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Audition des membres de la CNE2, le 4 octobre 2016 à Assemblée nationale

C. LA CONCRÉTISATION DU STOCKAGE GÉOLOGIQUE

4. Audition des membres de la CNE2, le 4 octobre 2016 à Assemblée nationale

M. Jean-Claude Duplessy, président de la CNE. Le directeur général de l’énergie du climat, M. Laurent Michel, a installé la commission voici une quinzaine de jours et mes collègues m’ont fait l’honneur de m'élire président

Lorsque nous avons reçu votre demande d’audition, nous avons décidé de nous partager la tâche. C’est M. Maurice Leroy qui va présenter le résultat de nos débats sur le retraitement et M. Robert Guillaumont qui va partir du problème des TFA pour arriver à celui des TENORM. Je ferai ensuite une brève conclusion.

M. Maurice Leroy, vice-président de la CNE. À travers les discussions que nous avons eues, il est apparu que la question du retraitement est avant tout politique.

Actuellement, le retraitement, qui permet de récupérer les matières valorisables présentes dans les combustibles usés : uranium et plutonium, est une réalité industrielle, avec l’usine de La Hague construite en 1966. C’est un savoir-faire qui s’exporte, au Japon et peut-être prochainement en Chine.

Contrairement à une idée reçue, l’expérience du secteur militaire dans ce domaine n’est pas aisément transposable. Preuve en est que la Chine qui possède l’arme nucléaire, est quand même intéressée par l’acquisition des technologies de retraitement du combustible.

Le retraitement n’a de sens que dans le cadre d’une politique énergétique de long terme utilisant le plutonium. Pour parvenir à un cycle du combustible fermé et cohérent, il implique la mise en œuvre de réacteurs à neutrons rapides (RNR), ainsi qu’une gestion de l’uranium et du plutonium en tant que matières énergétiques. Cette démarche conduit à l’indépendance énergétique, tout en permettant le pilotage d’une sortie propre et programmée du nucléaire. Ce sont là des éléments très importants.

À l’inverse, comment se traduit l’absence de retraitement ? Par exemple, la Finlande et la Suède ont fait le choix d’un stockage direct des combustibles nucléaires usés. Il conduit à des colis de 24,6 tonnes, comprenant notamment 7,4 tonnes de cuivre ultra-pur, et 3,6 tonnes de matière radioactive. Cette dernière est composée d’à peu près 1 % de plutonium et 98 % d’uranium, ainsi que de produits de fission. Pour la Suède, ces combustibles usés représentent au total 12 000 tonnes de déchets. Pour sa part, la Finlande vient de décider de commencer la construction de son centre de stockage géologique des combustibles usés.

L’intérêt de cette solution de stockage direct est l’absence presque totale de déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL).

En France, dans la configuration actuelle, les déchets de haute activité à vie longue (HAVL) destinés à CIGEO se présentent sous forme de colis vitrifiés.

Un colis de 490 kilogrammes représente l’équivalent de 1,3 tonne de combustible

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usé. Il contient 1,2 kilogramme d’uranium, 0,05 kilogramme de plutonium, 1,8 kilogramme d’actinides mineurs et 8 kilogrammes de produits de fission.

Si la France choisit d’arrêter le retraitement des combustibles usés, cela implique une rupture majeure de la politique énergétique, qui se traduira par un arrêt de l’industrie nucléaire de l’aval du cycle et, probablement assez rapidement, de l’amont, puisque la production du MOx dépend essentiellement du retraitement.

Au plan scientifique, ce choix implique d’entreprendre des études approfondies, parce que pour l’instant le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) a conçu des conteneurs pour les assemblages, mais aucune étude n’a été menée sur le stockage direct des combustibles UOx et MOx usés. De plus, un tel choix impliquerait aussi le stockage des matières nucléaires, uranium et plutonium, qui ne pourront plus être valorisées.

Si l’on décide de poursuivre le retraitement, cela donne une cohérence du cycle fermé puisque, d’un côté, on n’a pas d’importation d’uranium naturel et pas d’enrichissement, et, de l’autre, la possibilité du multi-recyclage du plutonium et de l’utilisation de l’uranium appauvri. Cela donne aussi la possibilité d’une transition progressive du parc électronucléaire actuel vers un parc alliant réacteurs à neutrons thermiques moxés et réacteurs à neutrons rapides.

La présence de réacteurs à neutrons rapides permet d’assurer la gestion du stock de plutonium sur le long terme, puisque les RNR peuvent fonctionner, d’une part, en mode iso-générateur, permettant de maintenir constant le stock de plutonium tout en produisant de l’énergie, et, d’autre part, en mode brûleur, permettent de faire décroître le stock de plutonium, tout en produisant de l’énergie, ce qui permet d’éliminer le plutonium en fin de cycle.

Par ailleurs, les réacteurs à neutrons rapides sont indispensables à l’étude de la transmutation des actinides mineurs.

Voilà les points forts qu’il nous a semblé intéressant de mettre en avant.

M. Christian Bataille, député, rapporteur. Compte tenu de la taille de notre parc nucléaire, le stockage direct des combustibles usés nous poserait un problème comparable à celui rencontré aux États-Unis. Indépendamment de l’échec du centre de stockage de Yucca Mountain, lié à la situation politique, celui-ci était de toute façon d’une capacité insuffisante pour accueillir l’ensemble des combustibles usés.

Pensez-vous que l’abandon du retraitement conduirait, à terme, à l’abandon de l’énergie nucléaire ? J’ai l’impression que les États-Unis sont sur cette pente. Depuis vingt ans, ils n’ont démarré qu’un seul nouveau réacteur nucléaire, en juin 2016 dans le Tennessee. Le précédent était entré en service au sein de la même centrale en mai 1996.

M. Jean-Claude Duplessy. Si un nombre conséquent de pays se dotent de réacteurs nucléaires, l’évolution des réserves d’uranium sera similaire à celle du pétrole. Avec cinquante ou cent ans de réserves, l’énergie nucléaire ne sera qu’une parenthèse dans l’approvisionnement énergétique de la planète. Il sera ensuite certainement difficile de se rabattre sur le Thorium. Par conséquent, l’arrêt du retraitement conduit à moyen terme à l’arrêt de l’énergie nucléaire.

M. Maurice Leroy. Cela signifie aussi perdre toute crédibilité dans ce domaine, comme tout pays qui se désengage d’une industrie.

M. Christian Bataille. Pourtant, les Allemands sont anti-nucléaires, mais continuent à vendre des matériels aux centrales.

M. Maurice Leroy. C’est exact, mais ils ne vendent pas de réacteurs.

Un autre aspect important concerne CIGEO. Si l’on décide de procéder à un stockage direct des combustibles, cela implique de stocker également 40 000 tonnes d’uranium et 360 tonnes de plutonium. CIGEO deviendrait ainsi une mine d’uranium et de plutonium. Ce n’est pas ce qui a été annoncé à la population et au Comité local d'information et de suivi (CLIS). Avec la vitrification, une fois le stockage rempli, celui-ci contiendra environ 3 tonnes de plutonium réparties dans 60 000 colis.

M. Christian Bataille. Disposons-nous des moyens techniques et humains nécessaires pour le stockage direct ?

M. Maurice Leroy. Sur le plan technique, l’ANDRA a indiqué avoir étudié la possibilité de descendre les combustibles dans l’installation de stockage.

Quant aux moyens humains, ce sera plus difficile si on arrête l’aval du cycle, AREVA représentant à lui seul vingt-mille personnes.

M. Christian Ngo, conseiller scientifique de l’étude. Si on arrête le retraitement, donc à moyen terme l’industrie nucléaire, il deviendra difficile de recruter de jeunes ingénieurs et techniciens dans ce domaine.

M. Robert Guillaumont, membre de la CNE. Nous avons fait le point sur les déchets très faiblement radioactifs, voire très-très faiblement radioactifs. Il y a d’abord les déchets très faiblement radioactifs (TFA) actuellement gérés par l’ANDRA au Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (CIRES), à Morvilliers. La Capacité de centre, de 600 000 mètres cubes peut être étendue à 900 000 mètres cubes. Il devrait être saturé vers 2030.

L’ANDRA recherche un nouveau site de stockage de déchets TFA. Le volume, extrêmement important, de 0,6 à 1,2 million de mètres cube, dépend de la politique de site des industriels.

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Ensuite, il y a aussi les déchets à radioactivité naturelle renforcée, appelés TENORM (Technical Enhanced Occurring Radioactive Material). C’est un problème ancien, en tout cas bien connu à l’étranger. L’Autorité environnementale estime le volume des TENORM à plusieurs millions de mètres cube. Il faut y ajouter les déchets historiques, à Malvési, et les déchets miniers et stériles.

Le premier point, c’est que le transport de l’ensemble de ces déchets, représentant des volumes considérables, soulèvera des problèmes de logistique difficiles.

Ce sont les TENORM qui poseront le plus de problèmes, car ce sont de nouveaux déchets. Comment peut-on les caractériser ? Ils proviennent de la concentration de la radioactivité naturelle, lors de retraitements chimiques industriels qui ne sont pas destinés à obtenir des matières radioactive. Ils contiennent tous les radionucléides présents dans la nature, essentiellement du potassium 40 (40K), tous les radionucléides des trois familles naturelles, en particulier le radium 226 (226Ra), de période relativement longue, le thorium 230 (230Th) et tous les isotopes du radon. Ils contiennent également fréquemment des toxiques chimiques. Leur activité varie de un à cent becquerels par gramme.

S’ils étaient issus de l’industrie nucléaires, les TENORM seraient, pour l’essentiel, considérés comme des déchets de très faible activité (TFA) et de faible activité à vie longue (FAVL).

La radioactivité naturelle n’est, ni plus, ni moins dangereuse que la radioactivité ajoutée. La dose par unité d’incorporation (DPUI) pour un adulte par ingestion, exprimée en sieverts par becquerels, est l’une des mesures significatives de la dangerosité des radionucléides. À cet égard, les radionucléides artificiels, usuellement considérés dans les analyses de sûreté, tels le césium 135 ou 137 (135/137Cs), le plutonium 238 ou 239 (238/239Pu), le strontium 90 (90Sr) ou l’iode 129 (129I) s’inscrivent dans les mêmes ordres de grandeur, 10-9 à 10-7, que les radionucléides naturels mentionnés précédemment. On peut donc considérer que ces deux types de radionucléides ont les mêmes caractéristiques, en termes de calculs de radioprotection.

À ce jour, seule une faible partie de ces grandes quantités de TENORM a été traitée. Ils font généralement l’objet d’une étude d’acceptabilité, définie dans la circulaire du 25 juillet 2006 relative aux installations classées, entre le producteur des déchets et l’industriel qui gère les centres de stockage. Ils ne peuvent être à ce jour acceptés que dans quatre installations de stockage de déchets dangereux (ISDD). À peu près 120 000 tonnes de TENORM ont été déposés dans ces derniers en dix ans. 2 100 mètres cubes ont déjà été stockés au CIRES et 21 000 mètres cubes sont inscrit à l’inventaire des déchets FAVL.

Les déchets s’apparentant à des TENORM, mais non classés comme tels, les déchets de Malvési – en dehors ceux destinés à l’entreposage ECRIN (entreposage confiné des résidus issus de la conversion) – relèvent d’un régime

d’installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE). Les déchets miniers, stockés avec des stériles dans dix-sept centres, relèvent, quant à eux, d’une gestion particulière, régie par les Codes minier et de la santé.

On devine, au travers de la directive Euratom 2013/59, ce que sera la gestion future des TENORM. Cette directive va être transposée par ordonnance, dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Il est prévu de définir un seuil. Au-dessus de ce seuil, les déchets TENORM seront dirigés vers les filières de déchets TFA et FAVL, et en dessous ils iront vers les filières de déchets conventionnels. Il n’y aurait donc plus d’ISDD. Cette évolution pose un certain nombre de questions, notamment le choix du seuil et la difficulté de sa mesure, la création de stockages dédiés, ou encore l’assainissement des ISDD ayant déjà accepté des TENORM dépassant le seuil fixé. Si le seuil est bas, le volume des déchets radioactifs va évidemment augmenter.

Ce mode de gestion présente des incohérences. Les déchets à radioactivité naturelle renforcée, issus de l’industrie conventionnelle, seront soumis à un seuil pour être orientés, soit vers des filières conventionnelles, soit vers les filières gérées par l’ANDRA, alors que les déchets à radioactivité naturelle issus de l’industrie nucléaire seront systématiquement orientés vers ces dernières.

Comme l’a indiqué la Commission d’évaluation dans son rapport numéro dix, on ne voit pas émerger une cohérence de gestion et d’acceptabilité.

M. Jean-Claude Duplessy. La doctrine doit-elle évoluer en ce qui concerne les déchets de très faible activité ? Cette question a donné lieu à une audition de M. Jacques Repussard par l’OPECST. On ne peut que le paraphraser, en disant qu’il y a très clairement un problème de gestion. Nous ne sommes pas dans une situation cohérente. M. André-Claude Lacoste, ancien président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), a expliqué, à l’occasion de cette audition, que la doctrine qu’il avait lui-même mis en place à l’époque avait été imposée par le comportement absolument inacceptable de certains acteurs de la filière nucléaire, et qu’ il serait à présent possible de la faire évoluer, compte tenu des moyens de contrôle disponibles.

Un point qui semble important, c’est qu’une valorisation éventuelle des déchets TFA doit être industriellement viable. Si on pense que le recyclage pourrait se faire uniquement au sein de la filière, les calculs montreront assez vite que ce n’est pas suffisant. Si on impose une traçabilité à deux ou trois niveaux, aucun industriel ne voudra investir, même si le métal lui est donné. Actuellement, personne ne s’inquiète du sort des métaux retraités en Allemagne. Comme l’a souligné M. Jacques Repussard, c’est un problème qu’il faut aborder sous un angle sociétal. Une fois qu’un accord de la société sera obtenu, il sera temps de s’assurer que l’on est bien capable de mesurer le niveau de radioactivité des déchets.

M. Christian Bataille. Qu’en est-il exactement des pratiques des autres pays occidentaux : États-Unis, Allemagne, Suède, etc. ?

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M. Robert Guillaumont. L’Allemagne s’est dotée de seuils de libération.

Mais les conditions de la libération sont extrêmement complexes, cinquante radionucléides doivent être mesurés, ce qui nécessite une découpe préalable à l’échelle du kilogramme et de nombreux détecteurs. Une partie du métal ainsi libéré va dans des aciéries et l’autre dans les centres conventionnels de déchets. La mise en œuvre technique n’est donc pas simple.

Les États-Unis sont gênés par les TENORM, car les gaz de schiste en génèrent en grande quantité.

M. Christian Ngo. En Chine, un projet visait même à extraire l’uranium des filtres des centrales à charbon.

M. Stanislas Pommeret, conseiller scientifique de la CNE. En France, l’Autorité environnementale a estimé la quantité de TENORM à plusieurs millions de mètres cube.

M. Robert Guillaumont. Actuellement, une grande partie de ces TENORM est laissée en tas sur les sites industriels.

M. Christian Ngo. Les TENORM révèlent la différenciation des retraitements, tout ce qui sort d’une centrale nucléaire étant considéré radioactif, alors qu’ailleurs, tout est possible.

M. Maurice LAURENT. Lorsque je siégeais au conseil d’administration de l’IRSN, j’ai observé que M. André-Claude Lacoste était systématiquement opposé à toute idée de seuils de libération, surtout par méfiance à l’égard des entreprises situées à l’extrémité de la chaîne. Je soutenais la création de tels seuils.

Lorsqu’on a vu le système allemand, compte tenu de sa complexité, l’enthousiasme est retombé.

M. Christian Ngo. Le problème est moins celui de la loi, que du contournement de la loi. À Orsay, au fond d’un accélérateur, une plaque d’or avait ainsi été volée. Elle a probablement était diluée dans une plus grande quantité d’or, mais des personnes portent certainement des bagues radioactives.

M. Stanislas Pommeret. En Hongrie, nous avons observé dans un centre de stockage des lingots de fer repérés à la frontière, ce qui implique que de tels lingots circulent en Europe.

M. Maurice Leroy. Au port de Karlsruhe, ce sont même des morceaux de réacteurs russes qui ont été détectés.

M. Pierre Demeulenaere, membre de la CNE. Il y aurait certainement une étude comparative à faire sur les seuils de libération pratiqués dans les différents pays et sur les raisons scientifiques et sociales de ces seuils, et les conséquences industrielles. Tout cela reste décidé à l’échelle nationale.

M. Christian Bataille. Des normes internationales existent, au niveau de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et de l’Union européenne.

Dans notre rapport, nous essayerons de faire des propositions pour avancer.

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5. Audition de M. Bruno Blanchon et M. Clément Chavant, CGT - FNME, le

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