Cohen, (1989 : 33) : « Ainsi modes d’action [aspect lexical] et aspects se manifestent sur deux plans différents, l’un qui lie

de façon plus ou moins lâche des unités lexicales distinctes, l’autre où se manifeste paradigmatiquement le fonctionnement essentiel qui fait du lexème un verbe. »

35 Smith (1991 : 8) : « The components differ in their linguistic expression : viewpoint aspect is signaled by a grammatical

morpheme while situation aspect is expressed by a constellation of lexical morphemes. »

36 Bien qu’Aristote soit reconnu comme le premier à avoir parlé de classes « aspectuelles » verbales, il est important de

souligner que des notions similaires semblent avoir émergé à la même époque en Inde. La distinction entre état (bhava) et action (kriya) se retrouve dans des grammaires sanskrites du 5e siècle av. J.C. (Binnick, 1991 : 171-172).

(20)

distingué deux types de procès37 correspondant grosso modo aux états (et activités) d’une part et aux actions de l’autre. Cette distinction, après avoir été oubliée pendant longtemps, a fait l’objet de redécouvertes par des philosophes dont le plus connu est Vendler (1967). S’inspirant des travaux d’Aristote, ces derniers ont proposé de nouvelles classifications verbales, estimant d’une part que la distinction entre « état » vs. « procès » ne permettait pas d’expliquer les agrammaticalités de certains énoncés verbaux, conscients d’autre part que les différences d’acceptation et incompatibilités observées ne pouvaient pas toujours s’expliquer « in terms of time alone » (Vendler, 1967 : 97).

It is not too much to say that our categories, besides confirming established differences beetween processes and non-processes, may help us in clarifying the often overlooked and embarrassing differences within the class of nonprocesses. (Vendler, 1967 : 120)

Ainsi les deux classes de verbes « aristotéliciennes » — distinguant états et activités (non-procès) des actions ((non-procès) — ont donné naissance aux quatre classes « vendleriennes »38 que nous illustrons par le tableau (1) ci-dessous.

Tableau (1)  : Classes “Vendleriennes” Etat (States) Aboutissement (Achievement) Activités (Activities) Accomplissement (Accomplishment)

savoir perdre nager dessiner un cercle

posséder atteindre le sommet pousser un caddie construire qlq ch. désirer gagner la course courir courir le marathon aimer reconnaître peindre peindre un tableau

Bien que fortement critiquée, la classification du lexique verbal en quatre types de Vendler est une référence incontournable quand on s’intéresse à l’aspect, et ce pour deux raisons. La première est que cette étude est à l’origine de nombreux travaux et développements  la seconde raison est que l’on y trouve en germe (ou explicités) des concepts importants pour l’étude de l’aspect comme la télicité (borne intrinsèque ou non), l’homogénéité (« any part of the process is of the same nature as the

whole » Vendler, 1967 : 101), la notion d’intervalle (i.e. validité dans les sous-intervalles).

1.2.1.2.(b) Prolongements à la classification de Vendler

Le travail de Dowty (1979) s’inscrit dans le prolongement direct de celui de Vendler, bien que rattaché à un autre domaine des sciences humaines39 — celui de la sémantique formelle40. Il formalise

37 Gosselin & François (in Fuchs, 1991 : 64, 72sq.) et Binnick (1991 : 143sq., 170sq.) consacrent plusieurs pages à l’apport

d’Aristote dans la classification des procès, citant des passages traduits de « Metaphysics » dans lesquels Aristote distingue deux types de procès enérgeiai et de kínes.

38 Bien qu’illustrant son propos avec des syntagmes verbaux (verbe + objet), Vendler parle de type de verbes : « Thus we

arrived at the time schemata of two important species of verb. Let us call the first type, that of running, pushing a cart, and so forth, ‘activity terms ‘, and the second type, that of running a mile, drawing a circle, and so forth, ‘accomplishment terms’ » (Vendler, 1967 : 102).

(21)

de façon plus rigoureuse que son prédécesseur un certain nombre de tests sémantiques et syntaxiques (progressif, expressions adverbiales temporelles, agent volontaire...).

Il met aussi en lumière plusieurs problèmes soulevés par cette classification verbale comme celui concernant la nature de l’objet (indéfini, massique) associé au verbe :

Accomplishment verbs which take direct objects unexpectedly behave like activities if an indefinite plural direct object or a mass-noun direct object is substituted for the definite (or indefinite singular) one. (Dowty, 1979 : 62)

Rappelons qu’un des tests utilisés par Dowty pour distinguer les verbes  d’accomplissement des verbes d’activité est celui de leur compatibilité avec les expressions adverbiales temporelles ‘en une heure’ ou ‘pendant une heure’ (Dowty, 1979 : 56, 60). Les propositions où apparaissent des verbes d’activité sont compatibles avec la deuxième expression (‘pendant une heure’). Mais elles ne le sont pas avec l’expression ‘en une heure’ au contraire des propositions contenant des verbes d’accomplissement. En (1.4), le verbe « manger » ou plus exactement le syntagme verbal dans lequel apparaît « manger », est compatible avec ‘en une heure’ ; le verbe sera classé comme verbe d’accomplissement. Mais dans l’énoncé (1.5), le verbe « manger » se comporte comme un verbe d’activité, i.e. le syntagme verbal est compatible avec ‘pendant une heure’ (b) et non avec ‘en une heure’ (a).

(1.4) John ate the bag of popcorn in an hour [Accomplishment] John a mangé le sac de popcorn en une heure.

(1.5) a. *John ate popcorn in an hour [*Accomplishment] *John a mangé du popcorn en une heure.

b. John ate popcorn for an hour [Activité] John a mangé du popcorn pendant une heure.

La même difficulté à classer les verbes sans leur complément se retrouve aussi avec les verbes d’« aboutissement» (achievement). Des verbes comme « découvrir » (to discover) ou « rencontrer » (to meet) peuvent, selon la nature de leurs compléments, être compatibles avec des expressions temporelles comme « tout l’été, pendant six semaines » contrairement à ce que leur statut de « verbe d’aboutissement » laisserait supposer41.

39 Vendler était un philosophe plutôt qu’un linguiste (Binnick 1991 : 172), ses deux essais paraissant d’ailleurs dans un

recueil intitulé « Linguistics in Philosophy ».

40 Ajoutons qu’à la suite des travaux de Vendler (1967) sur la classification des verbes selon leur structure temporelle, des

traitements de l’aspect en sémantique formelle ont été proposés par Dowty (1979), Smith (1991), Krifka (1992) et Vet (2002).

41 Un des tests préconisés par Dowty pour distinguer les verbes d’aboutissement (Achievement) est leur étrangeté (voire leur

(22)

Ajoutons encore que les remarques de Dowty sur les propriétés aspectuelles changeantes de certains verbes posent indirectement la question de l’élargissement des « classes verbales / aspectuelles » au domaine de la phrase, ou, dit autrement, la question d’une classification de la « constellation verbale » plutôt que des verbes isolément. Ceci a été mis en avant pour la première fois42 (à propos de l’anglais et du hollandais) par Verkuyl (1972) ; sa thèse principale était que les notions d’aspect « duratif » (durative) et « perfectif » (perfective) ne se trouvaient dans aucun des constituants de la structure de surface des phrases étudiées, mais émergaient de l’association des différents constituants43. Cette idée de compositionnalité ou « constellation verbale » se retrouve dans la majorité des travaux postérieurs aux années quatre-vingt — cf. Mourelatos (1981), Fuchs (1991 :

15-16), Smith (1991 : 10, 2744), Dik (1989, 1994, 1997), Laca (2002), etc...

A la suite des propositions de Vendler et Dowty, d’autres classifications sémantiques des constellations verbales ont été proposées45, comme la classification en trois niveaux de Mourelatos

(1981)46, mais aussi la division en cinq classes de Smith (1991) ou en six classes de Dik (1989, 1994, 1997) (cf. § ci-dessous).

Pour terminer cette brève présentation des travaux s’inscrivant dans le prolongement des classes vendleriennes, nous proposons un tableau récapitulatif, avec une correspondance terme à terme, des différentes classifications aspectuelles et verbales que nous avons évoquées. Ce tableau ne reprend pas la classification de Dik (1997) qui fait l’objet d’un tableau à part que nous présentons ci-après.

42 L’article de Verkuyl est le premier consacré à ce problème. Cependant, Gosselin & François (1991 : 36) notent que Evans

(1967) déjà base une partie de sa critique de la classification de Kenny sur le changement de classe impliquée par la nature de l’objet.

43 Verkuyl (1972) cité par Dowty (1979 : 64) : « The durative and non-durative aspects in these sentences appear to be

composed of a verbal sub-category on the one hand and a configuration of categories of nominal nature on the other. »

44 Smith (1991 : 27) :  « The situation types are realized by constellations of lexical morphemes consisting of a verb and its

arguments, including the subject. »

45 Signalons aussi que Gosselin & François (1991 : 37-41) propose une compilation des typologies aspectuelles faisant suite

aux travaux de Vendler. Une partie de leur article est consacrée à la présentation des travaux traitant des types de procès de ces trente dernières années. Cette partie est elle-même divisée en deux sous-parties ; la première concerne les travaux issus de la tripartition de Kenny (classement aspectuel) ; la seconde présente les typologies qui prennent en compte à la fois le déroulement du procès, i.e. les catégories aspectuelles et le mode participation des actants, i.e. l’agentivité et la causativité (classement aspectuel-actanciel).

46 Pour une présentation générale et très complète de ces classifications à niveaux dans la lignée de celle de Mourelatos, on

(23)

Tableau (2)  : Terminologie pour les classes verbales ou classes aspectuelles

Auteur Classes verbales

Aristote energiai kineseis47

Vendler Etat (States) Activités (Activities) Accomplissements (Accomplishments) Aboutissements (Achievements) Dowty Stative Activities Accomplishments / Achievements48

Mourelatos States occurrences (actions) processes (events)

developments

(events)

punctual occurrences

Smith States Activities Accomplishments Achievements Semelfactives49

D’après Dowty (1979), Mourelatos (1981), Smith (1991)

1.2.1.2.(c) La classification des constellations verbales selon Dik (1997)

Le classement sémantique proposé par Dik (1997) utilise les mêmes trois critères de base que celui de Smith : le caractère statique ou dynamique [± dynamic] du procès, la télicité [± telic] et le caractère durable ou momentané [± momentaneous] du procès. Le premier critère permet de faire la distinction (majeure) entre états et événements (cf. Smith, 1991 : 28). Le second, la télicité, permet de différencier les événements qui ont un but intrinsèque de ceux qui n’en ont pas. Ainsi une situation est télique lorsqu’elle a un « point final naturel » (natural final point) tel que s’il n’est pas atteint on ne peut pas dire que la situation a eu lieu, et que lorsqu’il est atteint, la situation ne peut durer au delà. Quant au caractère momentané du procès, troisième critère que les approches de ces deux auteurs ont en commun, il est lié à la présence ou l’absence d’étapes internes50.

Dik ajoute à ces trois critères le critère d’agentivité [± control] et celui d’expérience [±

experience]. Il obtient par combinaison de ces différents paramètres un classement en six « SoAs »

(States of Affairs) de base que nous reproduisons dans le tableau (3), lesquels peuvent encore être spécifiés ou subdivisés51.

47 Energeia et kinesis sont traduits dans Binnick (1991 : 143) par « actualitie, action » ou « operation, energy » d’une part et

« mouvement, motion » de l’autre. Gosselin & François (1991 : 71) donnent comme équivalents respectifs de ces deux termes « un type d’action qui a sa fin en elle-même » et « un type d’action orientée vers un état résultant ou vers la production d’un objet ».

48 Dowty (1979 : 180-186) remet en cause les critères utilisés par Vendler pour distinguer Accomplishment vs. Achievement

et regroupe les deux types de verbes (ou prédications verbales) en une catégorie « definite change of state » qu’il ré-organise en 4 sous-catégories.

49 Les procès sémelfactifs sont dynamiques, momentanés (ou non-duratifs) et atéliques. « Tousser » ou « éternuer » en

français sont des procès sémelfactifs. Il y a une seule occurence de l’action (cf. Smith, 1991 : 29).

50 Ce critère appelé duration chez Smith, est défini de la façon suivante (1991 : 31) : « The third feature, Duration, is

indicated by the presence or absence of internal stages in the temporal schema. »

51 Dik (1994 : 29) : « SoA with the value [±tel] (i.e., accomplishments and changes) can be further subdivided into [±mom],

(24)

Tableau (3) : Les States of Affairs (SoAs) d’après Dik (1994)

SoAs Dynamic Control Telic moment. exp.

Position - + ± Situation State - - ± Accomplishment + + + ± ± (ACTION) Activity + + - ± Change + - + ± ± Event (PROCESS) Dynamism + - - ±

Pour notre étude du syntagme verbal birman, nous nous proposons d’utiliser la classification sémantique des constellations verbales proposée par Dik. Celle-ci permet en effet de partir de l’opposition fondamentale des SoAs, « situation » et « événement » (event), laquelle peut être raffinée en cours de travail si cela s’avère nécessaire, et aboutir à une classification ternaire (Situation, Action,

Process), à une classification quadruple (Position, State, Action, Process) voire à la classification en

six types de SoAs52. Cette hypothèse d’une division en deux classes de base nous semble être une

approche judicieuse dans le cas du birman ; car l’étude des combinaisons possibles de divers morphèmes verbaux et certaines classes de verbes (Vittrant, 1998) montre que la distinction entre « situation » et « événement » est pertinente dans cette langue. Par contre, l’existence d’autres types de classes verbales ou SoAs — que l’on se réfère à la classification de Vendler, de Smith ou de Dik — est encore à démontrer.

1.2.1.2.(d) La notion d’Aktionsart

Nous ne pouvons terminer cette présentation de l’aspect lexical sans évoquer l’Aktionsart. Ce terme que l’on traduit communément par « mode d’actions » a été introduit dans la littérature linguistique par des grammairiens allemands du XIXe siècle, pour distinguer un aspect « objectif » d’un aspect « subjectif » (à savoir l’aspect proprement dit). Mais ces notions d’objectivité et de subjectivité, ambiguës et peu opératoires, ont engendré des interprétations différentes du terme, celui-ci ayant été compris par certains linguistes du XXe siècle comme référant à un aspect distinct, défini en termes morphosyntaxiques (marquages morphologiques spécifiques), tandis que d’autres en ont déduit qu’Aktionsart recouvrait des notions sémantiques (i.e. intensité, degré, phase...) autres que celles traditionnellement attribuées à l’aspect à savoir la « perfectivité » (Binnick, 1991 : 144-145).

52 Dans la mesure où nous ne posons comme point de départ pour l’analyse des constellations verbales du birman que la

dichotomie de base situation/événement, nous aurions pu choisir de suivre la classification de Smith (1991), voire celle de Mourelatos (1981). Cependant, le modèle fonctionnel de Dik nous servant pour l’analyse de la modalité, il nous semblait plus judicieux et plus cohérent de nous référer à un seul auteur autant que faire se peut, plutôt que de multiplier les références.

(25)

Certains auteurs encore considèrent le terme d’Aktionsart comme synonyme de ce que l’on a défini comme aspect lexical. Ainsi Bhat (1999)53 et Laca (2002 : 9) donnent « types de situations »,

Aktionsart et « aspect prédicatif » comme des termes équivalents référant à l’aspect lexical. Mais pour

d’autres, comme Binnick (1991 : 171), les catégories aristotéliciennes (ou « types de situation ») sont à différencier de l’Aktionsart.

Aujourd’hui, un grand nombre d’auteurs distingue l’Aktionsart de l’aspect proprement dit, c’est-à-dire de la grammaticalisation de certaines distinctions sémantiques. Mais deux conceptions du terme s’opposent (Comrie, 1976 : 6). La première définit l’Aktionsart comme la lexicalisation de distinctions sémantiques aspectuelles par ailleurs grammaticalisées, et ceci indépendamment de la forme qu’elles peuvent prendre. La seconde comprend l’Aktionsart comme la lexicalisation de ces distinctions via la morphologie dérivationnelle — conception très répandue chez les « slavisants ».

Ainsi, la majorité des travaux que nous avons consultés, définissent l’Aktionsart en termes « de différentiations de nature lexicale entre certains verbes » (Cohen, 1989 : 39), ou de « types of

derived verbs » (Binnick, 1991 : 145).

1.2.1.3.

L’aspect grammatical

1.2.1.3.(a) L’opposition de base

L’aspect grammatical est souvent conçu comme une présentation particulière d’un événement ou d’une situation54, comme la grammaticalisation de certaines oppositions sémantiques, qui par ailleurs peuvent s’exprimer lexicalement.

Depuis Comrie (1976), on retient généralement une opposition de base « perfectif/imperfectif »55 — cf aussi (Smith, 1991)56, (Bybee et al, 1994 : 125-126), (Dik, 1994,

1997), etc... :

Perfectivity indicates the view of a situation as a single whole, without distinction of the various separate phases that make up the situation ; while the imperfective pays essential attention to the internal structure of the situation. (Comrie, 1976 : 16)

53 Bhat (1999 : 58) : « We may regard these inherent distinctions [ending, change of states, duration] in the temporal

structure of situations as belonging to a category called ‘aktionsart’, ‘situational aspect’, ‘actionality’ or merely ‘action’. »

54 Cinque (1999 : 83) : « The other [type of aspect] refers to the particular way in which the speaker presents the event, or

situation, through grammatical means — for example as terminated (through the perfect aspect [...] ), as on-going (through the progressive aspect)... »

55 Le terme même d’aspect est une traduction conventionnelle du terme russe ‘vid’ (« vue ») qui renvoie à l’opposition

morphologique entre perfectif et imperfectif dans cette langue et dans d’autres langues slaves (Binnick, 1991 : 136), (Cohen, 1989 : 17, 33).

56 Smith (1991 : 103, 111) : « Sentences with a perfective viewpoint present a situation as a single whole. The span of the

perfective includes the initial and the final endpoints of the situation : it is closed informationally. [...] As such it does not apply to stative situations, because endpoints do not appear in their temporal schema. », « Imperfective viewpoint present part of a situation, with no information about its endpoints. [...] The unmarked perfective spans an interval that is internal to the situation. »

Références

Documents relatifs

La crise a rendu nécessaire une gestion mieux coordonnée au niveau européen : c’est vrai en ce qui concerne les dettes publiques, mais aussi dans les négociations avec les

Reprendre l’exemple précédent avec une somme initiale donnée par la grand-mère que vous choisirez vous même entre 51 et 99 e (mais qui ne doit pas être un multiple de 10) et

On peut considérer une population de sangliers sur la commune de Munex, qui était de 1000 têtes en 2000, puis chaque année du fait des phénomène de reproduction, cette

pour alpha = 0,5, DeltaI = 5.14 A (valeur maximale); il s'agit d'une ondulation très importante par rapport à In; il faudrait ensivager un Th

Je suis un entier égal au produit de six nombres premiers distincts. La somme de mon inverse et des inverses de mes six facteurs premiers est égale

Nous avons vécu longtemps dans l'idée que le cerveau était un organe stable dans sa structure et dont l'évolution morphologique, chez l'adulte, ne pouvait

Il ne reste qu'à fournir des chiffres, quelques joumaux et documents. On peut objecter que la correspondance développe le langage écrit. Mais d'une part, la langue

Première S2 Chapitre 18 : feuilles annexes... Première S2 Chapitre 18 :