• Aucun résultat trouvé

Le rôle principal du processeur externe de l'implant est de transformer les signaux sonores en signaux électriques cohérents. Les implants actuels multi-électrodes tirent tous partie de l'or- ganisation tonotopique naturelle de la cochlée en découpant le signal acoustique original suivant diérentes bandes de fréquences, puis en transmettant les hautes fréquences vers la partie basale de la cochlée et les basses fréquences vers la partie apicale de la cochlée. Toutefois les straté- gies de traitement intervenant dans l'extraction, le codage et la stimulation électrique dans ces diérentes bandes de fréquence dièrent suivant les constructeurs.

Ainsi, en utilisant le même implant avec diérentes stratégies de codage électrique, il est possible d'observer des diérences majeures dans la compréhension de la parole. Les premières recherches ont montré qu'on observait lors de la stimulation électrique du nerf auditif un phéno- mène d' entonnoir  électro-neural, limitant la quantité d'information acoustique pouvant être présentée au nerf auditif. Pour outrepasser ce phénomène, il est donc préférable d'adopter une stratégie de codage qui ne transmet que les informations de première importance pour la compré- hension de la parole. On distingue ainsi les stratégies utilisant une analyse temporelle du signal acoustique, ce qui permet de transmettre au mieux l'ensemble des sons ambiants sans privilégier

150 7.5. ASPECTS TECHNIQUES

spéciquement la parole, les stratégies spectrales, qui extraient spéciquement les informations acoustiques signicatives pour la parole humaine, et les stratégies hybrides, qui utilisent une approche à la fois spectrale et temporelle.

Stratégies temporelles

Une première possibilité est de transmettre directement le signal acoustique sous forme analogique pour chaque bande de fréquence (Eddington et al.,1978). Ainsi, dans le tout-premier modèle d'implant cochléaire mono-électrode (3M/House), le signal acoustique original était traité sous forme analogique, subissait une compression d'amplitude pour respecter la dynamique élec- trique du nerf auditif puis était transmis directement à la cochlée après une modulation d'ampli- tude à 16000 Hz (Zeng,2004). Dans le cadre des implants actuels multi-électrodes, on distingue les stratégies CA (compressed analog) et SAS (simultaneous analog stimulation). Dans le codage analogique utilisé pour l'implant Ineraid (stratégie CA), l'électrode de retour est située à l'exté- rieur de la cochlée, dans le muscle temporal (mode monopolaire). Au contraire, dans le codage analogique utilisé pour l'implant Clarion (stratégie SAS), l'électrode de retour est systématique- ment adjacente à l'électrode de stimulation (mode bipolaire).

Une seconde possibilité est d'eectuer un transcodage numérique an de restituer dèle- ment l'enveloppe temporelle dans chaque bande de fréquence, par l'intermédiaire d'un traitement de type  vocoder  (Dudley,1939a,b). Dans ce cadre, la stratégie CIS (continuous interleaved sampling) stimule successivement chaque électrode dans un ordre spécique tout en préservant les informations relatives à l'enveloppe temporelle, ce qui permet de réduire considérablement les interactions électriques entre les diérents canaux (Wilson et al.,1991). Cette stratégie eectue, dans chaque bande fréquentielle, une extraction d'enveloppe par rectication d'onde et ltrage passe-bas, la fréquence de coupure correspondante se situant typiquement entre 160 et 320 Hz. L'enveloppe subit ensuite une compression de type logarithmique an de respecter la faible dyna- mique électrique du nerf auditif. Pour nir, l'enveloppe temporelle de chaque bande fréquentielle subit une modulation d'amplitude par une porteuse constituée d'impulsions biphasiques à haute fréquence (typiquement entre 800 et 1600 Hz). Les pulsations de chaque bande fréquentielle sont alors émises de façon séquentielle, s'entrecroisant sans aucune coïncidence temporelle, ce qui per- met d'éviter des interactions entre électrodes dues à un chevauchement des champs électriques lié à une stimulation simultanée. Une implémentation typique de la stratégie CIS implique un nombre de ltres passe-bande identique au nombre d'électrodes, variant de 6 dans les premières implémentations pour l'implant Ineraid à 8 dans l'implant Clarion, 12 dans l'implant Medel et 22 ou 24 dans l'implant Nucleus.

An de permettre un compromis entre haute fréquence de stimulation et minimisation des interactions entre électrodes, les pulsations correspondant à des électrodes susamment distantes les unes des autres peuvent également être émises simultanément. Ce compromis a été mis en application dans les stratégies de codages PPS (paired pulsatile stimulation) et MPS (multiple pulsatile stimulation), développées dans le cas de l'implant Clarion, et qui utilisent respectivement des stimulations simultanées de deux ou plusieurs électrodes (Loizou et al.,2003).

Stratégies spectrales

Une autre approche consiste à se placer du point de vue de la perception et la production de la parole : dans cette approche, les diérents pics spectraux sont associés aux formants de la parole, qui traduisent la résonance acoustique des diérentes cavités du conduit vocal (voir  Caractéristiques acoustiques des phonèmes , sect. 2.3, p. 52). Il s'agit donc d'extraire et de

7.5. ASPECTS TECHNIQUES 151

transmettre en priorité ces formants ou ces maxima spectraux an de concentrer le traitement du signal sur ces informations cruciales dans la compréhension de la parole.

Cette approche a été tout d'abord mise en oeuvre dans la stratégie par second formant F0-F2, implémentée dans le processeur Nucleus WSP II (Clark et al., 1984). Cette stratégie consiste à extraire les fréquences du fondamental F0 et du second formant F2 (essentiel pour la compréhension de la parole), F2 déterminant la position de l'électrode de stimulation et F0 la fréquence de stimulation de cette électrode. Le premier formant F1 a ensuite été introduit, dans la stratégie par premier et second formants F0-F1-F2, implémentée dans le processeur Nucleus WSP III, avec une méthode de stimulation similaire. Enn, une extraction des principaux pics spectraux a été mise en place dans la stratégie de codage MPEAK, développée par Nucleus (Skinner et al.,1991).

Stratégies hybrides

Les stratégies de codage les plus récentes essaient d'intégrer le meilleur traitement en mettant l'accent à la fois sur l'analyse de la structure spectrale et de l'information temporelle. La désignation générique de ces stratégies,  n of m , signie qu'un certain nombre de canaux (n) parmi un nombre total (m) sera stimulé à un instant donné. Le nombre maximum de stimulations est prédéterminé par l'audiologiste ou par le technicien chargé de régler l'implant, le nombre d'électrodes réellement stimulées à un instant donné étant susceptible de varier dans la limite de ce maximum. Dans tous les cas, le codage privilégie les bandes fréquentielles avec les plus fortes énergies spectrales. Ce type de codage a été utilisé pour la première fois dans le processeur Nucleus SPEAK (McDermott et al.,1992).

De manière à améliorer la représentation spectrale et temporelle du signal acoustique, la fréquence d'analyse de la parole a été améliorée dans les stratégies les plus récentes de codage, avec des fréquences de stimulation élevées (au-delà de 2000 Hz). Les stratégies hybrides à haute fréquence sont actuellement HiResolution dans l'implant Clarion, ACE dans l'implant Nucleus, et Tempo dans l'implant MedEl.

7.5.2 Electrodes

Les électrodes des premiers implants cochléaires étaient composées de cuivre et d'or, tandis que de nos jours elles sont composées d'alliages de platine et d'iridium. Les premiers implants ne comportaient qu'une électrode (House/3M et Vienna/3M) ; les implants multi-électrodes actuels comportent quant à eux de 6 électrodes pour l'implant Ineraid à 24 électrodes pour l'implant Nucleus CI-24. L'espacement inter-électrode peut être constant (de 0.75 mm pour l'implant Nucleus à 4 mm pour l'implant Ineraid) ou se réduire progressivement de la base vers l'apex de la cochlée (implant Clarion). Les formes des électrodes dièrent selon les constructeurs, avec une structure annulaire ou semi-annulaire dans l'implant Nucleus, sphérique dans l'implant Clarion et bisphérique dans l'implant Medel. Le positionnement des électrodes dans la cochlée varie en fonction du déroulement de l'intervention chirurgicale et des caractéristiques physiologiques de la cochlée, avec des inégalités possibles dans la profondeur d'insertion, des torsions ou des retournements possibles du porte-électrode, et dans certains cas une perforation de la membrane basilaire se traduisant par une arrivée du porte-électrodes dans la rampe vestibulaire (Skinner et al.,2002).

Plus il y a d'électrodes, plus le nombre de bandes de fréquences stimulées est important. Toutefois, l'espacement minimal entre deux électrodes doit être susant pour qu'elles ne se perturbent pas entre elles. Si cette distance est abaissée, deux électrodes voisines vont stimuler les mêmes cellules ciliées et il y aura diaphonie entre les deux signaux. Les électrodes ont en fait

152 7.5. ASPECTS TECHNIQUES

Fig. 7.2  Implant cochléaire Nucleus CI-22 inséré dans la rampe tympanique. Adapté d'après

Clark (2003).

un large rayon d'action en raison de la présence de l'endolymphe à l'intérieur de la cochlée. On distingue des modes de stimulation monopolaires, bipolaires, tripolaires et à masse commune. Dans les cas des modes monopolaires, une électrode est placée en dehors de la cochlée, en général dans le muscle temporal, et sert d'électrode de référence pour les électrodes de stimulation. Dans le cas des modes bipolaires, une électrode adjacente à l'électrode de stimulation est utilisée comme électrode de retour du courant électrique, ce qui ore des possibilités importantes de déclinaisons de ce mode, selon que l'électrode de stimulation est proche ou non de l'électrode de recueil. Dans le cas des modes tripolaires, ce sont les deux électrodes voisines de l'électrode de stimulation qui servent d'électrodes de retour. Enn, dans le cas du mode à masse commune, toutes les électrodes non stimulantes à un instant donné servent de retour pour l'électrode stimulante. Les données issues des modélisations et des mesures physiologiques montrent une dispersion décroissante du champ électrique (et donc une précision spatiale croissante dans la stimulation électrique) selon que le mode de stimulation est respectivement monopolaire, bipolaire ou tripolaire (Jolly et al.,

Bibliographie

Bierer, J. A. et Middlebrooks, J. C. (2002). Auditory cortical images of cochlear-implant stimuli : dependence on electrode conguration. J. Neurophysiol., 87(1):478492.

Bierer, J. A. et Middlebrooks, J. C. (2004). Cortical responses to cochlear implant stimulation : channel interactions. J. Assoc. Res. Otolaryngol., 5(1):3248.

Clark, G. M. (2003). Cochlear implants in children : safety as well as speech and language. Int. J. Pediatr. Otorhinolaryngol., 67:1.

Clark, G. M., Tong, Y. C. et Dowell, R. C. (1984). Comparison of two cochlear implant speech-processing strategies. Ann. Otol. Rhinol. Laryngol., 93(2 Pt 1):127131.

Dauman, R., Tyler, R. S. et Aran, J. M. (1993). Intracochlear electrical tinnitus reduction. Acta Otolaryngol., 113(3):291295.

Deguine, O., Garcia de Quevedo, S., Fraysse, B., Cormary, X., Uziel, A. et Demonet, J. F. (1995). Criteria for selecting the side for cochlear implantation. Ann. Otol. Rhinol. Laryngol. Suppl., 166:403406. Dudley, H. (1939a). Remaking Speech. J. Acoust. Soc. Am., 11(2):169177.

Dudley, H. (1939b). The vocoder. In Bell Labs Record, pages 122126.

Eddington, D. K., Dobelle, W. H., Brackmann, D. E., Mladejovsky, M. G. et Parkin, J. L. (1978). Auditory prostheses research with multiple channel intracochlear stimulation in man. Ann. Otol. Rhinol. Laryngol., 87(6 Pt 2):139.

Gantz, B. J. et Turner, C. W. (2003). Combining acoustic and electrical hearing. Laryngoscope, 113(10):1726 1730.

Ito, J. et Sakakihara, J. (1994). Tinnitus suppression by electrical stimulation of the cochlear wall and by cochlear implantation. Laryngoscope, 104(6 Pt 1):752754.

Jolly, C. N., Spelman, F. A. et Clopton, B. M. (1996). Quadrupolar stimulation for cochlear prostheses : modeling and experimental data. IEEE Trans. Biomed. Eng., 43(8):857865.

Kiefer, J., Gstoettner, W., Baumgartner, W., Pok, S. M., Tillein, J., Ye, Q. et von Ilberg, C. (2004). Conservation of low-frequency hearing in cochlear implantation. Acta Otolaryngol., 124(3):272280.

Loizou, P. C., Stickney, G., Mishra, L. et Assmann, P. (2003). Comparison of speech processing strategies used in the Clarion implant processor. Ear Hear., 24(1):1219.

McDermott, H. J., McKay, C. M. et Vandali, A. E. (1992). A new portable sound processor for the university of Melbourne/Nucleus limited multielectrode cochlear implant. J. Acoust. Soc. Am., 91(6):33673371. McKerrow, W. S., Schreiner, C. E., Snyder, R. L., Merzenich, M. M. et Toner, J. G. (1991). Tinnitus

suppression by cochlear implants. Ann. Otol. Rhinol. Laryngol., 100(7):552558.

Miyamoto, R. T., Kirk, K. I., Renshaw, J. et Hussain, D. (1999). Cochlear implantation in auditory neuro- pathy. Laryngoscope, 109(2 Pt 1):181185.

154 BIBLIOGRAPHIE

Peterson, A., Shallop, J., Driscoll, C., Breneman, A., Babb, J., Stoeckel, R. et Fabry, L. (2003). Outcomes of cochlear implantation in children with auditory neuropathy. J. Am. Acad. Audiol., 14(4):188201. Ruckenstein, M. J., Hedgepeth, C., Rafter, K. O., Montes, M. L. et Bigelow, D. C. (2001). Tinnitus

suppression in patients with cochlear implants. Otol. Neurotol., 22(2):200204.

Shallop, J. K., Peterson, A., Facer, G. W., Fabry, L. B. et Driscoll, C. L. (2001). Cochlear implants in ve cases of auditory neuropathy : postoperative ndings and progress. Laryngoscope, 111(4 Pt 1):555562. Shipp, D. et Nedzelski, J. (1994). Prognostic value of round window psychophysical measurements with adult

cochlear implant candidates. In Hochmair-Desoyer, I. et Hochmair, E., éditeurs : Advances in cochlear implants, pages 7981. Vienna : Manz.

Sininger, Y. S. et Trautwein, P. (2002). Electrical stimulation of the auditory nerve via cochlear implants in patients with auditory neuropathy. Ann. Otol. Rhinol. Laryngol. Suppl., 189:2931.

Skinner, M. W., Holden, L. K., Holden, T. A., Dowell, R. C., Seligman, P. M., Brimacombe, J. A. et Beiter, A. L. (1991). Performance of postlinguistically deaf adults with the wearable speech processor (WSP III) and mini speech processor (MSP) of the Nucleus multi-electrode cochlear implant. Ear Hear., 12(1):322. Skinner, M. W., Ketten, D. R., Holden, L. K., Harding, G. W., Smith, P. G., Gates, G. A., Neely, J. G., Kletzker, G. R., Brunsden, B. et Blocker, B. (2002). CT-derived estimation of cochlear morphology and electrode array position in relation to word recognition in Nucleus-22 recipients. J. Assoc. Res. Otolaryngol., 3(3):332350.

Thedinger, B., House, W. F. et Edgerton, B. J. (1985). Cochlear implant for tinnitus. case reports. Ann. Otol. Rhinol. Laryngol., 94(1 Pt 1):1013.

Trautwein, P. G., Sininger, Y. S. et Nelson, R. (2000). Cochlear implantation of auditory neuropathy. J. Am. Acad. Audiol., 11(6):309315.

Truy, E. et Lina, G. (2003). Implantation cochléaire de l'enfant. Arch. Pediatr., 10(6):554564.

Tyler, R. S. (1995). Tinnitus in the profoundly hearing-impaired and the eects of cochlear implants. Ann. Otol. Rhinol. Laryngol. Suppl., 165:2530.

Tyler, R. S. et Lowder, M. W. (1992). Audiological management and performance of adult cochlear-implant patients. Ear Nose Throat J., 71(3):117122, 125128.

von Ilberg, C., Kiefer, J., Tillein, J., Pfenningdorff, T., Hartmann, R., Sturzebecher, E. et Klinke, R. (1999). Electric-acoustic stimulation of the auditory system. new technology for severe hearing loss. ORL J. Otorhinolaryngol. Relat. Spec., 61(6):334340.

Wilson, B. S., Finley, C. C., Lawson, D. T., Wolford, R. D., Eddington, D. K. et Rabinowitz, W. M. (1991). Better speech recognition with cochlear implants. Nature, 352(6332):236238.

Chapitre 8

Réorganisation neurofonctionnelle après

une altération sensorielle

Sommaire

8.1 Propriétés de la neuroplasticité . . . 156

8.1.1 Principes généraux de la plasticité . . . 156

8.1.2 Plasticité physiologique et plasticité anatomique . . . 157

8.1.3 Dynamique de la neuroplasticité . . . 157

8.1.4 Mécanismes de la plasticité . . . 159