• Aucun résultat trouvé

avril 1948 – mars 1951

Dans le document CARNETS II (Page 192-200)

Retour à la table des matières

[243]

À la fin du XIX° siècle, Antoine Orly, notaire à Périgueux, quitta brusquement sa ville pour gagner la Patagonie où il s'installa. Il sut plaire aux Indiens du pays et par les seules voies de la sympathie se fit nommer, au bout de quelques années, empereur d'Araucanie. Il fit battre monnaie, émit des timbres-poste, exerça enfin les prérogatives d'un souverain légitime. Si bien que le gouvernement du Chili, dont ces terres éloignées dépendaient, le traduisit devant une cour de justice qui le condamna à mort. Sa peine fut commuée en dix années de prison.

Libéré après dix années, il retourne en Patagonie où ses sujets l'accueillent à nouveau comme leur empereur et il consent encore à recevoir ce titre. Mais se sentant vieillir, il pense à un successeur et fait legs du trône d'Araucanie à son fils Orly Louis qui sous le nom de Louis Ier deviendrait empereur. Mais Orly Louis refuse. Antoine ab-dique alors en faveur de son neveu Achille Orly, de Périgueux, et meurt honoré par ses sujets. Mais Achille Ier ne songe pas à rejoindre ses sujets. Il se rend à Paris, prend pied dans le monde, y mène grande vie, recevant en [244] Empereur. Ses ressources proviennent de la distribution qu'il fait, contre argent, de postes de consul d'Araucanie.

Ses besoins ayant augmenté, il organise aussi des quêtes pour l'exten-sion de la religion chrétienne par la construction d'églises et de ca-thédrales. Il reçoit ainsi beaucoup d'argent et à ce point que la Com-pagnie de Jésus s'émeut et en appelle au Pape. On constate alors qu'aucune église n'est en construction en Patagonie et Achille Ier comparait devant des tribunaux qui le condamnent. Ruine, l'empereur

achève sa vie à Montparnasse, fréquentant le même cabaret où l'on croit que la reine Ranavalo lui rendit visite.

*

Tout sacrifice est messianique. Prouver que le sacrifice peut s'ima-giner à la hauteur d'une pensée réfléchie (c'est-à-dire non messia-nique). La tragédie de l'équilibre.

*

Art moderne. Ils retrouvent l'objet parce qu'ils ignorent la nature.

Ils refont la nature, et il le faut bien puisqu'ils l'ont oubliée. Quand ce travail sera refait, les grandes années commenceront.

*

« Sans une liberté illimitée de presse, sans une liberté absolue de réunion et d'association, la domination de larges masses populaires est inconcevable » (Rosa Luxembourg, La Révolution russe).

*

[245]

Salvador de Madariaga : « L'Europe ne reprendra ses sens que lorsque le mot révolution évoquera de la honte et non de l'orgueil. Un pays qui se vante de sa glorieuse révolution est aussi vain et absurde qu'un homme qui se vanterait de sa glorieuse appendicite. »

Vrai dans un sens. Mais à discuter.

*

Stendhal (Lettre à di Fiore, 34) : « Mais mon âme à moi est un feu qui souffre s'il ne flambe pas. »

Id. « Tout romancier doit tâcher de faire croire à la passion brû-lante mais ne jamais la nommer : cela est contre la pudeur » (Lettre à Mme Gaulthier, 34)

Id. Contre Goethe. « Goethe a donné le diable pour ami au docteur Faust et, avec un si puissant auxiliaire, Faust fait ce que nous avons tous fait à vingt ans, il séduit une modiste. »

*

Londres. Je me souviens de Londres comme d'une ville de jardins où les oiseaux me réveillaient le matin. Londres est le contraire, et pour-tant ma mémoire est juste. Les voitures de fleurs dans les rues. Les docks, prodigieux.

N. Gallery. Merveilleux Piero et Velasquez.

Oxford. Le haras bien peigné. Silence d'Oxford. Que viendrait y faire le monde ?

*

[246]

Petit matin sur la côte d'Écosse. Édimbourg : des cygnes sur les ca-naux. La ville autour d'une fausse acropole, mystérieuse et embrumée.

L'Athènes du Nord n'a pas le nord. Chinois et Malais dans la Princess Street. C'est un port.

*

Selon Simone Weil, les pensées qui se rapportent à la spiritualité du travail, ou à son pressentiment, éparses chez Rousseau, Sand, Tols-toï, Marx, Proudhon, sont les seules pensées originales de notre temps, les seules que nous n'ayons pas empruntées aux Grecs.

*

L'Allemagne : Le malheur qui a mordu trop profondément suscite une disposition au malheur qui contraint à y précipiter soi-même et autrui.

*

Selon Richelieu, et toutes choses égales d'ailleurs, les rebelles sont toujours moitié moins forts que les défenseurs du système officiel. À cause de la mauvaise conscience.

*

Le Père de Foucauld, témoin du Christ chez les Touareg, trouvait normal de fournir au 2° Bureau [247] Français des renseignements sur l’état d'esprit de ces mêmes Touareg.

*

S. W. Contradiction entre la science et l'humanisme. Non. Entre l'esprit scientifique dit moderne et l'humanisme. - Car le détermi-nisme et la force nient l'homme.

« Si la justice est ineffaçable au cœur de l'homme, elle a une réali-té en ce monde. C'est la science alors qui a tort. »

*

S. W. : Ce sont les Romains qui ont dégradé le stoïcisme en y rem-plaçant l'amour viril par l'orgueil.

*

G. Greene : « Dans une vie heureuse, la déception finale que nous cause la nature humaine coïncide avec la mort. De nos jours, les gens doivent se débrouiller pour vivre toute une vie ayant connu cette dé-ception »... « Ceci est une époque où l'on en sait trop avant d'être ma-jeur. »

Id. Le dévouement... « Quel monde où de telles qualités se per-dent ! »

Id. « Il (l’agent secret) promit imprudemment comme si, dans un monde de violence, on pouvait promettre quoi que ce fût au-delà du moment où l'on parle. »

Id. « Celui qui ne croit pas en Dieu, si les gens [248] ne sont pas traités selon leurs mérites, le monde n'est pour lui que chaos, il est acculé au désespoir. »

*

L'écrivain condamné à la compréhension. Il ne peut être un tueur.

*

Goût de la prison chez ceux qui luttent. Pour être délivrés de leurs fidélités.

*

Épigraphe au Bûcher 74.

« Les hommes affligés d'une profonde tristesse se trahissent lors-qu'ils sont heureux : ils ont une façon de saisir le bonheur comme s'ils voulaient l'étreindre et l'étouffer par jalousie... »

*

Juillet 48- - Côme

« Que ferons-nous d'un ciel privé de notre amour

Nous restons seuls devant l'horreur de nos vrais jours. »

*

Pièce. L'orgueil. L'orgueil naît au milieu des terres.

*

[249]

La funèbre Provence.

*

74 Projet de nouvelle, qu'on retrouve plusieurs fois par la suite.

La responsabilité envers l'histoire dispense de la responsabilité en-vers les êtres humains. C'est là son confort.

*

Les étoiles scintillent au même rythme que grésillent les cigales.

Musique de sphères.

*

Ami de C. « Nous mourons à quarante ans d'une balle que nous nous sommes tirée dans le cœur à vingt. »

*

Nous vivons trop longtemps.

*

Dans le Criton, le dialogue des Lois et de Socrate est à rapprocher des procès de Moscou.

*

Les papillons couleur de roche.

Le vent qui court dans la combe fait un bruit d'eaux fraîches et tumultueuses. [250] La Sorgue parée de traînes fleuries.

*

Folie de vertu qui secoue ce siècle. Tournant le dos au scepticisme qui est en partie humilité, l'humanité se raidit pour trouver une vérité.

Elle se détendra lorsque la société aura retrouvé une erreur qui sera vivable.

*

Les artistes veulent être des saints non des artistes. Je ne suis pas un saint. Nous voulons le consentement universel et nous ne l'aurons pas. Alors ?

*

Titre pièce. L'Inquisition à Cadix 1. Épigraphe :

« L'Inquisition et la Société sont les deux fléaux de la vérité. » Pascal.

*

Déchirement d'avoir accru l'injustice en croyant servir la justice.

Le reconnaître du moins et découvrir alors ce déchirement plus grand : reconnaître que la justice totale n'existe pas. Au bout de la plus ter-rible révolte, reconnaitre que l'on n'est rien, voilà la douleur.

*

[251]

La chance de ma vie, c'est que je n'ai rencontré, aimé (et déçu) que des êtres exceptionnels. J'ai connu la vertu, la dignité, le naturel, la noblesse, chez les autres. Admirable spectacle - et douloureux.

*

Gobineau. Nous ne descendons pas du singe, mais nous le rejoignons à toute allure.

*

C'est le plaisir de vivre qui disperse, supprime la concentration, ar-rête tout élan vers la grandeur. Mais sans plaisir de vivre... Non, la so-lution n'existe pas. À moins qu'elle soit de faire d'un grand amour une racine et d'y trouver la source de vie sans y être puni de dispersion.

*

1 Premier titre pour L'État de siège.

1° septembre 1948

« Je suis près d'avoir mené à leur terme la série d'ouvrages que j’avais le propos d'écrire voici dix ans. Ils m'ont mis au point de savoir mon métier. Maintenant que je sais que ma main ne tremblera pas, je vais pouvoir laisser aller ma folie. » Ainsi parlait celui qui savait ce qu'il faisait. Au bout du compte, le bûcher.

*

[252]

Un homme conscient, dit Dostoïevski, peut-il se respecter tant soit peu ?

*

D. : « Et puis s'il arrive que l'avantage humain, parfois, non seule-ment puisse mais même doive justeseule-ment consister à désirer un préju-dice et non un avantage. »

*

« Nous ne vivons vraiment que quelques heures de notre vie... »

*

Nuit sur le sommet du Vaucluse. La voie lactée descend jusque dans les nids de lumières de la vallée. Tout se confond. Il y a des villages dans le ciel et des constellations dans la montagne.

*

Il faut rencontrer l'amour avant d'avoir rencontré la morale. Ou sinon, le déchirement.

*

Dans le document CARNETS II (Page 192-200)