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z ASSOCIER LA FAMILLE ET LES AMIS

Exemple en zone rurale : plusieurs jeunes femmes qui étaient suivies par un service de pré- vention avaient des difficultés à s’inscrire dans les dispositifs existant sur le territoire. L’une d’entre elles a été accompagnée via le dispositif Projet jeunes par le correspondant Envie d’agir pour un projet d’écriture. Deux mois plus tard, deux autres jeunes femmes, soute- nues par leurs éducatrices, sollicitaient le correspondant pour un projet autour du slam. Exemple en zone urbaine : le correspondant Envie d’agir et les accompagnateurs de terrain avaient une difficulté à faire remonter ou à impulser des projets de jeunes sur un quartier choisi dans le cadre de l’expérimentation. Ces freins ont été levés lorsque trois jeunes hommes ont fait le premier pas vers le programme pour être accompagnés dans un projet de création d’activité économique. Voyant que ce projet commençait à prendre forme et à se concrétiser, trois autres jeunes de l’en- tourage de ces premiers ont pris contact avec le correspondant pour la création d’une activité similaire.

Ces exemples permettent de mettre en valeur les phénomènes qui sont en jeu dans le pro- cessus d’identification à des figures d’exemplarité :

– l’image des pairs qui portent, à travers leur projet, un idéal proche en termes d’apparte- nance sociale et générationnelle de celui auquel ils aspirent ;

– la manifestation tangible que cet idéal est de l’ordre de l’accessible : « Il faut qu’il y en ait un qui fasse le premier pas et les autres, ils suivent » ;

– le fait que certains aient réussi avant de s’engager qui permet aussi d’ouvrir la voie à d’autres qui verront, en l’aboutissement du projet, une garantie d’un sens à l’initiative.

Les difficultés rencontrées par les professionnels pour faire émerger

les projets des jeunes sur les territoires urbains et ruraux

La difficulté rencontrée par les professionnels à mobiliser des jeunes a été une sorte de fil conducteur tout au long de la recherche. D’un côté, les professionnels sillonnent les immeubles ou les arrêts de bus pour maintenir le lien social de ceux qui s’y sont échoués, parfois depuis plusieurs années, de l’autre, les jeunes ont l’espoir secret que ces derniers réussiront un jour à les amarrer pour les arracher de ce banc sur lequel ils ont parfois l’im- pression d’être collés. Les difficultés des professionnels à faire émerger les projets de jeunes sont prises dans une tension entre l’intérêt porté par leur hiérarchie aux projets de jeunes et la réalité des jeunes sur le terrain.

La difficulté des professionnels à mobiliser les jeunes les plus en rupture

L’hétérogénéité et la complexité des problématiques des jeunes

Susciter l’envie de s’investir chez les jeunes les plus en rupture constitue, dans le discours des professionnels, la tâche la plus difficile de l’accompagnateur. Les mécanismes de résistance chez les jeunes sont d’autant plus compliqués à cerner qu’ils sont toujours le fruit d’une histoire singulière et complexe. L’une des difficultés des professionnels va donc être de trouver les outils et les ressources afin de répondre à cette pluralité de problématiques.

La discontinuité des actions éducatives en fonction des tranches d’âge

Nombreuses sont les structures qui expriment leurs difficultés à limiter leur accès à la tranche d’âge qu’elles sont censées recevoir, en particulier lorsque la municipalité n’a pas prévu de structures adéquates à l’âge des populations accueillies. Cela se fait ressentir jusque dans le travail d’animation et d’accompagnement. Ainsi, comment faire lorsque des jeunes adultes continuent à fréquenter le lieu malgré le dépassement d’âge, créant ainsi un problème pour les plus jeunes parfois chassés de la structure qui leur est pourtant destinée ? Certains professionnels ont souligné qu’un jeune de 25 ans peut parfois remplir ses journées

avec les mêmes occupations qu’un jeune de 13 ans. Ainsi les institutions socio-éducatives ne permettraient pas de construire des repères temporels en fonction de la maturation des individus et de leur appartenance générationnelle.

L’urgence de certaines situations sociales, économiques ou sanitaires

Les partenariats créés dans le cadre de l’expérimentation avec de nouveaux acteurs travaillant auprès des publics en situation d’urgence (mission locale, centre d’hébergement et de réinser- tion sociale) montrent que la mise en projet d’un jeune n’est possible qu’à partir du moment où ce jeune a acquis les moyens de première nécessité (logement, santé, nutrition), la mise en projet et l’accompagnement à une insertion ne pouvant se faire que dans un second temps.

La versatilité ou l’immobilisme des jeunes à l’égard de leur objet d’investissement

L’investissement du jeune dans une dynamique de projet se caractérise par le fait qu’il se mobilise sur un « objet d’investissement ». La notion d’objet n’est utilisée ici que pour dési- gner le but et le contenu du projet dans lequel est investi le jeune porteur de projet. L’objet d’investissement désigne par exemple une activité de danse hip-hop, une création théâtrale ou une activité économique créée par le jeune. Il est le support qui permet au jeune et à son accompagnateur d’entrer et de s’inscrire dans une démarche de projet. Le choix d’opérer une distinction entre le terme de « projet » et celui d’« objet » est délibéré. Une confusion de langage amène souvent les accompagnateurs à parler de projet comme si celui-ci était toujours matérialisable (« Est-ce que tu as un projet ? »).

Or, dans la logique de l’individu, celui-ci n’acquiert pas un projet, il est en projet et il s’ap- puie sur le support d’une activité qu’il va pouvoir projeter dans le temps pour se mettre lui- même en projet. Cette distinction est primordiale si l’on veut comprendre les difficultés que peuvent rencontrer les professionnels face à la versatilité ou à l’immobilisme des jeunes. Elle permet notamment d’apporter deux éclairages importants :

Ce sont des trucs intuitifs, de bon sens : on arrête  tout quand quelqu’un arrive pour être disponible.  L’accueil,  c’est,  par  exemple,  sortir  une  bêtise  pour  désamorcer  les  tensions,  toucher,  prendre  dans  les  bras :  c’est  complètement  naturel,  pas  calculé. Il y a toujours à manger quand quelqu’un  vient. C’est comme à la maison. Les mamans ap- portent des choses… Le cadre, les meubles, tout  est fait pour donner l’impression qu’on est dans  un salon et pas dans un bureau. Avec les gens  qui viennent, on s’assied côte à côte. Quand on  reçoit, c’est une invitation. Il s’agit d’un accueil global de tous les problèmes,  simultanément. C’est un travail qui se fait avec les  gens et auprès d’eux, en prenant le temps de les  connaître, de façon naturelle, familiale, sincère :  si  on  n’est  pas  d’accord,  on  le  dit.  Le  “parler  vrai” est la règle : on s’explique, on parle, on se  regarde, on s’engueule éventuellement. On n’a  pas cette étiquette de professionnels distants des  usagers. Les gens ont besoin d’être entendus…  Il faut que toutes les solidarités, toutes les com- pétences, les capacités de chacun soient mises  au service de l’autre, dans l’objectif de prendre  en  main  l’organisation  du  quotidien.  On  n’est  pas dans l’assistanat, parce que les ressources  des personnes seront mobilisées autant que les  ressources extérieures possibles. Mais il s’agira  aussi de prendre en main et de faire à la place  des personnes lorsque faire faire n’aboutit pas et  l’accompagnement non plus. On doit être pour  les gens une base de repli face à toutes les vio- lences, les agressions institutionnelles ou privées,  familiales. Les gens nous considèrent comme des  alliés… La convivialité, c’est vouloir porter plus  d’attention à l’autre qu’à soi-même, lui porter plus  d’intérêt, lui vouloir plus de bien qu’à soi-même.

Zorica Kovacevic, directrice de l’Association pour la promo- tion culturelle intercommunautaire stannoise (APCIS/Stains)