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3. Communauté de connaissances et Youtuber

3.2 Connaissance et mémoires

3.2.3 Mémoire de travail

3.2.3.3 Autres modélisations de la mémoire de travail

Il existe beaucoup d’autres modélisations de la MT. Elles sont classées différemment selon les ouvrages et le point de vue des chercheurs (Miyake et Shah, 1999 ; Aubin et al., 2007 ; Baddeley, 2012). Par exemple, Baddeley (2012) voit les autres modèles comme complémentaires de son modèle initial car il voit la science à travers l’épistémologie d’Imre Lakatos. Ainsi, le « noyau central » de la théorie de la MT qu’il a conçu n’est pas altéré, ce n’est que sa périphérie qui l’est. A l’inverse, Aubin et al. (2007) voient plutôt le modèle de Baddeley comme « se déconstruisant progressivement » (p.23). Notre but ici est de fournir des modèles complémentaires à notre recherche sur le concept de communauté de connaissances. Ainsi, nous présentons des modèles qui nous semblent enrichir notre recherche.

Mémoire de travail procédurale

Dans la majorité des modèles de la MT les mémoires à long terme mobilisées sont déclaratives (épisodique et sémantique). Pourtant, le lien avec la mémoire procédurale n’est pas explicité dans le modèle. Ce manque théorique est essentiellement imputable dans la littérature en psychologie cognitive à la difficulté expérimentale pour rendre compte de l’activité d’une mémoire qui n’est pas explicitable par le sujet. Peu de modèles rendent compte de cette possible activité cognitive.

Le modèle d’Oberauer et al. (2013) modélise une mémoire de travail déclarative et procédurale. Celle-ci est définie comme « maintenant les représentations procédurales qui déterminent ce qui est fait des représentations déclaratives »98 (p. 158). Dans ce modèle, la MT procédurale semble être le pendant pragmatique des représentations déclaratives qui s’occupent des pensées et des actions. La MT procédurale spécifiant « ce qu’il faut faire des objets de la pensée »99 (Idem).

98 « Holding the procedural representations that determine what is done with the declarative representations. »

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Une critique qui est portée à ce modèle est qu’il est trop complexe et dépend plus de simulations informatiques que des sujets expérimentaux (Baddeley, 2012). Cette conceptualisation de la MT procédurale peut néanmoins être intéressante concernant l’activité des communautés de connaissances. En effet, les individus mobilisent un ensemble de gestes qui ne sont pas nécessairement explicites et pourtant centraux pour améliorer les pratiques. Ce modèle pourrait ainsi nous éclairer sur certains processus procéduraux.

Modèles unitaires de la mémoire de travail

Parmi un grand nombre de modèles, il nous semble pertinent de présenter brièvement trois modèles dits « unitaires » (Miyake et Shah, 1999). Unitaire car ils ne distinguent pas de module divisant la MT ou même la mémoire humaine. Ces modèles nous intéressent car, d’une part, ils recourent moins aux analogies computationnelles. D’autre part, ce sont les modèles qui développent le plus de liens avec la mémoire à long terme et le rôle de l’attention.

Dans le modèle « Embedded Processed » de Cowan (2005) la mémoire de travail est conçue comme l’activation, dans une situation, de la mémoire à long terme. L’activation et le maintien des informations se feraient par la capacité limitée de l’attention. Capacité limitée à 3 ou 4 « items » ou « chunks ». Le sujet de la capacité limitée est au centre de son modèle. Il s’intéresse donc essentiellement au rapport entre perception, mémoire à long terme et attention. Nous retrouvons aussi l’idée que la MT permet de mobiliser de manière dynamique des connaissances passées, explicites et stockés en mémoire.

Le modèle « Long-term working memory » (LTWM) proposé depuis 1995 par Ericsson et Kintsch est, lui, centré sur l’étude des performances des mémoires expertes (Baddeley, 2012, p.18). Pour prendre en considération la grande quantité d’informations mise à disposition dans une situation par la MT, les informations sont stockées en mémoire à long terme (et non par des modules intermédiaires) et sont activées selon la nécessité. D’où l’utilisation du nom de « mémoire de travail à long terme ». Ce dernier modèle présenté nous semble être très intéressant de par le domaine de recherche que privilégie K. A. Ericsson qui est celui des capacités « expertes ». Ce domaine porte sur des activités intellectuelles, sportives et artistiques. Elles interrogent le chercheur sur les fonctionnements et les développements cognitifs supérieurs ainsi que la créativité. Cela, bien que les travaux actuels de ce chercheur ne portent ni sur les situations de travail en elle-même ni sur des experts plus « communs » que des joueurs d’échec de haut-niveau… Enfin, Ericsson insiste sur l’importance de l’expérience pour acquérir

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un haut niveau d’ « expertise »100. Il serait ainsi intéressant d’approfondir ce modèle dans cet

aspect de développement de l’expertise à travers l’activité de la MT.

Le dernier modèle, proposé par Engle, Kane et Tuholski (1999), est le « Controlled

attention framework ». Les travaux d’Engle et Kane (2004) se basent essentiellement sur des

différences intergroupes et interindividuelles (Miyake et Shah, 1999, p.102 et Baddeley, 2012, p.20). Mais aussi sur les travaux en neuropsychologie sur le cortex préfrontal dorsolatéral (Miyake et Shah, 1999, p. 117). Ce modèle porte essentiellement sur le système attentionnel qui permet le contrôle dans une situation donnée et la focalisation sur les représentations en mémoire à long terme. L’intérêt porté sur la capacité attentionnelle permettrait d’envisager des différences interindividuelles. Comme résumé pages 104 et 105 de Models of Working

Memory (Miyake et Shah, 1999) :

« Notre proposition, est que la capacité de la mémoire de travail reflète l’habilité à activer les

représentations stockées en mémoire, et de les emmener sous le focus attentionnel ou les maintenir sous cette focalisation, particulièrement quand il y a des interférences ou des distractions. […] Cette capacité attentionnelle n’est pas circonscrite à un domaine spécifique et de plus, les différences individuelles pour cette capacité se révèlent dans une large gamme de tâches »101.

Ces différences interindividuelles sont reliées, pour ces auteurs, au fonctionnement du cortex préfrontal « normal » des sujets. La modélisation d’Engle et al. est proche de celle de Cowan dans le sens où il accorde une importance majeure à l’attention dans le fonctionnement de la mémoire de travail.

Les trois modèles unitaires représentent bien le lien parfois flou qui existe entre la MT et les mémoires à long terme. Même le modèle d’Oberauer, qui est modulaire et computationnel, se réfère au modèle d’activation de Cowan pour construire le sien.

Ces quatre modèles nous semblent compléter le modèle de Baddeley en insistant sur deux points : la présence de la mémoire procédurale dans le processus de la mémoire de travail et le rôle central de l’attention. Dans les approches unitaires, le processus de sélection est très

100 Pour approfondir ce point très intéressant, voir l’article d’Ericsson et Kintsch (1995) et l’ouvage d’Ericsson

et al. (2006).

101 « Our proposal, then, is that working memory capacity reflects the ability to apply activation to memory repreentations, to either bring them into focus or maintain them in focus, particulary in the face of interference or distraction. […] This attention capability is domain free and therefore individual differences in this capability will reveal themselves in a wide variety of tasks ».

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intimement lié aux savoirs ancrés dans la mémoire à long terme. En complétant ces modèles avec celui d’Oberauer, nous pouvons inclure la mémoire des gestes et des procédures dans le processus de sélection et de mobilisation en situation de connaissances passées. Certes, ces travaux n’annulent pas la limite du cadre expérimental. Néanmoins, ils participent à un rapprochement de notre conception du processus de construction de connaissances du monde.

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