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b Création ou transgression, un acte protégeable ?

Le street art est en effet un acte de création originale qui est réalisé par une personne physique et existe en tant qu'œuvre de l'esprit selon les codes de la propriété intellectuelle. Pour autant, dans sa tradition la plus pure, le street art vient se poser spontanément, voire sauvagement, sur une paroi publique ou privée au regard de tous et s'impose au public dans l'espace urbain. Par ce biais, cette création soulève un problème de taille: est-elle un acte créatif à part entière ou bien simplement une dégradation40? Ce qui dérange dans la pratique des arts urbains généralement, ce n'est pas le résultat, qui lui se confronte à l'ordre public, mais l'acte. Le fait de réaliser une œuvre sans autorisation préalable est un trouble pour notre société actuelle régie de droits et devoirs et non habituée à faire face à ce type d'action imposée, déposée et parfois délinquante. Néanmoins, de plus en plus d'artistes agissent en règle après demande d'autorisation pour réaliser des œuvres identiques, bien que plus construites souvent. L'acte reste pourtant semblable à son homologue illégal autant que la

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Réalisation possible entre 9h00 et 19h00.

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Des œuvres ne pouvant excéder les 3 mètres de hauteur. Consulté en ligne le 02/08/2018. Disponible à l'adresse: http://www.grenoble.fr/1215-couleurs-sur-grenoble.htm

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Lors du festival Rose Béton, une exposition retraçant le travail des deux spécialistes des cultures urbaines a eu lieu au Château d'eau pendant un mois entier. Le travail exposé a repris les photographies et films documentaires ayant fait leur succès pour le livre étant considéré comme la «bible» du graffiti, intitulé «Subway Art».

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Pénalement, selon l'article 322.1 du Code pénal, le graffiti constitue un trouble à l'ordre public dans sa qualité de dégradation matérielle.

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technique et c'est en cela que le problème réside. En effet, des conflits juridiques naissent de ce constat. Le droit à la création et à la liberté d'expression s'oppose au droit à la propriété privée ou publique. Le droit n'est pas forcément adapté à ces questions, le street art est un phénomène étrange autant qu'étranger au droit mais pour autant nous nous devons de croiser les disciplines pour tenter de comprendre comment cet art peut être appréhendé juridiquement pour pouvoir continuer à le voir s'épanouir et en faire un patrimoine en tant que tel, en conciliant les uns et les autres vis-à-vis des pratiques. Le tag, historiquement lié aux mouvements de rebellions et de violence aux États-Unis dès les années 1960 est souvent perçu par la population comme une agression et une dégradation volontaire plus qu'une œuvre esthétique, c'est d'ailleurs les tags qui sont visés par les brigades d'effacement depuis les années 199041. Le street art des années 2000, plus toléré et autorisé lui est plus apprécié par les habitants et bénéficie d'un succès qui lui vaut un favorisation socio-juridique et un statut artistique incontestable. Lorsque nous pensons à l'Histoire de l'art, les contestations dont ont fait l'objet des œuvres comme le Déjeuner sur l'herbe de Manet, l'Origine du monde de Courbet ou encore La Fontaine de Duchamp ont aussi été des provocations à leur époque, mal reçues par le public tout comme d'autres œuvres ayant suscité des scandales aux Salons. Aujourd'hui, ces œuvres sont considérées comme des chefs-d'œuvre constituant les collections des plus grands musées du monde attirant des millions de visiteurs tous les ans. Il est certain qu'elles visaient un public éclairé et destiné à recevoir l'art contrairement au street art exposé publiquement à des spectateurs ne souhaitant pas forcément faire face à ces réalisations. Doit- on se projeter vers l'avenir afin de voir une relation tout à fait différente de ce qui est considéré encore beaucoup aujourd'hui comme invasif et intrusif par de nombreuses personnes? Doit-on continuer de juger au cas par cas ce qui est artistique ou ce qui constitue une dégradation? Il est clair que le graffiti mérite parfois d'être sauvegardé malgré son illégalité pour les pièces les plus esthétiques ou éprises de sens mais il reste tout de même une atteinte pour certains propriétaires et doit donc être effacé s'il ne convient pas au lieu sur lequel il est réalisé. Certains parlent également d'une «artification»42 par la transgression. Par là, nous nous engageons vers une normalisation et une acceptation des pratiques illégales pour ne plus les considérer comme des atteintes aux biens mais justement comme des propositions artistiques acceptables. En effet, accepter conduit à une banalisation et ainsi à des réalisations

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Avant la loi du 1er mars 1994 du code pénal, plus de 70 millions de francs ont été dépensés pour l'effacement du graffiti dans la ville de Paris. Depuis, des sociétés d'effacement et des équipes municipales se chargent du nettoyage des murs comme à Grenoble avec une surface totale de 35000m² de murs par an.

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Nathalie Heinich in Goffaux-Callebaut G., Guével D., Seube J.-B. (dir.), Droit(s) et Street Art: De la transgression à

l'artification, compte-rendu du colloque éponyme du 14 octobre 2016, Issy-les-Moulineaux, Lextenso éditions, 2017, page

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peut-être plus travaillées et donc agréables. Le street art, comme beaucoup d'expressions de l'art contemporain, outrepasse les limites, rejette sans cesse les frontières de l'art par l'expérimentation. L'unique problème posé par la tolérance est que parfois, il ne semble pas judicieux d'accepter une simple signature sur une paroi qui ne lui est pas destinée sous prétexte que c'est de l'art. En effet, l'artification en tant que telle serait également une sélection. Des œuvres illicites comme celles d'Ernest Pignon-Ernest, Banksy, Invader ou encore Blek le Rat ne mériteraient-elle pas leur place dans l'espace urbain malgré leur réalisation illégale? Plus la proposition est forte de sens, et proche des arts plastiques, plus elle est acceptée, c'est un fait. La consécration et la protection de cet art éphémère flirtant avec les limites de la légalité et aux prises avec le droit est donc possible, par l'acceptation. Il faut ainsi accepter, selon les propos de Nathalie Heinich, de rendre durable ce qui est éphémère, de vendre ce qui était gratuit en fixant un prix à ce qui n'en avait pas et prendre au sérieux ce qui semblait être une simple provocation et un jeu au départ. Ce miroitement entre art contemporain, institutions et rôle des différents protagonistes et publics est une étape nouvelle à franchir pour une transformation idéale ou idéalisée du street art et du graffiti.

II- LA QUESTION DU DROIT D'AUTEUR ET DU DROIT MORAL EN