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VI. DISCUSSION GENERALE

VI.2. b. Pharmacoépidémiologie

Définition

Le médicament naît du domaine de la recherche scientifique. Les molécules pouvant être actives dans une pathologie sont testées en préclinique, c'est à dire avant usage chez les hommes. Puis après, l’évaluation clinique, l'évaluation de l’usage chez l'homme se déroule en plusieurs phases. La phase 1 se fait chez des volontaires sains. La phase 2 est la phase de première administration chez

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les malades avec preuve de concept et choix de la dose. La phase 3 correspond aux essais cliniques dont l'objectif est défini, sur une durée plus longue que la phase précédente, parmi des malades. Suite à la procédure d'Autorisation de Mise sur le Marché (AMM), le médicament quitte le domaine expérimental pour être utilisé en conditions réelles. Les médicaments obtiennent une AMM pour une ou des indications et les recommandations de bonne pratique notamment pour les stratégies médicamenteuses. Lorsqu’ils sont soumis à prescription, ils le sont par des médecins, des sages-femmes ou des dentistes, délivrés par des pharmaciens puis pris par des patients. Au final les médicaments sont utilisés à l'échelle d'une population. A l'échelle de la population, le suivi des médicaments a été pendant longtemps axé sur la pharmacovigilance, c'est-à-dire la surveillance de survenue d'effets indésirables médicamenteux. Puis s'est développée la pharmacoépidémiologie pour répondre aux questions plus larges de suivi des médicaments post-AMM. Après la commercialisation du médicament, les études post-AMM visent à compléter l’évaluation du médicament (définir, caractériser ou quantifier les risques) et aussi et d'évaluer son efficacité, décrire son usage (prescription et/ou usage). Dans ces études, le médicament est prescrit en vie réelle donc dans les indications de l'AMM ou en dehors. (Tubach et al,2011).

Figure VI.1 : La vie du médicament

La pharmacoépidémiologie se définit comme « l'étude en conditions réelles et sur de grandes populations, de l'usage, de l'efficacité et du risque des médicaments » (StormStrom et al., 2012).

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Elle ouvre des perspectives de recherche avec l'objectifde « bon usage » du médicament.

La pharmacoépidémiologie peut se définir aussi comme l'épidémiologie, « étude de la fréquence des pathologies et, plus généralement, de la distribution des états de santé dans les populations humaines et de leurs déterminants » (Collectif et al., 2009)) appliquée au médicament. Elle demande donc de mettre en œuvre les méthodes et le raisonnement utilisés en épidémiologie.

La pharmacoépidémiologie se base sur différents types d'études.

- Les « case reports » sont des cas rapportés de patients. Le plus souvent, le nombre de cas, ou de patients est limité mails ils peuvent être générateur d'hypothèses ou d'alertes. Ils ne permettent pas de tester des hypothèses.

- L'épidémiologie descriptive cherche à étudier la fréquence et la répartition de paramètres de santé ou de facteurs de risque dans les populations. En pharmacoépidémiologie, il s'agit d'observer une pratique sans intervenir sur le cours naturel des choses. Les travaux d'épidémiologie descriptive peuvent servir à étudier la prescription des médicaments, leur délivrance par les pharmaciens et leur usage. Leur objectif n'est pas de tester des hypothèses, par exemple la survenue d'un événement clinique sous un traitement particulier mais elles peuvent permettre d’en générer.

- Les études pragmatiques cherchent à évaluer l’intérêt d'un traitement nouveau par rapport à un traitement existant (Eschwège and Bouvenot, 1994). Contrairement aux essais cliniques, les patients inclus sont tout venant, le traitement évalué est comparé au traitement usuel. Les médecins qui incluent les patients ne sont pas des investigateurs mais les prescripteurs habituels. Dans les essais pragmatiques, il n'y a pas d'aveugle et les patients ne sont pas randomisés. L'observance, la comédication et l'automédication ne sont pas contrôlées. Les critères d’évaluation sont souvent multiples. L'intérêt est d'avoir une connaissance pratique et d’évaluer une stratégie thérapeutique.

- Les études de cohortes où un groupe de sujets de grand effectif est suivi dans le temps. Les cohortes permettent d'étudier plusieurs critères de jugement, de mesurer des expositions ou des événements inhabituels ou peu fréquents. Dans ces études, le biais de sélection cherche à être limité. Même si les populations des cohortes ne sont pas représentatives de la population générale cible, elles tendent à s'en rapprocher et le sont plus que dans les essais cliniques. Les inconvénients des études de cohorte concernent le recueil des événements qui peut être biaisé par des données manquantes, la mémorisation des événements, les sujets peuvent être perdus de vue, certains événements peuvent ne pas être renseignés ; elles ont un coût important et prennent du temps lors du recueil prospectif.

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- Les études cas-témoins cherchent à étudier le lien entre la survenue d'une maladie et l'exposition à un facteur de risque. En phamacoépidémiologie, le facteur de risque est le médicament, les cas sont les patients prenant le médicament, les témoins étant ceux qui ne le prennent pas.

Les cas-témoins nichés dans des cohortes correspondent à une fusion des deux types d'études.

- Les méta-analyses permettent de colliger les résultats de plusieurs études et d’en faire la synthèse. Le nombre de sujets est plus important et la puissance plus grande. Elles nécessitent une méthodologie rigoureuse notamment dans la sélection des études. Une de leur limite est la comparabilité des études ; une autre est le biais de s élection (biais de publication) qui est en général impossible à contrôler (les études « négatives » étant moins souvent accessibles que les études « positives »).

Illustration dans le diabète de type 2

Nous chercherons à illustrer cette partie par l'exemple des glitazones dans le traitement du diabète et de leur arrêt de commercialisation en 2011.

Avant cette date, les thiazolidinediones commercialisées étaient la rosiglitazone et la pioglitzone. La rosiglitazone était commercialisée sous les noms Avandia* et Avandamet* (rosiglitazone associée à la metformine). L'Avandia a obtenu l'AMM en juillet 2000 et l'Avandamet* en octobre 2003.

Dès leur mise sur le marché, ces spécialités ne devaient pas être prescrites chez les patients insuffisants cardiaques.

En juin 2010, deux études ont mis en évidence une augmentation du risque d'infarctus du myocarde chez les malades traités par rosiglitazone (Graham et al., 2010 ; Nissen et al., 2010).

La première est une étude de cohorte rétrospective (Graham et al., 2010). Elle a porté sur 227 571 sujets de plus de 65 ans bénéficiant du Medicare aux États-Unis. Les patients avaient 74,4 ans de moyenne d’âge. Un traitement par rosiglitazone ou pioglitazone avait été initié entre juillet 2006 et juin 2009. Les patients ont été suivis durant les 3 ans suivant l'introduction des thiazolidinediones. L'étude suggère que la rosiglitazone est associée à une augmentation du risque d'événements cardiovasculaires (infarctus du myocarde, AVC, insuffisance cardiaque ou décès) avec un risque attribuable de 1,68 [1,27 – 2,08] d'excès de fréquence pour 100 années-personnes de traitement avec la rosiglitazone comparativement à la pioglitazone.

La seconde était une méta-analyse portant sur les résultats de 56 essais cliniques avec au total, 19056 patients traités par rosiglitazone et 16022 sous traitement contrôle (Nissen et al., 2010). Les

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résultats de cette méta-analyse ont mis en évidence une augmentation de risque d'IDM (OR, 1,28; IC 95%, 1,01-1,62; p = 0,04) chez les patients traités par rosiglitazone.

Avandia* et Avandamet* ont été retirés du marché en France le 09 juillet 2010.

La pioglitzone était commercialisée sous les noms Actos* et Competact*(pioglitazone associée à la Metformine).

L'Actos* (pioglitazone) a été commercialisé en 2002 et Competact* en 2006.

Plusieurs études ont suggéré qu'il existait une association possible entre pioglitazone et cancer de la vessie.

En phase préclinique, les rats mâles traités par pioglitazone ont développé plus souvent des tumeurs de la vessie que ceux non traités par pioglitazone (Takeda pharmaceuticlas america,2009).

Chez l'homme, plusieurs études ont suggéré un lien entre pioglitazone et cancer de la vessie.

La première n'est pas une étude de pharmaco-épidémiologie mais un essai clinique randomisé multicentrique : PROactive. Les patients étaient traités par pioglitazone versus placebo. Dans la seconde année d’exposition, 6 patients sous pioglitazone ont déclaré un cancer de la vessie contre 3 pour les patients sous placebo (Dormandy et al.,2005 ; Domandy et al., 2009)

En 2003, une étude de pharmacovigilance a été demandée par la FDA (Food and Drug Administration) aux Etats-Unis. Entre janvier 1997 et décembre 2002, 193 099 patients diabétiques de plus de 40 ans issus du Kaiser Permanente Northern Californie ont été inclus avec 30 1973 exposés et 162 926 non exposés. Il n'a pas été mis en évidence de différence significative entre exposés et non exposés pour le risque de cancer de la vessie. Mais il existait un risque accru (HR = 1.4 [1.03 - 2.0]) de cancer de la vessie chez les patients ayant une exposition supérieure à 24 mois (Lewis et al.,2011).

Entre 2004 et 2009, 93 de cas de notifications spontanées de cancer de la vessie sous traitement antidiabétique ont été signalés (Piccinni et al., 2011). Toutes les notifications de cas de cancer de la vessie couplées à la prise de médicaments anti-diabétiques (31 sous pioglitazone ; 29 insuline, 25 sous sulfamides hypoglycémiants, 8 sous exenadine et 22 autres traitements anti-diabétiques) ont été prises en compte. L'OR pour l'association entre la pioglitazone et le cancer de la vessie était de 4,30 [2,82 – 6,52]. Malgré un biaise de notoriété, les résultats étaient cohérents avec une association entre pioglitazone et cancer de la vessie.

En France, le premier cas de notification spontanée date de 2007 et 15 cas avaient été notifiés en avril 2011. L'AFSSAPS a demandé en janvier 2011 à la CNAMTS d'évaluer à partir des données

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disponibles l'association entre survenue de cancer de la vessie et exposition à la pioglitazone (Neumann et al.,2012).

Les données sont issues du SNIRAM (Système National Interrégimes de l'Assurance Maladie) et du PMSI (Programme de Médicalisation des Systèmes d'Information). Ont été inclus 1 491 060 patients diabétiques âgés de 40 à 79 ans en 2006.

L'exposition à la pioglitazone a été définie comme la délivrance de pioglitazone durant 6 mois consécutifs.

Seuls les cas incidents de cancer de la vessie ont été pris en compte (les patients ayant un cancer de la vessie à l'inclusion ou déclaré dans les 6 premiers mois de suivi ont été exclus) et définis à par partir du PMSI: diagnostic de cancer de vessie associé à un geste en rapport durant une même hospitalisation.

Parmi les patients inclus, 155 535 patients étaient exposés à la pioglitazone et 1 335 525 non exposés.

Les résultats ont montré une association significative entre exposition à la pioglitazone et cancer de la vessie HR = 1,22 [1,05-1,43].

La pioglitazone a été retirée du marché en juin 2011.

L'histoire des glitazones permet d'illustrer la variété des études de pharmacoépidémiologie avec l'utilisation des notifications spontanées, de méta-analyse, de cohortes, de cas témoins.