• Aucun résultat trouvé

III. Identification d’une région différentiellement méthylée dans le sperme de qualité dégradée

1. Augmentation du niveau de méthylation dans le locus GNAS

a. Description du locus complexe GNAS

La quantification du niveau de méthylation par conversion bisulfite et pyroséquençage dans le locus soumis à empreinte GNAS nous a permis de mettre en évidence une augmentation de la méthylation de l’ADN pour 3 animaux à qualité de semence dégradée sur les 8 analysés. Le locus GNAS est une région complexe situé chez l’homme sur le chromosome 20, chez la souris sur le chromosome 2, et dont l’homologue porcin se situe sur le chromosome 17. Il est composé de plusieurs variants de

160

Figure 34 : A. Représentation schématique du locus GNAS chez la souris. Les carrés noirs représentent les premiers exons des transcrits codants et les carrés hachurés les premiers exons des transcrits non codants. La méthylation différentielle entre allèle paternel et maternel est indiquée par le signe +. Adapté de (Peters and Williamson, 2007) B. Représentation des différents isoformes de GSA et GNASXL (Bastepe, 2007) : Parmi eux, les isoformes longs (L) et courts (S) dépendent de l’épissage alternatif de l’exon 3, et possèdent ou non l’inclusion d’une sérine supplémentaire au début de l’exon 4, l’isoforme N1 est tronqué dans sa partie C- terminale, l’isoforme XXLαs est étendu du côté 5’ et les isoformes ALEX et ALEXX utilisent un « Open Reading Frame » (ORF) alternatif.

A

161

transcrits qui se différencient en priorité par l’utilisation d’un promoteur et d’un premier exon alternatif tandis que les exons 2 à 13 sont communs à tous les isoformes (Figure 34A).

Le premier de ces exons alternatifs permet la production de la protéine NESP55, ou « Neuroendocrine Secretory Protein », dont l’expression maternelle est contrôlée par la méthylation sur l’allèle paternel de son DMR, situé au niveau de sa région promotrice (Kelsey et al., 1999; Peters et al., 1999). Ce DMR n’est pas gamétique, et la méthylation paternelle ne s’effectue qu’après l’implantation, expliquant la faible méthylation de l’îlot CpG recouvrant ce promoteur dans le sperme (Liu et al., 2000b).

L’utilisation du second promoteur, et donc du premier exon alternatif GNASXL, est caractéristique du gène codant GNASXL (ou XLαs), pour lequel plusieurs isoformes ont été décrits chez l’homme (Figure 34B). Ces isoformes sont exprimés par l’allèle paternel grâce à la méthylation sur l’allèle maternel de la région promotrice (Bastepe, 2007).

L’utilisation d’un troisième premier exon alternatif, l’exon 1A, permet la transcription, par l’allèle paternel, d’un transcrit non codant. Le DMR gamétique de l’exon 1A a une fonction d’ICR, car il permet de réguler l’empreinte du transcrit GSA dans plusieurs tissus (Williamson et al., 2004; Liu et al., 2005).

En effet, le dernier des promoteurs permet la transcription d’un gène codant pour la proteine « Guanine Nucleotide-binding Alpha-Subunit » et intitulé GSA dans notre étude. Ce transcrit existe également en plusieurs isoformes, similaires à ceux décrits pour GNASXL (Figure 34B). Il est exprimé de manière biallélique dans la majorité des tissus, et par l’allèle maternel dans quelques tissus tels que le cortex rénal, la thyroïde et les ovaires (Yu et al., 1998; Bastepe, 2007) : ce procédé est régulé par la répression de l’expression sur l’allèle paternel par le transcrit non codant 1A (Williamson et al., 2004). Enfin, un transcrit antisens, NESPAS, qui n’a pas encore été décrit chez le porc, est connu chez l’homme et la souris pour être exprimé par l’allèle paternel. Son expression monoallélique est liée à la méthylation de son promoteur, qui est un DMR gamétique situé juste en amont du promoteur de GNASXL (Figure 34A). Le rôle principal de cet antisens non codant est la répression de l’expression de NESP55 sur l’allèle paternel. Il exerce aussi un rôle de régulation de l’expression de GNASXL dont l’expression diminue drastiquement lorsque le DMR de NESPAS est supprimé, ainsi que sur les transcrits 1A et GSA (Williamson et al., 2006).

Chez le porc, la grande quantité d’isoformes présents dans ce locus complexe a rendu l’étude de l’empreinte parentale par l’utilisation d’un modèle parthénogénétique très difficile (Bischoff et al., 2009). De plus, nous n’avons pas trouvé de SNPs dans les premiers exons GNASXL et 1A qui auraient permis de déterminer l’origine parentale de l’allèle exprimé dans des fœtus issus de croisements LWxMS. Néanmoins, l’empreinte maternelle de NESP55 dans le cerveau, le muscle, le foie et le rein chez le porc a déjà été confirmée par d’autres auteurs (Oczkowicz et al., 2012). Cette conservation de l’empreinte de NESP55 ainsi que la structure très proche du locus GNAS entre porc, souris et homme nous suggère que son mode de régulation pourrait être conservé dans l’espèce porcine.

163

b. Une région liée à des maladies du développement et à la croissance

Sur le plan fonctionnel, le locus GNAS encode donc la sous-unité alpha des protéines G, un élément clé des voies de transduction du signal et notamment de la voie des AMP cycliques dont le rôle est primordial dans l’action des hormones et des neurotransmetteurs : chez la souris, un « knock-out » du gène est léthal (Yu et al., 1998). Chez l’homme, les mutations hétérozygotes sont liées à de nombreuses maladies. Des mutations de ce gène sont ainsi retrouvées dans les adénomes endocriniens (Lyons et al., 1990). Les mêmes mutations ont été retrouvées chez des patients souffrant du syndrome de McCune-Albright (MAS), dont les symptômes sont une sexualité précoce, une dysplasie fibreuse des os et une hyperpigmentation de la peau, ainsi que chez les patients atteints de pseudohypoparathyroïdisme de type Ia (PHPT-Ia), ou de pseudopseudohypoparathyroïdisme (PPHPT). Ces deux maladies sont caractérisées par la résistance aux hormones y compris l’hormone parathyroïde (PTH) dont la voie de signalisation dépend du bon fonctionnement de GNAS. Enfin, l’hétéroplasie osseuse progressive (POH) associée à une inactivation de GSA est transmise de façon héréditaire par la voie paternelle, suggérant un rôle de l’empreinte paternelle du locus GNAS dans cette maladie, en particulier des transcrits paternellement exprimés tels que GNASXL. En effet, GNASXL partageant une grande identité avec GSA, la protéine résultante est capable in vitro d’agir sur les mêmes fonctions biologiques et sa dérégulation pourrait donc être à l’origine de dysfonctionnement des voies de signalisation (Bastepe, 2007). La régulation de l’empreinte du locus GNAS est également associée à la croissance et au développement (Plagge et al., 2004; Ball et al., 2013; Eaton et al., 2013; Richard et al., 2013). Ainsi, la transmission paternelle d’une mutation de l’exon 1A provoque un retard de croissance après la naissance via la perte de l’empreinte de GSA tandis que la transmission maternelle de cette même mutation entraîne une augmentation de la masse corporelle via la diminution de l’expression de NESP55 (Eaton et al., 2013). Les mutations transmises via l’allèle paternel sont également liées à des retards de croissance intrautérins et indiquent un rôle important de GNASXL dans le développement fœtal (Richard et al., 2013). Chez le porc, le locus GNAS est situé dans un locus à caractères quantitatifs (QTLs) avec un effet de l’origine parentale influençant la masse corporelle et à la croissance des porcelets (Thomsen et al., 2004).

c. Un profil de méthylation modifié chez certains animaux à spermogramme anormal

Notre étude a révélé une augmentation de la méthylation dans l’îlot CpG couvrant le promoteur et le premier exon de NESP55, ainsi que dans l’îlot CpG couvrant le promoteur et le premier exon de GNASXL, ici plus spécifiquement dans la partie exonique. Cette variation est spécifique du sperme, le niveau de méthylation dans le sang étant constant. Les animaux concernés présentent des défauts sévères de qualité de sperme : tératospermie (animal T1), asthénotératospermie (AT3) et

165

oligotératospermie (OAT1). Deux d’entre eux sont porteurs de remaniements chromosomiques, dont l’un sur le chromosome 17 portant le locus GNAS chez le porc. Néanmoins, les remaniements chromosomiques ne semblent pas être liés à la variation du niveau de méthylation, l’animal contrôle porteur d’une translocation n’étant pas affecté et l’animal T1 n’étant pas porteur de remaniement chromosomique. Toutefois, la présence d’un remaniement chromosomique pouvant être l’indicateur d’une qualité de semence particulièrement dégradée, il serait donc intéressant d’évaluer sur un plus grand nombre d’animaux si ces variations de méthylation sont présentes dans les cas les plus sévères, comme cela a déjà été montré au niveau du gène soumis à empreinte MEST chez l’homme (Marques et al., 2008). De plus, le locus GNAS n’ayant pas été reporté comme variant dans les cas d’infertilité mâle humaine, il serait intéressant de comparer nos données avec l’analyse de la méthylation de ce locus dans le sperme anormal humain. En effet, une étude préliminaire chez le bovin indique une augmentation significative de la méthylation de l’ADN dans le locus GNAS d’animaux hypofertiles (Eli Sellem, communication personnelle), espèce dans laquelle des polymorphismes de ce locus sont associés à des performances de croissance et de développement, ainsi que de fertilité (Sikora et al., 2011). L’analyse de l’expression des 4 transcrits (NESP55, GNASXL, 1A et GSA) du locus GNAS chez le porc dans le testicule d’animaux contrôles ou à qualité de semence dégradée révèle que les variations de méthylation sont associées à une augmentation significative de l’expression de GNASXL, 1A et GSA tandis que l’expression de NESP55 montre une tendance à la diminution. Chez l’homme, la perte de l’expression de NESP55 résulte de l’augmentation de la méthylation de son promoteur, mais ce défaut n’apparait lié à aucun phénotype particulier (Liu et al., 2000a). Chez la souris, la délétion du DMR de NESP55 entraîne une augmentation de l’expression de GNASXL et 1A (Fröhlich et al., 2010). Ainsi, nos résultats semblent indiquer un nouveau rôle pour le locus GNAS dans l’établissement de gamètes fonctionnels chez le porc, bien que les mécanismes soient encore à déterminer. Il serait en particulier intéressant d’étudier le profil d’expression de ces transcrits directement dans les spermatozoïdes puis de mener la même étude (méthylation puis expression) sur des méïocytes afin de déterminer la dynamique d’établissement du profil de méthylation anormal dans les gamètes porcins.

Documents relatifs