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Association entre VIH+ et développement d’une leucémie aiguë! !68!

IV. Discussion ! !67!

2. Association entre VIH+ et développement d’une leucémie aiguë! !68!

Les données épidémiologiques françaises et internationales montrent une augmentation de l’incidence des cancers chez les patients VIH+ depuis la fin des années 1990. Cette population est considérée plus à risque que la population générale du fait de la réplication virale du VIH, de l’immunodépression (nombre et nadir des CD4), de l’exposition à des virus oncogènes (HPV, VHB, VHC, EBV) et d’une forte consommation de toxiques dans cette population (tabac, alcool, cannabis). Certains auteurs ont évoqué une association entre l’infection par le VIH et l’apparition d’une leucémie aiguë mais celle-ci reste cependant incertaine. Nous allons essayer de distinguer ici les mécanismes pouvant participer à l’émergence des leucémies aiguës chez les patients séropositifs.

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a. Les facteurs de leucémogenèse indépendants de l’infection par le VIH

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On distingue des facteurs intrinsèques inhérents à l’hôte et indépendants de sa séropositivité. Il s’agit notamment de certains facteurs de susceptibilité génétique81 (Ex : GATA2) et de polymorphismes comme ceux du cytochrome P45082 qui ont été évoqués comme ayant un potentiel oncogénique.

En opposition aux facteurs intrinsèques, les facteurs extrinsèques sont tous les facteurs extérieurs à l’hôte qui peuvent favoriser la leucémogenèse. Ce sont les facteurs environnementaux auxquels le patient est exposé via son mode de vie ou sa profession comme le benzène, les pesticides ou les radiations ionisantes, toxiques à potentiel

leucémogène.

L’étude des LAL de l’enfant a suscité le développement de plusieurs théories concernant leur leucémogenèse. Kinlen83 émit l’hypothèse selon laquelle les leucémies de l’enfant seraient dues à un agent infectieux non encore mis en évidence84 après l’observation à plusieurs reprises d’une augmentation de l’incidence des leucémies aiguës dans différents sites soumis à des mouvements de population importants. Pour Greaves85, c’est plutôt la

réponse anormale à une infection banale chez les enfants ayant un système immunitaire insuffisamment stimulé par des infections antérieures qui favoriserait chez eux l’émergence de leucémie. Ces deux auteurs pensaient donc qu’un agent infectieux et une dysfonction du système immunitaire pouvaient avoir un rôle dans la leucémogenèse.

b. Les facteurs de leucémogenèse liés au VIH

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Le VIH favorise, comme nous l’avons vu, l’émergence de cancers classant ou non classant au stade SIDA. Leurs traitements qui comportent le plus souvent une chimio et/ou une radiothérapie peuvent induire des leucémies secondaires. (Notamment lorsque des agents alkylants ou des inhibiteurs de la topoisomérase II sont utilisés).

Certaines études avaient discuté d’une éventuelle toxicité des traitements anti rétroviraux. Les inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) sembleraient en effet avoir un rôle mutagène in vitro. Le potentiel oncogénique des ARV n’a cependant jamais été démontré et c’est l’immunodépression au long cours et non la toxicité des ARV qui serait impliquée dans l’émergence de tumeur chez le PPVIH.

Au même titre que l’immunodépression et la dysfonction immunitaire, l’inflammation chronique et l’immuno-senescence induites par l’infection par le VIH pourraient participer à l’ontogenèse des leucémies aiguës. L’altération du micro environnement médullaire par le VIH pourrait également le rendre plus permissif à la leucémogenèse.

L’implication indirecte du VIH en tant qu’oncogène a déjà été décrite dans de nombreuses études s’intéressant à la lymphomagenèse mais son rôle dans la leucémogenèse a peu été étudié. La perte du contrôle immunorégulateur, la stimulation antigénique chronique et l’hyperproduction cytokinique favoriseraient l’infection de l’hôte par d’autres virus oncogéniques impliqués dans l’ontogenèse des lymphomes. Des découvertes récentes supportent que le VIH contribuerait même directement à la lymphomagenèse86. L’international Agency for research on Cancer Monographs a en effet identifié le VIH lui même comme faisant partie des carcinogènes du groupe 1 aux côtés des virus EBV, HVB et HVC, HHV8, HPV, HTLV1 et de helicobacter pylori, clonorchis sinensis, opisthorchis viverrini et schistosoma haematobium87.

Plusieurs études ont essayé de démontrer qu’il existait un lien de causalité entre l’infection par le VIH et le développement d’une leucémie aiguë, faisant ainsi le parallèle avec le virus T lymphotropique humain de type 1 (HTLV-1) et le l’ATLL (leucémie/lymphome T de l’adulte). L’hypothèse virale a déjà été démontrée comme à l’origine de LAL chez certains animaux mais jamais chez l’homme. Murphy and Co88 ont réussi à isoler en 1991 le VIH à partir de cellules myélomonoblastiques circulantes d’un

patient séropositif présentant une LAM 4. Les cellules myélomonoblastiques cultivées en l’absence de facteur de croissance exprimaient l’antigène p24 et la reverse transcriptase dans leur surnageant. Il s’agit cependant de la seule étude ayant réussi à mettre en évidence des particules virales dans des myéloblastes de patients malades, Costello et Al ou Farber et al89 ayant de leur côté échoué. Des études récentes suggèrent cependant que les progéniteurs hématopoïétiques pourraient être des réservoirs du VIH90 à l’état latent. Ce rôle de réservoir

augmenterait ainsi la susceptibilité des progéniteurs à l’apoptose, au développement de myélodysplasies91 et donc peut être également au développement de leucémies aiguës.

D’autres études ont évoqué le caractère oncogénique de certaines protéines ou de certains variants protéiques du VIH. En effet, durant la phase aiguë de l’infection des lymphocytes T CD4+ par le VIH, la protéine transactivatrice Tat joue un rôle majeur dans l’angiogenèse, processus également impliqué dans la leucémogenèse. Tat est connue pour favoriser la survenue de sarcomes de Kaposi par deux mécanismes : le premier est la médiation de la migration et de l’invasion de cellules vasculaires ainsi que l’expansion des cellules endothéliales via l’adhésion du domaine arginine-glycine-acide aspartique de Tat situé en carboxy terminal aux intégrines a5b1 et avb3. Le deuxième mécanisme est l’induction du bFGF (basic fibroblast growth factor) dont la fixation aux héparanes sulfates protéoglycanes induit la croissance vasculaire. La fixation du bFGF au récepteur au FGF favorise par ailleurs la myélopoïèse comme l’ont montré plusieurs groupes. Tat a également la capacité de déréguler la protéine suppresseur de tumeur pRb2/p130 en entrant dans les lymphocytes B après relargage par les cellules infectées par le VIH. Des variants de gp120 et p17 ont aussi été récemment décrits comme pouvant participer à l’émergence de lymphomes et pourraient être impliqués dans la leucémogenèse4 en favorisant la clonogénicité (activation par p17 de pi3k/akt via son interaction avec CXCR2).

La latence virale intracellulaire expose également le patient au phénomène d’expansion clonale. Plusieurs équipes ont démontré qu’il existe des sites spécifiques d’intégration virale du VIH et que ceux-ci sont liés à la persistance et à l’expansion clonale des cellules infectées. Il existe dans ces clones persistants, des sites d’intégration virale multiples et indépendants incluant des gènes connus pour être associés à la croissance cellulaire (STAT5B, PARP8, DDX6, MKL2, BATCH2), à la division cellulaire (PKP4 ou MAP4) ou aux deux (MKL2, BATCH 2). Ces sites d’intégration virale peuvent donc contribuer au développement de tumeur et en particulier ici à la leucémogenèse92. STAT5, gène impliqué dans le renouvellement cellulaire et qui est critique dans la leucémogenèse93 fait notamment partie de ces sites d’intégration virale.

L’implication directe ou indirecte du VIH en tant qu’oncogène a donc été démontré pour plusieurs tumeurs, notamment pour les lymphomes. Son rôle dans la

leucémogenèse semble plus incertain d’autant plus que l’incidence des leucémies aiguës est comparable chez le PPVIH et chez les patients séronégatifs. La recherche d’une séropositivité pour le VIH doit dans tous les cas faire partie du bilan initial de tout cancer.