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Chapitre 5 Résultats

6.1 Discussion des résultats

6.1.2 Les aspects de la dimension institutionnelle impliqués dans le raisonnement

Les deuxième et troisième objectifs de cette recherche étaient respectivement de décrire les aspects de la DI impliqués dans le RC de l’ergothérapeute en milieu communautaire et d’explorer le rôle de la reddition de compte et du processus d’optimisation dans ce RC.

Cette section de la discussion s’intéresse d’abord à la variété des aspects de la DI impliqués dans le RC de l’ergothérapeute en milieu communautaire et leur rôle variable. Dans un deuxième temps, le rôle spécifique du discours de l’efficience est discuté.

6.1.2.1 Variété des aspects de la dimension institutionnelle impliqués dans le raisonnement clinique de l’ergothérapeute en milieu communautaire et leur rôle variable

Dans cette étude, 13 aspects de la DI ont été identifiés comme étant impliqués dans le RC des ergothérapeutes en milieu communautaire, ce qui tend à confirmer empiriquement l’importance des contextes dans la pratique ergothérapique, telle qu’avancée par le MCPP (Craik et al., 2013). Le tableau 11 présente ces 13 aspects parmi lesquels certains avaient déjà été identifiés dans les études antérieures. D’abord, la présente recherche a permis de confirmer certaines hypothèses de Grime (1990) quant au rôle d’aspects légaux (droits du client), réglementaires (dispositions professionnelles), administratifs (procédures institutionnelles) et organisationnels (ressources et temps disponibles) dans le traitement des requêtes de services ergothérapiques (moments 1 et 2). Par contre, dans la présente étude, le rôle des aspects légaux et réglementaires se réalise ultérieurement dans le RC des ergothérapeutes, à partir de la prise en charge du client (moment 3).

Munroe (1996) avait également émis une hypothèse quant à l’influence importante des procédures institutionnelles (p. ex. : politique de l’établissement relative à la prépondérance du choix du client) comme étant, lors de leur VAD, à la source d’une mobilisation plus grande de l’élément interactif du RC des ergothérapeutes en milieu communautaire. Dans la présente étude, il semble que le lieu physique de l’intervention, le domicile du client où celui-ci peut exercer sa pleine liberté décisionnelle, ait davantage d’impact sur la mobilisation de l’élément interactif que les procédures institutionnelles. En effet, certaines procédures semblent plutôt parfois constituer un obstacle à la centration sur les besoins du client, incluant la considération de l’élément interactif (relations). Enfin, Carrier et collaborateurs (2012) avaient souligné l’influence de deux aspects de la DI sur le RC. D’abord, le mandat de consultant de l’ergothérapeute agissait sur la formulation du problème. Ensuite, des procédures institutionnelles relatives à la santé et la sécurité influençaient les solutions envisagées et, ultérieurement, le choix de l’intervention. La présente étude ajoute à ces résultats : elle a pu mener à l’explicitation d’aspects législatifs relatifs à la santé et à la sécurité au travail comme étant liés aux procédures

institutionnelles. De plus, cette étude a pu détailler le grand rôle du mandat de l’ergothérapeute dans tous les moments, cliniques et administratifs, sauf dans les moments d’échange du savoir (moment 9) et d’accomplissement des tâches opérationnelles (moment 10).

En plus d’une description en profondeur de tous les aspects de la DI impliqués, huit nouveaux aspects ont pu être identifiés (Tableau 5) et leur rôle dans les différents moments du processus de pratique explicité. Schell (1994), la première à s’être intéressée aux aspects de la DI impliqués dans le RC d’ergothérapeutes en milieu hospitalier, s’est limitée au moment clinique Intervenir. Or, les aspects de la DI apparaissent impliqués beaucoup plus largement, tant dans les différents moments cliniques et administratifs du processus de pratique que dans les processus cognitifs sous-jacents au RC. En effet, tel que spécifié, les aspects de la DI ont un impact dans la résolution du problème et la prise de décision. En fait, tant leur rôle dans le RC et, conséquemment leur impact, apparaissent variés. Ce rôle peut aller d’une simple considération en tant que contenu du problème (p. ex : les critères des programmes gouvernementaux) à un automatisme restreignant la formulation des solutions possibles (p. ex. : les procédures institutionnelles) ou à une influence insidieuse non clairement explicitée (p. ex. : le processus d’optimisation). Cette variété de rôle avait été mise en évidence dans l’étude de Carrier et collaborateurs (2012) pour les autres facteurs impliqués dans le RC (contexte personnel, client).

Ainsi, tout comme ces autres facteurs, les aspects de la DI auraient un statut statique (contenu) et dynamique (influençant le RC à des moments précis de son déroulement). De plus, contrairement aux autres facteurs, certains aspects de la DI (reddition de compte et optimisation de la performance) auraient une influence diffuse et implicite. Le rôle dynamique des facteurs extrinsèques permettait aux ergothérapeutes d’adapter leurs interventions à la situation particulière du client à l’aide d’un RC passant graduellement d’un mode « générique » à un mode « personnalisé » (Figure 3; Carrier et al., 2012). Tel que mentionné, la présente étude nuance cette personnalisation du RC à la situation du client : la capacité de l’ergothérapeute de personnaliser s’exercerait d’une façon limitée par l’influence implicite de certains aspects de la DI.

Tableau 5. Aspects de la dimension institutionnelle de la présente étude en lien avec ceux identifiés dans les écrits antérieurs portant sur le raisonnement clinique de l’ergothérapeute en milieu communautaire

Aspects identifiés dans la présente etude Écrits

Grime (1990) Munroe (1996) Carrier et al. (2012) Légaux

Dispositions juridiques relatives à:

 Droits des clients ●

 Mission de l’établissement  Santé et sécurité au travail Réglementaires

Critères des programmes gouvernementaux

Dispositions professionnelles ●

Administratifs Budget

Continuité de services

Procédures institutionnelles internes ou externes au CSSS

● ● ●

Offre de services (CSSS et partenaires) Organisationnels

Disponibilité des collègues

Mandat de l’ergothérapeute et de ses collègues

Ressources, priorités, délais et liste d’attente Modalité de fonctionnement d’équipe et en réseau

En italiques : aspects non identifiés dans les études antérieures mais identifiés dans la présente étude; en gras : aspects les plus présents dans le RC des ergothérapeutes à la présente recherche.

Par ailleurs, tant Grime (1990) que Carrier et collaborateurs (2012) ont souligné le rôle de la requête de services dans le RC des ergothérapeutes en milieu communautaire. Dans la présente étude, ce document est impliqué dans tous les moments cliniques et coordonne les actions des participants auprès et pour leur client. Ce rôle soulève l’importance pour les ergothérapeutes d’être vigilants quant aux documents utilisés dans les milieux cliniques, tel que recommandé par Carrier et Prodinger (2014), afin qu’ils reflètent bien les valeurs de l’ergothérapie, notamment le respect des aspirations et des choix du client, de même que l’étendue de la pratique ergothérapique (Tremblay et Brousseau, 2011).

6.1.2.2 La reddition de compte et le processus d’optimisation

Les résultats de la présente étude mettent en évidence que le RC sous-jacent aux actions des ergothérapeutes implique généralement une évaluation du rapport entre, d’une part, la sécurité et l’autonomie fonctionnelle d’un client et, d’autre part, l’efficience au travail à la lumière de la mesure utilisée et de la reddition de compte associée. Cette évaluation se traduit par un questionnement quant à la pertinence du temps investi auprès du client pour atteindre cette visée spécifique, c’est-à-dire la sécurité et l’autonomie fonctionnelle. Ainsi, le temps et l’efficacité sont amalgamés dans le discours de la performance : sauver du temps permet d’être efficace, ce qui implique une réduction de l’étendue de l’action de l’ergothérapeute (p.ex. : dans le cas où le client rapporte des besoins qui ne mettent pas en cause sa sécurité ou son autonomie car compensés autrement, l’ergothérapeute n’agira pas). Cette action ergothérapique restreinte corrobore une tendance déjà notée dans les écrits antérieurs en ergothérapie.

Hébert et collaborateurs (2002) ont précédemment souligné que les ergothérapeutes en milieu communautaire exercent leur pratique en fonction des listes et des délais d’attente, et d’une pratique centrée principalement sur les besoins en lien avec l’autonomie. Dans la présente étude, les ergothérapeutes cherchent effectivement à restreindre la durée de leurs évaluations et de leurs interventions auprès des clients, et se centrent sur leurs besoins de sécurité et d’autonomie fonctionnelle dans les soins personnels et la mobilité. Par contre, le discours de l’efficience est beaucoup plus large et comporte une composante de supervision directe du travail des ergothérapeutes qui va à l’encontre de la standardisation de leurs compétences professionnelles issue de leur formation universitaire (Mintzberg, 1982). La supervision directe est un type de contrôle de la pratique qui soulève des questionnements quant à l’autonomie professionnelle des ergothérapeutes.

Tel que mentionné et décrit par Freeman et collaborateurs (2009), une reddition de compte à l’employeur place les ergothérapeutes en situation de tension en lien avec leurs obligations professionnelles. Paradoxalement, cette reddition de compte et le processus d’optimisation mettent aussi les ergothérapeutes en conflit avec les obligations de leur employeur en matière de services à rendre, telles que décrites dans la LSSSS (art. 1 et 80, notamment). Ainsi, tel que rapporté par Ceci (2006a; 2006b; 2008), bien que l’accessibilité, la qualité des services rendus et la responsabilité populationnelle soient présents dans le

discours officiel de l’établissement, son opérationnalisation réelle est modeste et modulée par la « préoccupation des chiffres » dont l’atteinte des cibles du CSSS. Ainsi, le discours économique associé notamment au vieillissement de la population « limite[nt] la capacité de penser au-delà des réalités budgétaires du moment […]. » (Ceci, 2008, p. 21). Un tel discours naturalise et rend inévitable la façon restrictive actuelle de rendre des services qui tient peu compte des obligations des ergothérapeutes et des établissements concernant la réponse aux besoins du client.

En bref, la présente étude a permis de mettre en évidence plusieurs concordances avec les écrits en regard des processus cognitifs du RC (résolution de problème et prise de décision) et des éléments mobilisés. Plus spécifiquement, en lien avec le RC des ergothérapeutes en milieu communautaire, la présente étude élargit et détaille la description du RC et des aspects impliqués à l’ensemble des moments, cliniques et administratifs, du processus de pratique ergothérapique. Elle corrobore et précise aussi la conceptualisation du RC de Carrier et collaborateurs où les aspects ont un rôlevariable, allant d’un statut statique à dynamique en plus d’exercer une influence diffuse.