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Chapitre 6 – Discussion

4. Quels sont les obstacles et les facilitateurs à l’atteinte de la sécurité alimentaire

6.2. Autres constats des entrevues semi-dirigées

Plusieurs constats ressortent des entrevues semi-dirigées, parfois même au-delà des questions de recherche, ce qui est souhaité étant donné qu’il s’agit d’une étude exploratoire. 6.2.1. La sécurité alimentaire et la migration : chaque étape doit être considérée

La recension des écrits a montré que la grande majorité des études se concentrent uniquement sur la sécurité alimentaire lors de la période post-migratoire récente, c’est-à- dire entre l’arrivée dans le pays d’accueil jusqu’à cinq ans après la réinstallation des réfugiés dans le pays d’accueil. Toutefois, les résultats de notre étude laissent croire que les périodes prémigratoire ainsi que migratoire peuvent aussi être importantes à considérer pour mieux comprendre l’insécurité alimentaire chez les réfugiés. C’est également ce qui a été rapporté dans les études de Doad (2016) et de Rodriguez (2015). Par exemple, les

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avoir été en situation d’insécurité alimentaire, que ce soit en Syrie pendant la guerre et/ou dans le pays de transition. Sachant cela, il importe de se demander comment une expérience précédente d’insécurité alimentaire, qui pour certains s’est étendue sur plusieurs années, peut influencer la santé et la sécurité alimentaire post-migratoire des réfugiés réinstallés. Dans la littérature, on remarque que cela pouvait influencer les résultats des enquêtes de sécurité alimentaire, puisque ceux qui ont été en situation d’insécurité alimentaire seraient portés à minimiser leur situation actuelle (Tarasuk, 2001). Aux États-Unis, une autre étude a montré que les expériences passées des réfugiés telles que la privation alimentaire et le changement rapide de choix pouvaient aggraver les problèmes de sous et de surnutrition (Rondinelli et al., 2011).

6.2.2. Les aliments sont disponibles, mais ce n’est pas tout

Les réfugiés et les informateurs clés sont quasi-unanimes : il est possible, au Québec – et surtout à Montréal – de retrouver à peu près tous les aliments consommés en Syrie. Cela dit, la qualité des aliments disponibles semble souvent faire défaut. Qu’il s’agisse de fraîcheur, de goût ou de salubrité, plusieurs réfugiés semblent avoir du mal à s’adapter à la qualité des aliments dont ils disposent, que ce soit à cause du goût, de la fraîcheur ou de la présence de pesticides, entre autres. Au niveau des banques alimentaires, le problème de la qualité des aliments est encore plus flagrant, si bien que la plupart des réfugiés interrogés ont cessé de bénéficier du service ou alors jettent une bonne partie des aliments reçus (dates de péremption dépassées, aliments flétris ou pourris, aliments non-culturellement appropriés, etc.). Il faut dire que la Syrie est un pays méditerranéen offrant une diversité importante d’aliments locaux de grande qualité, mais ce n’est pas la première fois que la qualité des aliments pose un problème dans des communautés de réfugiés en Occident. Pourtant, à ma connaissance, et à la lumière des entrevues réalisées avec les informateurs clés, il n’existe pas, au Québec, de programmes permettant aux nouveaux arrivants d’accéder plus facilement à des aliments frais, biologiques et locaux, outre les sorties à la ferme organisées par certains organismes communautaires. Cet intérêt des réfugiés pour les aliments biologiques et locaux a été peu abordé dans la littérature, mais Moffat et al. (2017) a présenté ces aliments comme étant plus chers.

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La stabilité de la sécurité alimentaire est le pilier le moins étudié dans la littérature. Il est d’ailleurs difficile d’évaluer quels éléments de la vie des réfugiés réinstallés ont un impact réel sur leur sécurité alimentaire. Il est indéniable que l’alimentation des familles, bien qu’étant un élément important de leur expérience migratoire, n’est pas l’élément principal. Ainsi, au cours des entrevues, plusieurs autres aspects ont parfois pris le dessus et il importe de les considérer.

Les impacts de la guerre et de la migration sur la santé mentale des réfugiés syriens sont perceptibles dans les entrevues, que ce soit au niveau des traumatismes, des deuils, de l’anxiété, de la peur pour certains membres de leur famille, etc. Une étude portant sur des réfugiées cambodgiennes réinstallées aux États-Unis a associé les symptômes dépressifs à un plus grand risque de souffrir d’insécurité alimentaire (Peterman et al., 2013).

La langue, au cours des entrevues, est un des éléments les plus abordés, souvent de pair avec l’accès difficile à l’emploi. Alors qu’il est plutôt logique d’établir un lien entre ces éléments et l’accès et la disponibilité alimentaire, on peut aussi se questionner sur l’impact de ceux-ci sur la stabilité de la sécurité alimentaire. Comment le fait de ne pas parler français peut-il se répercuter sur la stabilité de la sécurité alimentaire des ménages? Dans la littérature, cela a été rapporté comme étant une barrière à la sécurité alimentaire dans deux études américaines (Hadley & Sellen, 2006; Hadley et al., 2007).

Finalement, l’intégration et l’inclusion à la société d’accueil pourraient aussi être reliées à la stabilité de la sécurité alimentaire des ménages de réfugiés. Ainsi, le fait d’être bien entouré et de s’intégrer pourrait être bénéfique et permettre une meilleure stabilité de la sécurité alimentaire de la manière d’un filet social. Dans la littérature, avoir un bon support social est associé à une meilleure sécurité alimentaire chez les réfugiés réinstallés en Australie (Gichunge et al., 2015). Malgré tout, il demeure difficile de statuer sur la stabilité de la sécurité alimentaire des ménages puisque tout apparait comme étant inter relié et il pourrait donc être pertinent d’étudier la question dans une perspective globale.

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