• Aucun résultat trouvé

aussi largement lié au développement des villes

Dans le document Accueillir les jeunes en milieu rural (Page 44-49)

Les développements de l’un et de l’autre doivent être pensés en complémentarité pour ne pas reporter les problèmes d’un espace à l’autre mais apporter des solutions ensemble. Ainsi, le développement des campagnes doit se penser en cohérence avec celui des villes, mais il doit aussi se penser au-delà des frontières françaises, en tenant compte des réalités des autres pays européens. Pour cela, il semble nécessaire d’encourager la construction d’une culture commune, de dépasser « l’esprit de clocher ». Ceci peut se faire par des politiques publiques, mais aussi par des actions d’ouverture culturelle, à l’initiative d’habitants, d’associations. Il peut s’agir de favoriser les échanges ville/campagne, les échanges européens, les jumelages entre villes… Dans le but de faire comprendre que des politiques de développement d’un ter- ritoire peuvent avoir des conséquences importantes sur d’autres.

Le développement des territoires ruraux français doit tenir compte des zones urbaines, des réalités européennes, tout en s’appuyant sur la jeunesse comme ressource pour assurer ce développement. C’est en prenant en considération les jeunes dans leur diversité, en leur per- mettant de vivre, de travailler, d’être acteurs en rural que les territoires bâtiront leur avenir et réussiront à être des espaces intégrant mixité sociale et générationnelle.

UTOPIE RURALE

COULEUR D’HERBE ET DE MER EN COLERE

Conte écrit par Nathalie Grave (ex-permanente du MRJC Nord-Pas-de-Calais, aujour- d’hui animatrice d’ateliers d’écriture en milieu rural) dans le cadre de la campagne d’actions symboliques du MRJC du 19-27 novembre 2005.

Leurs cheveux étaient blancs, déjà. Juliette avait les yeux couleur d’herbe. Ismaël les avait gris, reflets d’une mer en colère. Elle aurait pu être ma grand-mère. Il aurait pu être mon grand-père. Nous sommes arrivés en fin d’après-midi, un mardi peut-être. Ils lisaient, sur les marches en pierre noire du vieux presbytère qu’ils louaient, depuis bien- tôt trente ans, à la commune. Nous étions sept. Nous étions jeunes, beaux certaine- ment. Nous étions, avant tout, curieux. Ils nous attendaient.

> C’était le premier jour

Très vite, Ismaël est parti au jardin. Juliette a pris son vélo. Nous avons repris les nô- tres. Nous l’avons suivie. Direction la colline, derrière le village. Elle, elle dit « la petite montagne ». Là-haut, elle s’est arrêtée. Tendrement, elle nous montre les champs, la rivière et les ruisseaux. Les haies bocagères et les pâtures, le grand bois. Elle nous nomme les communes des environs, le lotissement au centre du village, la scierie au bord du bourg. L’autoroute, pas très loin. Nous sommes au pied de deux éoliennes. En regardant bien, nous pouvons en compter douze, de ces grandes dames blanches aux bras si fins. Elles ont été installées par les communes et l’intercommunalité. La moitié de l’énergie produite couvre les besoins en électricité des habitants et des entreprises locales. Le reste, l’autre moitié, est revendue à l’État pour des territoires, moins expo- sés, là où le vent oublie de souffler. L’argent a permis de rénover l’école – « là, tout près de la mairie » –, de transformer la vieille grange, sur la place, en salle communautaire et finance les projets culturels. Sa voix s’anime, elle parle plus vite. Elle est heureuse. Mais nous sentons bien que ça n’a pas été facile de convaincre le maire et tous les élus d’acheter les terrains et d’investir dans le vent. Elle nous montre les fermes. En poin- tant la dernière, après le virage que fait la route, à la sortie du village, elle nous dit sim-

Q

U

E

S

T

IO

N

S

/R

É

F

L

E

X

IO

N

S

plement : « Demain, vous commencerez par là » Ce soir-là, les bavardages vont bon train dans les chambres du presbytère où nous avons installé nos matelas et nos sacs de couchage.

> C’était le deuxième jour

C’est Ismaël qui nous emmène chez Adèle et Tom, à la sortie du village. Adèle nous raconte son installation en élevage de volailles. Des canards, des poulets et des coqs piaillent dans les enclos de la pâture voisine. Elle travaille, depuis trois ans, avec une société coopérative implantée dans le village voisin qui emploie une vingtaine de per- sonnes. Là les coqs sont mis en pâtés et des poulets en gelée. Adèle fait aussi les mar- chés. L’an dernier, elle a embauché Quentin après son apprentissage. La semaine prochaine, Quentin s’envole pour le Mali. Durant les six mois de son absence à la ferme, il sera remplacé par Mtokozi. Lui et Quentin font partie d’un programme d’échange et de coopération entre la région d’ici et celle de Kayes, proche du fleuve Sénégal. Tom a trouvé un mi-temps dans une entreprise qui installe des réseaux informatiques et des logiciels libres. Il fait aussi un peu de formation. Passe pas mal de son temps libre à faire la compta de la crèche parentale intercommunale, à bidouiller les postes informa- tiques du cyber-centre. Adèle nous fait goûter son pâté de coq, puis se sauve pour une réunion de la coopérative agricole du pays dont elle vient d’accepter la présidence. Il en a fallu du temps aux dix jeunes paysans fraîchement installés pour convaincre les autres, plus vieux, qu’ils auraient tout intérêt à remettre sur pied la vieille coopérative. Depuis, ils arrivent à négocier l’achat d’aliments et de semences et à vendre leurs pro- duction à des prix raisonnables. Dans les chambres du presbytère, ce soir-là, on entend piailler nos idées.

> C’était le troisième jour

Nos vélos sont à nouveau mis à l’épreuve. Juliette et Ismaël nous ont cuisiné un joli cir- cuit. Aujourd’hui, ils restent chez eux. À nous d’ouvrir en grand, nos oreilles et nos yeux pour goûter les saveurs subtiles des dix-huit villages alentour. À chaque étape sa sur- prise. Ici c’est le collège dont la bibliothèque sert aussi de médiathèque intercommu- nale et de centre de ressources sur l’habitat écologique. Les classes sont mises à disposition des associations locales pour leurs réunions. Chaque soir, les murs du col- lège entendent aussi les échos des cours de théâtre, de développement local, de chi- nois, de céramique et de mécanique auto, mis en place depuis huit ans pour les adultes du territoire. Là, une mairie ouvre chaque premier samedi du mois les portes de la salle du conseil pour une soirée jeux entre petits et grands. Nous visitons la maison inter- communale au bourg. Une pièce permet à un assistant social, une conseillère d’orien- tation et un médiateur de faire des permanences hebdomadaires. Leïla et Paul, les co-présidents de l’intercommunalité nous en expliquent le fonctionnement. Chaque habitant de chaque village – « même les enfants » – s’engage pour trois ans dans un des groupes de travail. Ces derniers doivent au moins regrouper vingt personnes et se réunir quatre fois par an. Les thématiques travaillées vont du développement écono- mique à la pêche en passant par l’installation de terrain de jeux et la restauration du patrimoine historique… Chaque groupe de travail délègue ensuite une personne au conseil intercommunautaire auquel assistent également des élus. Les idées des grou- pes sont présentées, les projets débattus, puis les élus décident ensuite de l’affectation des crédits. L’an dernier a vu la création d’un service de transports solidaire entre les communes et pour se rendre dans les villes voisines. Cette année, un groupe planche dur sur la mise en place d’un événement culturel où l’eau et le vent seront à la fête.

L’année prochaine les élections intercommunales auront lieu pour désigner de nou- veaux élus et les habitants auront le choix de s’investir ou de créer d’autres groupes de travail pour les trois années à venir. Sur le chemin, nous croisons les enfants d’une école en plein rallye découverte du village et de ses activités. Ils préparent, en lien avec le club du troisième âge, un spectacle sur le passé, le présent et l’avenir du milieu rural. À 18 h 30, nous posons, enfin, nos vélos dans le garage du presbytère. Nous voyons partir de chez Juliette et Ismaël, un groupe d’adolescents rêveurs. Ils sortent de leur atelier d’écriture et d’arts plastiques que Juliette continue d’animer chaque semaine, avec un ami du village d’à côté. Ismaël ira tout à l’heure rejoindre le comité d’accueil des nouveaux habitants. En attendant, ses yeux rigolent doucement alors qu’il nous fouette un chocolat chaud ravigotant dans une casserole au moins aussi vieille que lui. Ce soir-là, pas un bruit dans les chambres du presbytère. Les jeunes jambes sont fati- guées.

> C’était le quatrième jour

Cette après-midi, direction l’estaminet du village. Il est temps pour nous de goûter quelques bières du cru. Marjolaine et Lucie nous accueillent dans leur café qui, tous les lundis, sert de salle de réunion hebdomadaire à un groupe de personnes qui créent une activité sociale ou économique : entreprise, association, cabinet médical, installation agricole… C’est Marjolaine qui anime le groupe. Chaque lundi est une occasion offerte aux porteurs de projet de partager joies et peines liées à leur création, de se former à la gestion financière, à l’outil informatique, à la communication, la recherche de subven- tions. Une « petite matinée solidaire » est organisée chaque deuxième mardi du mois. Chacun y est le bienvenu. Des intervenants sont invités, des gens viennent témoigner de leur expérience. Le petit déjeuner est pris ensemble autour d’une question liée au développement économique et social du territoire : « Comment faciliter la reprise d’ac- tivité en cessation par de jeunes entrepreneurs ? », « Mobiliser l’épargne collective et locale pour financer nos projets », « Comment favoriser la coopération à l’école ? », « Quelle gestion du foncier imaginer pour favoriser l’installation de jeunes paysans ? », « Quel accès à la culture pour tous en milieu rural ? » Ces « petites matinées » sont autant de débats à bâtons rompus qui restent rarement lettre morte… Ainsi au mois de janvier, quinze artisans locaux ont réussi à mettre en place un groupement d’em- ployeurs qui vient d’embaucher deux comptables, une informaticienne et un juriste. Les élus ont, quant à eux, l’envie de mettre en place, en lien avec Marjolaine, une couveuse d’entreprises pour permettre à des gens d’expérimenter leur projet avant de se lancer dans l’aventure grandeur nature.

Quelques bières plus tard, Lucie et Marjolaine, qui n’ont pas leur langue cachée dans les poches de leur tablier, nous libèrent. Nous en profitons pour jeter un œil à la salle communautaire dont la nouvelle charpente a été montée par une entreprise spécialisée dans la construction bois. Jeannot, un des menuisiers-charpentiers, nous explique qu’ils ont pu faire naître et pérenniser leur entreprise grâce au programme « habitat sain pour tous » lancé par l’intercommunalité, il y a dix ans. Dans presque chacun des dix- huit villages, les communes ont fait bâtir un lotissement HQE1ou racheté et retapé

quelques vieilles maisons pour proposer des locations à bas prix à des jeunes qui veu- lent s’installer sur le territoire. Cette expérience a non seulement permis la mise sur pied d’une coopérative de services pour l’entretien de ce patrimoine bâti mais a aussi été l’amorce au lancement d’une filière bois sur le pays. En concertation avec l’Office territorial des forêts, la scierie s’occupe de couper, sécher et débiter le bois des forêts locales, qui reprend vie sous forme de charpentes, fenêtres et portes, palissades, meu-

Q

U

E

S

T

IO

N

S

/R

É

F

L

E

X

IO

N

S

bles ou escaliers. Les copeaux et déchets sont récupérés et revendus pour alimenter les nombreuses chaudières bois collectives aux quatre coins du pays.

Quand nous rentrons au presbytère, ce soir-là, nous retrouvons dans les yeux de Juliette et Ismaël le même pétillement que nous ont offert, aujourd’hui, les regards de Lucie, Marjolaine et Jeannot.

> C’était le dernier jour, le cinquième

Nous avions besoin de prendre un peu « le haut ». C’est ce que Juliette et Ismaël nous ont dit, le matin. Ils ont pris leurs vélos. Nous avons repris les nôtres. Direction « la petite montagne », derrière le village. Nous avons montré les champs, la rivière et les ruisseaux. Les haies bocagères et les pâtures, le grand bois. Nous avons nommé les communes des environs, le lotissement au centre du village, la scierie en repos, au bord du bourg. L’autoroute, pas très loin. Marjolaine et Lucie installaient des tables en bois clair du pays devant leur estaminet. Jeannot jouait avec Leïla et leurs voisins sur le petit terrain à côté de la salle communautaire. Dans la cour de l’école, les cris des enfants se mêlaient aux rires des anciens. Leur spectacle devait commencer à prendre forme. Nous avons deviné Adèle dans l’enclos des poulets, après le dernier virage que fait la route à la sortie du village. Au-dessus des grandes dames blanches aux bras si fins, le ciel tirait à lui quelques nuages. Et puis, au loin, très loin, un point. Minuscule avion. Peut-être celui qui amenait, pour les six mois à venir, Mtokozi sur cette terre, si diffé- rente et si proche de la sienne.

Ce soir-là, en repartant, vers la gare, sur nos vélos, nous pensions à Juliette et Ismaël. Leurs cheveux étaient blancs, déjà. Leurs yeux couleur d’herbe et de mer en colère. Ils nous ont dit leur vie, leurs luttes. Ils nous ont dit surtout cette terre, qui était devenue la leur. Une terre du vent, des nuages et du soleil aussi. Une terre toute en collines. Une terre qui avait dormi, longtemps, et qui s’était réveillée, patiemment. Une terre vivante et rouge le plus souvent. Une terre qui vit au rythme des gens.

Les déterminants

Dans le document Accueillir les jeunes en milieu rural (Page 44-49)