• Aucun résultat trouvé

La littérature sociolinguistique utilise aussi bien le terme de représentation que

celui d’attitude pour caractériser les comportements (verbaux et non verbaux) des

individus. Dans notre étude qui s’intéresse, justement, aux comportements verbaux des locuteurs de français, les notions de représentation et d’attitude linguistique trouvent leur place.

La notion d’attitude linguistique s’emploie en psychologie sociale du langage

dans une acception plus restreinte qui porte sur la manière dont les sujets parlants évaluent soient des langues, soient des variétés linguistiques, soit des locuteurs s’exprimant dans des langues ou des variétés linguistiques particulières. Cette acception corrobore avec notre appréhension des attitudes linguistiques en contexte gabonais.

Le sociolinguiste américain William Labov (1976), pionnier dans le domaine, a étudié les attitudes linguistiques au sein d’une communauté linguistique qui, avant son étude, apparaissait comme homogène (Lille de Martha’s Vineyard en 1961–62 et la ville de New York). Labov appelle ce phénomène d’attitudes linguistiques par « normes évaluatives» et les considère comme élément explicatif du changement linguistique. Nombreux sont des auteurs qui emploient le terme d’attitudes parallèlement à d’autres tels que : représentations, normes subjectives, évaluation subjective, opinion, etc.

À notre avis, la langue n’étant pas une et indivisible, commune et identique à tous sujets sociaux, il existerait certainement des attitudes linguistiques qui peuvent répondre à notre questionnement. En conséquence, dans une aire de vie comme celle

47 du Gabon géographique où coexistent diverses langues et diverses communautés linguistiques, il est normal d’aller observer les attitudes linguistiques. D’ailleurs les migrations des populations telles qu’elles se sont produites au Gabon, internes (exode rural) comme externes (immigrations des peuples étrangers africains et européens) nous conduisent à penser que la cohabitation des langues, des identités et même la crise économique viennent alimenter les attitudes des uns envers les autres.

Au regard des travaux entrepris par William Labov (1976) sur les attitudes linguistiques à New-York, à Harlem, etc., l’on peut y voir que ces terrains sociolinguistiques montrent deux choses principales. Premièrement, les attitudes linguistiques se forment souvent envers le bi ou le plurilinguisme, en tant qu’état de fait, plutôt qu’envers une langue en particulier. Deuxièmement, les attitudes sont le résultat d’un sentiment d’« insécurité linguistique » qui établit une langue comme dominante par rapport à l’autre, dominée. Le Gabon ou plus particulièrement l’université se présente comme un « terrain propice » où viennent se croiser diverses langues, diverses identités, divers groupes ethnolinguistiques, etc., l’on peut y trouver les caractéristiques sociolinguistiques générales étudiées en terrains africains ou ailleurs.

Parlant des caractéristiques générales des attitudes langagières/ linguistiques, nous retenons quelques définitions liées au langage car c’est d’abord dans et à travers le langage que cette étude prend appui. Selon Dubois par exemple, « …Les attitudes langagières constituent l’ensemble des opinions explicites ou implicites sur l’usage d’une langue » (Dubois et al., 2007 : 57). D’après Hermandez-Campoy (2005), « la réponse intellectuelle et affective, arbitraire et subjectif, des membres d’une société face aux langues et aux variétés de leur environnement social » (Hermandez-Campoy, 2005 : 47). Allant dans le même ordre d’idées, D. Moore (2001), écrit que : « l’attitude généralement définie comme une disposition à réagir de manière favorable ou non à une d’objets. […]. Les définitions classiques de l’attitude distinguent trois composantes […] : une composante cognitive, une composante affective et la dimension conative qui détermine les intentions actions et infecte les comportements. » (Moore, 2001 : 12–13).

Toutes ces définitions révèlent les caractéristiques principales des attitudes notamment implicites/explicites, affectives, personnelles, etc., et nous poussent à tenir

48 compte de tous ces paramètres dans l’élaboration de nos outils de recherche (questionnaire, les variables, particularité du public visé, etc.). Autrement dit, avoir une attention considérable sur la notion d’attitude dans le cadre de notre étude nous conduit, non seulement, à porter un regard sur les locuteurs, leurs dires et leurs particularités, mais également, à tenir compte de la réalité sociolinguistique du pays d’enquête.

Quant aux attitudes sur le langage, Houville (2014) note qu’« il convient d’approfondir notre identification car on peut distinguer différents stades, différents types, différentes composantes dans les attitudes linguistiques. ». Pour illustrer son point de vue, Houville (2014) convoque Henri Boyer qui rattache les attitudes linguistiques au monde plus large des « imaginaires de la/des langues » (Boyer, 1996 : 16 cités par Houville, 2014 : 18). Il ajoute que le rapport entre les attitudes et le comportement est de l’ordre de la symbiose comme l’illustre selon lui, Boyer (1996) dans le tableau ci-après

Tableau 1 : Articulation entre usages et imaginaires linguistiques.

Source : Boyer, 1996 : 16

Imaginaires sociolinguistiques -représentations,valeurs, idéologies,mythes, stéoréotypes

(idéalisation, folklorisation, stimatisation, ...) -attitudes, sentiments

(purisme, loyauté, préjugés, insécurité…) - Evaluations, opinions

(normatives, puristes, …)

-activité épilinguistique ordinaire

- comportement Usages et pratiques sociolinguistiques (ratages, hypercorrections…)

-interventions, productions métalinguistiques (prise de position, gestes militants, dictionnaire…)

49 Les explications que Houville (2014) donne à ce tableau sont les suivantes : à la « partie gauche du tableau, une double flèche illustre l’influence mutuelle entre les « imaginaires sociolinguistiques » et la réalisation physique, verbale, conative qui est engendrée : les « usages et pratiques ». […] partie droite détaille les différentes composantes des attitudes : relevant à la fois du psychisme, les affects et du vécu (valeurs, sentiments, opinion, évaluation) mais également de fonctionnements qui dépassent le cadre strict de l’individu (idéologies, mythes, stéréotypes). […]. Le schéma de Boyer (Fig.2) (1996) est, en fait, l’application linguistique schéma générale de Vallerand et al. (Fig.1) (Houville, 2014 : 18-19).

Hormis la structure de la langue, Marina Yguello (1988), distinguent des attitudes linguistiques de trois natures différentes :

« 1) explicatives, conduisant à des rationalisations, à des tentatives de

théorisation, ainsi par exemple sur l’adéquation du genre grammatical et du genre

naturel, sur l’origine des mots et des langues, etc. ;

2) appréciatives, se traduisant sur des jugements sur la beauté, la logique, la clarté, la simplicité de langue ;

3) normatives, s’exprimant par l’opposition à toutes les formes de « corruption » de la langue. » (Yaguello, 1988 : 13).

Ces trois natures différentes d’attitude semblent mutuellement exclusives. Comme le souligne Houville (2014), « un individu ayant une attitude normative appuiera certainement son argument (inconsciente/psychique ou consciente/verbalisée) sur des éléments appréciatifs ou explicatifs ».

Sous un autre point de vue, Gardner (1985) distingue trois autres natures pour les attitudes linguistiques. L’auteur propose en premier les attitudes « d’intérêt éducationnel », les attitudes « d’intérêt sociétal » et enfin les « positionnements attitudinaux plus généraux » (Gardner, 1985 : 40). Dans son étude sur les attitudes linguistiques en rapport avec l’acquisition et l’apprentissage des langues étrangères Gardner montre que les attitudes « d’intérêt éducationnel » sont celles qui, selon lui, influent sur la motivation à apprendre une langue. Les attitudes « d’intérêt sociétal » concernent celles à mettre en rapport avec l’environnement social du sujet, et ne concernent non seulement l’acquisition ou l’apprentissage d’une langue seconde, mais

50 aussi la langue, le langage en général. Troisièmement, les « positionnements attitudinaux plus généraux » relèvent de fonctionnements tels que l’ethnocentrisme ou l’autoritarisme par exemple (Gardner, 1985 :40). La dernière catégorie peut être mise en rapport avec la première composante des « imaginaires linguistiques » selon Boyer (cf. Fig 2), c’est-à-dire les idéologies, mythes et représentations, lesquels sont formés à l’échelle de la société et pas simplement de l’individu. En dépit de leur traduction trompeuse, les attitudes « d’intérêt sociétal » pour souche l’individu. Mais, leur intérêt dans notre travail, vient en effet, de ce qu’elles peuvent entraîner dans les révélations inter-individus au sein de la société d’étude.

Ainsi, nous pouvons voir à travers ce qui précède que les attitudes linguistiques possèdent différentes formes et surtout, plusieurs natures suivant les objets d’études. Ces longs exposés sur les notions de représentations et d’attitudes linguistiques/ langagières s’explique par le fait que notre étude a, en partie, une orientation sociolinguistique à travers laquelle nous analysons les attitudes des étudiants à l’aide des méthodes qualitative/ quantitative. Les réponses et réactions que nous obtiendrons à partir d’un questionnaire d’ordre sociolinguistique vont nous permettre de saisir, en partie, une facette de la réalité du français des locuteurs/francophones/lettrés en contexte formel.

La notion de l’attitude linguistique est celle de représentation linguistique que nous venons de passer en revue semblent confondues. Mais, en s’appuyant sur des analyses plus récentes, il est remarqué qu’il y a une distinction entre ces deux notions. D’une part l’attitude linguistique « qui ressortit davantage aux théories et aux méthodes de la psychologie sociale » et d’autre part, la représentation linguistique qui « doit plus à l’étude contrastive des cultures et des identités et relèverait plutôt de concepts et de méthodes ethnologiques » (Gueunier, 1997 : 247). À son tour, Dominique Lafontaine (1986) souligne à ce propos que « il y a d’abord les représentations, l’image mentale de la langue, puis les attitudes, les jugements qui en découlent : les représentations, ces « savoirs naïfs », « ne [constituent] pas un simple reflet du comportement linguistique, mais une construction, plus ou moins autonomes, plus ou moins indépendantes, selon les cas, de la réalité observée » (Lafontaine 1986 : 14). Selon lui les attitudes comportent essentiellement une valeur évaluative (ibidem, 1986 : 19). Alors les attitudes sont uniquement associées au jugement sur les langues. Ensuite,

51 l’examen des notions par divers auteurs met en avant le trait commun entre la notion de représentation linguistique et celle d’attitude linguistique qui est le phénomène d’« épilinguistique ». L’épilinguistique est définie comme étant un « savoir inconscient qu’à tout locuteur de sa langue et de la nature du langage »

Ce trait épilinguistique commun aux représentations et attitudes linguistiques « … les différencie des pratiques linguistiques et des analyses métalinguistiques, qui se distinguent théoriquement par le caractère moins actif (moins orienté vers un comportement), plus discursif et plus figuratif des représentations, et, méthodologiquement, par des techniques d’enquêtes différentes [i.e. des interactions aussi naturelles que possible] » (Gueunier, 1997:247–248). Pour ce qui est de notre recherche, dans le questionnaire que nous avons établi et adressé aux étudiants dans la période de pré-enquête, nous pouvons y lire une sorte de distinction de ces deux termes (attitudes et représentations linguistiques). Car, nous y inscrivons des questions qui ont trait à l’usage d’autres langues que la langue française dans laquelle communiquent nos informateurs et, celles qui les invite à y inscrire ce que représente pour eux la langue française.

Dans la sociolinguistique urbaine par exemple, le terme d’attitude est conceptualisé pour les situations urbaines particulièrement multilingues où le contact de langues est d’une évidence notable. La distinction dans ces situations urbaines se

fait autour des propositions initiales de Tsekos (1996) sur les normes identitaires à

partir desquelles il distingue les attitudes linguistiques des attitudes langagières. Ainsi, pour y cerner les différents types de discours normatifs, il est proposé de « réserver le

terme d’attitude linguistique à toute attitude qui a pour objet la langue en tant que

système, en tant que norme réelle ou imaginaire, et qui induit les comportements

normatifs, prescriptifs ou non, tolérant ou puriste. (…) [et de poser le terme] d’attitudes

langagières [pour] celles qui ont pour objet le langage et les usages en tant qu’éléments marqueurs d’une catégorisation du réel (Bulot et Tsekos, 1999). Cette deuxième proposition cadre avec notre entreprise d’étude sur le français des enseignants et des étudiants dans le sens où cette étude de cible pas la langue française en tant système mais plutôt son usage, les différentes manières de parler français, la variation du français.

52

De ce point de vue, nous pensons mettre en relief l’impact du plurilinguisme

gabonais sur le français, seule et exclusive langue officielle.

Documents relatifs