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Avec la scolarisation des jeunes filles et la présence des religions dites révélées, l’Atovlê, rite de célébration des premières règles est pratiqué, aujourd’hui, à volonté par certaines familles et de façon symbolique par d’autres. En effet, le brassage culturel couplé aux principes religieux opposés à ce rite, ont souvent provoqué cette mutation culturelle. C’est un « sentiment de profonde désorientation qu’éprouvent les personnes et les groupes mis soudainement en contact avec un milieu culturel dont les traits se révèlent inconnus, incompréhensibles, menaçants » (Carrier,1992, p.70). Il en résulte alors la marginalisation progressive de ces systèmes de valeurs qui tendent à disparaître de nos jours, au profit d’une autre culture dite occidentale ou moderne. Cette situation a engendré, par la même occasion, une perte de l’identité culturelle voire, une acculturation constatée au niveau des jeunes générations. « Aujourd’hui, chacun fait ce qu’il veut. Toutes les petites filles de 14 ans, 15 ans du

village ont fait enfants sans être lavées. Notre société est gâtée. Les gens ne respectent plus nos coutumes et les vieux. Tout ça attire le malheur sur nous.» s’est exprimée avec regret K.K.T. (74 ans).

En prenant le contrepied, Y.P. (16 ans) a soutenu ceci : « Ils ont eu la chance qu’ils ne m’ont pas informée qu’ils venaient me laver. Je ne serais pas venue. Ils m’ont perdu tout le temps ici avec leur coutume bizarre, alors que j’ai beaucoup de devoirs à rendre à la rentrée. C’est n’importe quoi ! Je suis déçue de papa qui est intellectuel, mais qui fait des choses comme ça. »

Ainsi, avec le relâchement au niveau de l’Atovlê et partant du contrôle social, l’on assiste, de plus en plus, à une déviance comportementale avec son corollaire de précocité sexuelle et de grossesses non désirées chez les jeunes adolescentes. En effet, les jeunes se sentent plus libres de vivre leur sexualité, sans crainte de se faire réprimander par les aînés sociaux. Par ailleurs, l’on constate que le passage à l’âge adulte dans la société moderne semble être de moins en moins régi par la société mais par l’individu lui-même.

Le passage de l’enfance à l’âge adulte ne semble plus être marqué par un stade, mais par un mode de passage continu à l’inverse des sociétés traditionnelles (Balland, 2015). A l’adolescent de trouver des équivalents, des rites intimes de passage et de fabrication du sens (Le Breton, 2005). Et à ce titre, les conduites à risques constituent une réponse possible, comme un chemin de contrebande pour se construire une identité en se confrontant aux limites, qu’elles soient sociales ou individuelles (Balland, 2015). Ainsi, la consommation d’alcool chez les adolescents peut, dans une certaine mesure, avoir valeur de rite, parfois initiatique dans un contexte particulier (fêtes de famille, examen, mariage, ...) mais également perverti lorsqu’il n’a aucune valeur socialisante (Idem, 2015).

CONCLUSION

Cette étude se veut une contribution à la recherche sur les pratiques socioculturelles comme l’Atovlê qui survit encore dans un contexte de mutations sociales, culturelles, économiques, politiques et symboliques. L’Atovlê, une institution socioculturelle dans la société Baoulé-Agba, trouve son ancrage dans les différentes fonctions qu’elle remplit. Sa première fonction est la régulation des pratiques sexuelles des jeunes filles et leur intégration dans

la catégorie des femmes. La seconde est relative à l’exhibition des capitaux et des biens patrimoniaux de la famille. La troisième est la fonction communicative.

Certes, l’Atovlê a des répercussions négatives sur l’état de santé des jeunes adolescentes au plan psychologique, de par l’angoisse et les stress qu’il génère. Toutefois, par ce rite, la jeune fille se reconstruit une nouvelle identité sociale et s’acquiert un nouveau statut social qui lui permettent de s’intégrer dans la catégorie des femmes. Aussi, les dynamiques éducationnelles au plan socioculturelles sont-elles perceptibles. En effet, l’Atovlê a subi une évolution et un changement avec le temps (Segalen, 2009). Le rite de célébration des premières menstruations ne se fait plus de façon mécanique car son caractère coercitif tend à disparaître. Cette étude a tenté de montrer comment des institutions traditionnelles comme l’Atovlê peuvent être capitalisées au niveau macro social (Etat), méso social (communes, structures éducatives, …) et microsocial (villages, familles), à l’effet de contribuer à la lutte contre les rapports sexuels précoces et les grossesses non désirées chez les adolescentes, surtout en milieu scolaire. Certes, les menstrues peuvent survenir précocement chez une jeune fille de 11, 12 ou 13 ans, voire, un peu plus tôt. Une telle situation peut paraître, à première vue, comme un encouragement aux rapports sexuels précoces chez cette dernière au cas où son lavage intervenait aussitôt. Cependant, les jeunes filles elles-mêmes, leurs parents et la communauté villageoise, conscients des risques encourus, développent des stratégies pour se mettre à l’abri de telles situations.

D’abord au niveau des jeunes filles : Le caractère éprouvant et contraignant de ce rite de célébration fait qu’elles réprouvent cette étape de leur parcours de vie. C’est ce qui justifie, en partie, les nombreux cas de fugue. Pour se mettre à l’abri, elles se réfugient dans un silence tout en observant une grande discrétion, quand les premières menstrues surviennent. Elles continuent de vaquer à leurs occupations, d’aller puiser l’eau dans la rivière interdite au femmes menstruelles comme si de rien n’était. Et même quand les règles douloureuses ont tendance à les dévoiler, parfois avec la complicité de leurs mamans, elles attribuent la douleur à d’autres pathologies.

Elles peuvent jouer à ce jeu de cache-cache pendant des années, le temps pour elles de se sentir véritablement « femmes ».

Ensuite, au niveau des parents géniteurs : Pour ne pas exposer leur fille qui a eu ses premières menstrues, la mère et le père restent aussi généralement muets. Ils font semblant de ne rien voir, de ne rien entendre. Mais, c’est surtout à la mère que revient le devoir d’aider sa fille à gérer son nouvel état, dans la plus grande discrétion.

Dans tous les cas, il appartient aux parents géniteurs de décider, en premier lieu, du sort de leur fille. Ils peuvent, soit garder le silence pour un temps déterminé, soit informer leurs proches. Dans la plupart des cas, les géniteurs se taisent dans le but de toujours poursuivre l’éducation de leur fille jusqu’à sa majorité civile (18 ans) avant de célébrer ses premières menstrues et de penser à un quelconque mariage, du moins, pour celles qui ne vont pas à l’école.

Pour les filles scolarisées, le problème ne se pose pas en ce sens que les parents, soucieux de l’avenir de leurs enfants, mettent tout en œuvre pour qu’elles poursuivent leurs études.

Enfin, au niveau de la communauté villageoise : Dans la société traditionnelle, le contrôle social étant très fort, les hommes ne sollicitent en mariage que les filles lavées et majeures ; les plus jeunes étant considérées comme des mineures.

Au regard de ce qui précède, une relecture de cette institution traditionnelle ne peut-elle pas contribuer à l’enculturation des jeunes générations dans le domaine de la lutte contre les rapports sexuels précoces et les grossesses non désirées ?

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